Manifestation de colère explosive en Corée du Nord

Source : https://www.challenges.fr

Moon Jae-In, dès son arrivée au pouvoir à Séoul le 10 mai 2017, avait annoncé une politique de rapprochement avec la Corée du Nord. Avocat de formation, très impliqué dans les Droits de l’Homme, né au Sud mais issu d’une famille de réfugiés du Nord, il avait réussi à obtenir la participation d’athlètes nord-coréens lors des jeux olympiques d’hiver de février 2018 à Pyeong-Chang, puis organisé un sommet historique avec Kim Jong-Un en avril.

Parmi les décisions pour mener à la conciliation entre les deux Corées, le Sud avait offert au Nord l’établissement d’un « Office de liaison », un building de quatre étages établi en plein centre de Kaesong[1], ville de presque 350 000 habitants à moins de 7 km au nord de la ligne de démarcation et 120 km de Pyongyang. Le représentant du Nord, Jong Jong-Su était vice-président du « Comité pour la Réunification pacifique de la Mère-patrie ». Celui du Sud, Chung Hae-Sung était vice-ministre de l’Unification. L’office fonctionnait comme une ambassade réciproque. Le bâtiment datant de 2007 avait servi d’Office de Consultation pour l’Echange inter-coréen et la Coopération. Payé à l’époque par Séoul, il avait été rénové pour sa nouvelle destination en octobre 2018.

Après des discours très durs contre « rocket-man » ainsi que Donald Trump appelait Kim Jong-Un, le 12 juin 2018, à Singapour, une rencontre entre les deux chefs d’Etats amenait certains commentateurs à annoncer que le problème était en voie de règlement. Une vaine deuxième rencontre, à Hanoï, montrait toutefois qu’une entente est improbable. Kim Jon-Um exige des garanties absolues et l’arrêt total des sanctions avant une éventuelle cessation d’activités nucléaires militaires (qu’il voit comme sa seule sauvegarde : il acceptera peut-être d’arrêter d’augmenter l’arsenal mais se cramponne à sa conservation). Donald Trump exige une dénucléarisation avant toute récompense économique.

Un geste de bonne volonté avait toutefois été la restitution de corps d’Américains tombés au Nord pendant la guerre de Corée (1950-1953).

Le Nord veut faire avancer les choses et forcer les Etats-Unis à sortir de cette position d’attente, mais ne peut pas provoquer trop ouvertement ces derniers. Une première action a été le tir de missiles. La nouvelle manœuvre vise la cohabitation avec le Sud. Ce 16 juin 2020, une explosion a spectaculairement démoli l’Office de liaison (voire endommagé un bâtiment voisin)[2].

Cette manifestation de colère avait été annoncée par Kim Yo-Jong, la sœur de Kim Jong-Un, membre du Poliburo depuis 2017, qui semble avoir recouvré une influence importante après un fléchissement apparent mais peut-être fallacieux en 2019. Le prétexte est la poursuite par des fugitifs-réfugiés du Nord établis au Sud qui envoient des tracts de propagande anti-Kim par-delà la zone démilitarisée. Ces tracts irritent les Kims et font courir de graves risques à leurs lecteurs du Nord, car la lecture d’articles non autorisés par la censure est passible de graves condamnations. Le 9 juin, Pyongyang a finalement annoncé « couper complètement la liaison entre les autorités du Nord et du Sud », y compris les canaux de communication entre les forces armées et les hauts dirigeants de deux pays, a relaté l’agence centrale de presse nord-coréenne[3].

Source : https://edition.cnn.com/2020/06/16

Kim Yo-Jong menaçait alors : « Dans peu de temps, l’inutile bureau de liaison entre le Nord et le Sud sera complètement détruit au cours d’une scène tragique ». Voilà donc qui est fait, comme un jouet cassé par un « gosse » en colère qui veut attirer l’attention. C’est toutefois un geste soigneusement calibré pour faire les gros titres sans amener de rétorsion.

Le bureau de la Sécurité nationale de Corée du Sud a annoncé que le gouvernement contrôlera désormais strictement l’envoi des tracts anti-Pyongyang vers la Corée du Nord. Ces envois constituent « non seulement une violation de la loi sud-coréenne […] mais aussi un non-respect des accords signés entre les deux Corées », explique Séoul dans un communiqué[4].

Denis LAMBERT


[1] « North Korea blows up joint liaison office with South in Kaesong », BBC, 16 juin 2020.

https://www.bbc.com/news/world-asia-53060620

[2] « Pyongyang détruit le bureau de liaison intercoréen, symbole de détente », Courrier international, 16 juin 2020, https://www.courrierinternational.com/depeche/pyongyang-detruit-le-bureau-de-liaison-intercoreen-symbole-de-detente.afp.com.20200616.doc.1tj9zw.xml

[3] https://fr.sputniknews.com/international/202006161043957763-une-explosion-entendue-a-kaesong-une-ville-frontaliere-nord-coreenne/

[4]    Yann Rousseau, Les Echos, 12 juin 2020, https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/kim-jong-un-ne-voit-plus-dinteret-a-fraterniser-avec-donald-trump-1210500