Vietnam : élections dans la continuité
Le 25 janvier 2021, le XIIIème congrès du PC vietnamien a réuni les 1 600 délégués du Parti pour une semaine afin de désigner son chef, ainsi que le Président de la République, le Premier Ministre et le Président de l’Assemblée nationale, d’élire les 1 600 nouveaux délégués des régions, provinces et districts, et aussi de définir les grandes orientations économiques du pays pour les cinq prochaines années.
Contrairement au précédent congrès en 2016 (qui a été marqué par une opposition entre la vieille garde du PC et les réformateurs), cette année, la continuité a dominé la scène. Le Secrétaire général Nguyen Phu Trong (76 ans)[1] a obtenu une dérogation pour exercer un troisième mandat à la tête du PC Vietnamien, confirmant ainsi la politique menée durant le précédent mandat : main mise autoritaire sur la population, lutte contre la corruption et développement économique. « Les dissidents sont très minoritaires, et la population donne un blanc-seing au pouvoir tant que le miracle économique se poursuit » (Benoît de Tréglodé, chercheur à l’IRSEM). En outre, depuis la mort du Président Tran Dai Quang le 21/09/2018, le Secrétaire général cumule ses fonctions avec celle de Président de la République, pour la première fois depuis la mort de Ho Chi Minh. Ce cumul, lui donnant un statut équivalent à celui de Xi Jinping, a été reconduit par le XIIIème congrès.
Le régime s’appuie sur les méthodes de contrôle autoritaire remises en honneur par le voisin du nord depuis 2013 : les réseaux sociaux sont étroitement contrôlés, une nouvelle loi sur la cybersurveillance (inspirée par Pékin) a été adoptée en 2019, les arrestations de dissidents ont été plus nombreuses en 2020 (telle la journaliste et activiste Pham Doan Trang le 7 octobre dernier à Saïgon, trois journalistes condamnés à 11 et 15 ans de prison pour des « critiques contre le régime en janvier 2021).
La gestion efficace de la crise du COVID a contribué au maintien des équipes en place et à la non-contestation des options politiques et économiques.
En effet des frontières bouclées et un contrôle social étroit ont permis de limiter le nombre de malades malgré une résurgence en début 2021 (2050[2]) et de morts (35) pour une population de 96 millions d’habitants. Ces « succès » sont à rapprocher de Taïwan[3] : environ 1000 cas de contagion et 8 morts du COVID pour 23 millions d’habitants, un taux de croissance de 2,88% en 2020 (7,02% en 2019).
Pour le centenaire de la création du parti par l’Oncle Ho en 2030, le pays espère s’affirmer comme une des économies d’Asie orientale les plus performantes, en doublant le PIB par habitant d’ici la fin de la décennie. L’objectif d’un taux de croissance de 6% pour 2021 pourra-t-il être atteint ? Le Vietnam parviendra-t-il au statut de puissance régionale en Asie du sud-est ? Répondre aux attentes de consommation et flatter le nationalisme de la population sont indispensables dans ce contexte.
Sur le plan économique, Hanoï dépend de son voisin chinois pour la fourniture de certains matériaux et équipements pour ses usines ; mais le Vietnam a aussi pris une place importante dans les échanges pour les chaînes d’approvisionnements des grands groupes internationaux (tel Samsung) en Asie du sud-est, du fait des sanctions prises par Trump contre le marché chinois. Avec la fermeture de ses frontières, le Vietnam a échappé à la récession mondiale et en effet bénéficié de la politique menée par l’administration Trump qui a favorisé la délocalisation d’industries pour échapper notamment aux taxes confiscatoires.Pour 2020, la croissance a été de 2,9% (6,76 % en 2019), donc devant la Chine avec 2,3% (6,1% en 2019).
En 2020, le commerce extérieur de biens du Vietnam était estimé à 543,9 milliards d’USD, soit une hausse annuelle de 5,1%. Les exportations ont augmenté de 6,5% pour s’établir à 281,5 milliards de dollars et les importations, de 3,6%, pour passer à 262,4 Md USD. Ainsi, le Vietnam a affiché un excédent commercial estimé à 19,1 milliards d’USD, un record depuis 2016. Au 20 novembre 2020, les investissements directs étrangers (IDE) ont atteint 26,43 milliards d’USD[4].
L’économie vietnamienne repose sur de grandes industries publiques telles que le textile, l’alimentation, les meubles, le plastique et le papier. L’agriculture représentait 14,7% du PIB et employait 39,4% de la population active totale en 2018. Les principales cultures sont le riz, le café, les noix de cajou, le maïs, le poivron, les patates douces, les arachides, le coton, le caoutchouc et le thé, ainsi que l’aquaculture. L’excédent commercial agricole a progressé légèrement au cours de l’année 2019, mais les activités d’élevage ont continué de souffrir de différentes maladies dont la grippe porcine. La grippe aviaire reste une autre menace.
L’industrie représentait 34,2% du PIB et employait 25,8% de la main-d’œuvre totale. Le secteur de l’énergie a explosé ces dernières années (charbon, hydrocarbures, électricité, ciment, sidérurgie). Malgré le fait qu’il soit un «nouveau venu» dans l’industrie pétrolière, le Vietnam est devenu le troisième producteur d’Asie du Sud-Est. Le pays a également investi dans des industries à forte valeur ajoutée telles que l’automobile, l’électronique et les technologies informatiques (logiciels). En 2019, l’industrie manufacturière a connu une hausse annuelle de 10,9%, ce qui a contribué à enregistrer un excédent commercial industriel record de plus de10milliards d’USD (selon le gouvernement vietnamien).
Les services (principalement tourisme et télécommunications) représentaient 45,5% du PIB et employaient 34,7% de la main d’œuvre totale[5]. Le taux de chômage au Vietnam, 2,2% en 2019, devrait rester stable dans les années à venir. Les défis sociaux sont la réduction de la pauvreté, l’amélioration de l’enseignement supérieur et l’introduction de la liberté, dans la presse et dans la représentation politique où le parti communiste reste le seul autorisé.
Pour l’environnement des affaires, le rang n’est pas encore remarquable puisqu’il n’est que de 59ème sur les 82 pays classés par The Economist[6]. L’évaluation des risques pour un investissement reste encore mitigée en particulier sur le risque d’inconvertibilité du dong et de l’interdiction des transferts de retour[7]. Cependant, on note une amélioration dans le classement de Transparency International pour l’indice de perception de la corruption : le Vietnam est passé du 117ème rang en 2018 au 96ème rang sur 180 pays en 2019.
Aujourd’hui, le régime est pris entre deux positions difficiles à concilier, face à la Chine qui est à la fois son ancien ennemi traditionnel et son « Grand Frère » idéologique :
- D’une part ses proximités et affinités idéologiques avec Pékin, avec un contrôle accru de sa population : selon Amnesty International, le nombre de prisonniers politiques aurait doublé depuis 2016 …
- D’autre part ses revendications maritimes en Mer de Chine du sud contre Pékin (Mer de l’Est pour Hanoï), et la protection nécessaire des pêcheurs notamment et garde-côtes, qui conduisent à approuver les patrouilles de l’US Navy, sans oublier les richesses sous-marines convoitées par ces 2 états.
Depuis 2011, le resserrement politique à l’intérieur est concomitant d’une ouverture à l’extérieur, avec notamment un rapprochement vis à vis des Etats-Unis. Mais le Vietnam, s’il conteste l’hégémonie maritime de la Chine, souhaite éviter absolument tout contentieux ouvert : ainsi n’a-t-il pas porté son contentieux territorial devant le Tribunal international de La Haye et la Cour permanente d’arbitrage, comme l’ont fait les Philippines. Il se contente de menaces sous-jacentes (indirectes ?) en achetant des armes à Moscou, en signant un accord de libre-échange avec l’UE, en signant l’accord commercial RCEP avec les plus grandes économies d’Asie.
Hélas, les informations récentes à la vieille du Têt (le Nouvel an lunaire devait être fêté du 10 au 16 février), ont annoncé une résurgence de l’épidémie avec plus de 400 nouveaux cas depuis le 28 janvier, en liaison avec le variant anglais. Les autorités sanitaires ont très rapidement réagi : aucune interdiction de circulation, mais isolement de certaines régions et tests systématiques des cas potentiels. La plupart des Vietnamiens ont décidé d’éviter les regroupements familiaux traditionnels pour le Têt.
Les mois à venir sont donc placés sous le signe de l’incertitude, notamment quant au dynamisme économique espéré.
Hélène Mazeran et Denis Lambert
Sources : La Croix, 26 janvier 2021, Dorian Malovic
Le Figaro, 12 février 2021, François Camps, Sébastien Falletti
Journal du Dimanche, 24 janvier 2021
[1] Président de l’Assemblée nationale de 2006 à 2011, puis Secrétaire général du Parti depuis 2011.
[2]Cf Malaymail du 8 février 2021
[3] Cf la conférence d’Antoine Bondaz à l’Institut du Pacifique le 4 février 2021 : « Taïwan : une puissance inconnue et sous-estimée au carrefour des enjeux régionaux et internationaux »
[4]https://www.lecourrier.vn/de-belles-perspectives-economiques-pour-le-vietnam-en-2021/883032.html
[5]https://www.tradesolutions.bnpparibas.com/fr/explorer/vietnam/le-contexte-economique
[6]https://www.eiu.com/n/cité par la source précédente
[7]https://www.credendo.com/fr/country-risk/viet-nam