La Chine en panne d’électricité
Alors que le 72ème anniversaire de la proclamation de la république populaire de Chine, le 1er octobre 2021, a été l’occasion de rodomontades du président Xi qui ne se gêne plus pour donner des leçons à l’Occident, la situation intérieure de son pays n’apparaît pas si glorieuse : des coupures de courant gênent les industries et les habitants comme dans certains des pays les moins avancés. Les causes en sont multiples, et la première, à savoir le redémarrage de l’économie après la chute d’activité liée au Covid, est plutôt à son honneur. Mais la seconde tient à la longue tolérance de l’administration face à l’équipement en centrales à charbon.La Chine envisagerait encore d’augmenter ses capacités électriques par centrales au charbon à hauteur de 249,6 GW ; 97,8 GW sont en construction et 151,8 GW en préparation, soit une augmentation de 21 % par rapport à fin 2019 (205,9 GW)[1]. La Chine produit éoliennes et panneaux solaires, mais son électricité provient à 62 % du charbon[2]. Certes celui-ci est abondant dans le pays, mais ses effets climatiques sont désastreux – et contraires aux objectifs gouvernementaux de stabilisation puis de diminution de la production de CO2 (-65 % d’ici 2030, pour atteindre la « neutralité carbone » d’ici 2060). Enfin la tarification, étatique, constitue un frein à l’exploitation optimale des centrales.
Le prix du charbon a augmenté, atteignant 2000 Yuans la tonne (soit 265 € environ, presque le quadruple du prix de début août)[3]. En voulant punir l’Australie – le plus grand exportateur de charbon (elle en produit 477 millions de tonnes dont elle exporte environ 330 millions quand la Chine en produit 3900, mais générant 31 milliards d’euros d’exportation et 50 000 emplois directs) – d’avoir réclamé une enquête indépendante sur l’origine du Covid, la Chine s’est privée d’un fournisseur important, que l’Indonésie (deuxième pays exportateur) et la Mongolie ne peuvent remplacer rapidement. D’autant que cette dernière n’est pas accessible par mer, ce qui renchérit le transport confié au seul réseau ferré. Pour la production nationale aussi, le transport doit se faire sur de très longues distances, les mines se trouvant au nord-ouest, loin des villes côtières les plus consommatrices de courant. Ce prix élevé décourage les producteurs d’électricité dont le barème de vente est imposé par l’État. Ils ont le droit de fournir plus que le quota prévu, mais pas d’augmenter les prix. En cas de charbon cher, ils ont donc peur de travailler à perte et restreignent la fourniture d’électricité, ce qui force les autorités locales à restreindre les activités industrielles. Des aciéries dans le Guangdong, des usines textiles dans le Zhejiang ont été ainsi mises à l’arrêt. Alors que différentes industries dans le monde se trouvent limitées par le défaut d’approvisionnement en circuits intégrés (comme des usines automobiles en Europe), plusieurs fournisseurs de grands groupes sont impactés par la baisse de production de composants, ce qui renchérit encore les produits et composants informatiques[4]. C’est la reprise mondiale qui se trouve donc menacée.
Selon Goldman Sachs, jusqu’à 44 % de l’activité industrielle de la Chine pourrait souffrir de la pénurie d’alimentation électrique, faisant chuter la progression du PNB de 8,2 % à 7,8 %[5]. Or ces chiffres chinois sont toujours suspects de surévaluation. D’autre part les coupures d’électricité sont plus directement imposées aux travailleurs (quasi-esclaves) de Corée du Nord en Chine, privés d’éclairage comme d’eau chaude ce qui n’améliorera pas leur productivité. Les indices de production manufacturière ont baissé, alors que ceux tenant aux productions non manufacturières, en particulier aux services, se sont repris après la fin de l’été : transport, hébergement et restauration sont repartis à la hausse.[6] Toutefois ces trois domaines, qui rapportent des devises quand le pays est ouvert aux innombrables touristes, fonctionnent en interne seulement, depuis la pandémie.
L’hiver approche, et les températures peuvent être très rigoureuses dans les régions qui ne sont pas immédiatement côtières[7] (le rôle thermostatique des océans sur les côtes ouest est supérieur à leur influence sur les côtes est). Les stocks, qui avaient baissé (14 jours d’approvisionnement seulement début octobre selon Voice of America)[8], doivent donc être reconstitués malgré la cherté du charbon. Le vice-Premier ministre Han Zheng aurait demandé aux compagnies énergétiques de s’assurer qu’il y ait suffisamment de carburant pour faire fonctionner le pays, affirmant que Pékin ne tolérerait pas de pannes d’électricité[9]. Des mines situées en Mongolie intérieures sont sommées d’augmenter leur production d’une centaine de millions de tonnes[10]. Selon Bloomberg, Beijing a ordonné aux banques d’accorder en priorité des prêts aux mines de charbon et aux centrales thermiques. D’autre part, les régulateurs auraient décidé que, temporairement du moins, un accident dans une mine n’entraînerait pas automatiquement la fermeture des mines voisines pour enquête[11]. De très nombreuses petites mines dangereuses avaient été fermées en raison de risques exagérés d’accidents. Seront elles amenées à rouvrir ?
Dans un contexte chinois morose, du fait de la chute du géant immobilier Evergrande que pourrait bien suivre son rival Fantasia Holdings dont les dettes s’accumulent, la baisse d’activité industrielle due à l’impasse énergétique aura t’elle pour effet d’ébranler la confiance en Xi Jinping, actuellement capable d’écarter, ou d’incarcérer pour concussion, ses détracteurs ? Il nous faut en tout cas souhaiter que les dirigeants chinois ne cherchent pas à distraire leur pays de ces problèmes par des manœuvres extérieures aventureuses.
Denis LAMBERT
[1] Center for Research on Energy and Clean Air, « A New Coal Boom in China », https://energyandcleanair.org/publication/coal-power-projects-accelerate-after-covid-19-lockdown-a-new-coal-boom-in-china/ ,25 juin 2020.
[2] https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/china/#energy (chiffres de 2017). La production annuelle serait de 5,8 millions de GWh – principalement d’origine thermique – pour une capacité installée de 1600 GW (équivalent à 1000 tranches nucléaires françaises). La comparaison de ces deux chiffres fait apparaître un taux d’utilisation limité à 37 % en cette année 2017, dernière pour laquelle les chiffres soient publiés !
[3] Frédéric LEMAÎTRE, « La Chine subit les plus importantes pénuries d’électricité de son histoire récente », https://lemonde.fr, 29 septembre 2021.
[4] Frédéric SCHAEFFER, « En Chine, des coupures d’électricité forcent les usines à l’arrêt », https://lesechos.fr, 29 septembre 2021.
[5] Jeong Yong PARK, « Blackouts in China deprive North Korean factory workers of hot water and light », Radio Free Asia, https://rfa.org, 4 octobre 2021.
[6] https://www.chine-magazine.com, 1er octobre 2021.
[7] -20C en moyenne mensuelle pour janvier à Harbin – célèbre pour ses statues de glace.
[8] Jamie DETTMER, « China’s Energy Crisis Puts Global Economic Recovery at Risk », https://www.voanews.com/a/china-s-energy-crisis-puts-global-economic-recovery-at-risk/6256209.html, 4 octobre 2021.
[9] https://www.lefigaro.fr/flash-eco/crise-de-l-electricite-la-chine-ordonne-de-securiser-les-approvisionnements-20211001
[10] https://www.lefigaro.fr/flash-eco/la-chine-demande-a-72-mines-de-charbon-d-augmenter-leur-production-20211008
[11] François DANJOU, « Une fête nationale sous tensions économiques et stratégiques », https://www.questionchine.net/une-fete-nationale-sous-tensions-economiques-et-strategiques, 6 octobre 2021.