Hong Kong « sous contrôle »

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Hong-Kong avait connu l’agitation pendant la révolution dite culturelle, les émeutes et même des attentats, du temps où Mao cherchait à dégoûter les Anglais de leur domination sur le territoire (sans toutefois jamais aller trop loin : l’alimentation en eau par les énormes conduites n’a jamais été coupée…). En 1982, le fait que les Anglais aillent contre les Argentins récupérer les Malouines – de si peu d’intérêt, en particulier économique au contraire de Hong-Kong – avait déclenché une immense liesse – dont fut témoin l’auteur de ces lignes. Celle-ci fut dissipée par les accords du 19 décembre 1984 qui annoncèrent la rétrocession pour la date prévue, mais l’agitation ne reprit pas. Hong-Kong resta calme (sauf passagèrement lors du traumatisme de Tiananmen en juin 1989)[1], y compris au passage de l’Union Jack à la fleur de bauhinia le 1er juillet 1997.

Il faut rappeler que le principe « un pays, deux systèmes » inventé par Deng Xiaoping laissait une assez grande liberté aux habitants. Il apparaissait même prévu qu’avant la fin de la période de transition, l’élection de l’ensemble des membres du gouvernement s’effectue au suffrage universel direct. C’était le temps aussi où la Chine, n’étant pas encore devenue un colosse économique, avait besoin de Hong-Kong qui assurait une part très importante de ses échanges et communications avec le reste du monde (30 % contre 3 % maintenant). A cette époque, les optimistes pouvaient même penser que, dans une coopération harmonieuse des deux modes de sociétés, le problème de Taïwan pourrait s’effacer de lui-même. Xi Jinping, arrivé à Hong Kong ce 30 juin pour la célébration de la récupération de l’île il y a 25 ans prétend que le principe « un Etat, deux systèmes » est encore « plein de vitalité »[2] : c’est faux et la loi « sur la sécurité nationale » du 1er juillet 2020 a dissipé toute ambiguïté : tout ce qui n’est pas dans l’ordre de Beijing est puni d’emprisonnement, au moins.

La croissance de la Chine, reçue dans l’OMC au début du XXIème siècle, son affirmation toujours plus assurée d’elle-même et de son modèle, bien loin de l’humble discrétion prônée par Deng Xiaoping, se sont accompagnées d’un encadrement plus serré de l’île. A l’inverse, la globalisation de l’information augmentait le désir de liberté et de participation à l’administration locale. A l’époque, le Conseil législatif de Hong-Kong (le « Legco ») était composé de 70 membres, une moitié déterminée directement par les électeurs de cinq circonscriptions géographiques, l’autre moitié désignée par les délégués de district.

En août 2014, le gouvernement central proclama que, pour les élections de 2017, seuls seraient autorisés à concourir des candidats « patriotes » sélectionnés par les autorités. Ce fut le motif de la « révolution des parapluies » de mi-septembre à mi-octobre 2014, emmenée par le mouvement « Occupy Central », préconisant la « désobéissance civile ». Son nom provient de l’utilisation des parapluies comme bouclier contre les jets de gaz lacrymogènes. Finalement, en juin 2015, le Legco rejette la proposition qui avait causé les émeutes.   Aux élections des délégués de district, le 29 novembre 2019, 388 pro-démocratie sont élus contre 62 pro-Beijing et 2 indépendants !

Après le passage des « lois scélérates » de 2019 par Beijing, prévoyant le transfert de dissidents de Hong-Kong sur le continent et leur punition par des peines d’une extrême sévérité, la population s’est révoltée, les cortèges de manifestants atteignant un nombre supérieur à deux millions pour une ville de  7,5 millions d’habitants seulement, nourrissons et grabataires compris ! Les cortèges ont arpenté la ville dans le calme… et la propreté, les manifestants ramassant le moindre papier tombé à terre. Ce calme n’a pas duré. Des provocations par des truands stipendiés pour se faire passer pour des manifestants, en particulier étudiants, ont permis à la police d’utiliser contre les vrais manifestants des moyens de plus en plus brutaux, entraînant des réactions elles-mêmes inadmissibles[3], qui seules, bien sur, ont été présentées aux informations chinoises. De par cette présentation d’une partie seulement de la réalité, les étudiants du continent n’ont pas voulu s’associer à leurs camarades de l’île, contre lesquels ils ont au contraire accumulé les griefs : « ils ont toutes les chances et, non seulement ils protestent mais en plus ils sont violents… ». Exemple de la toute puissance de la propagande dans un Etat policier.

Beijing a réformé le système électoral encore trop démocratique pour lui. Le conseil est désormais composé de 90 membres, dont uniquement 20 sont choisis par les électeurs au suffrage universel direct parmi les 153 « candidats retenus », ce qui en 2021 a suscité 70 % d’abstentions[4], 30 par scrutin indirect de groupes socioprofessionnels, et 40 par un comité des partisans de la fusion avec le continent.

Un certain nombre de personnalités avaient été l’objet de  sanctions par le gouvernement américain[5], dont sept membres du gouvernement de l’île. Parmi elles se  trouvent :

– Carrie Lam, personnalisation de la main-mise de Beijing sur Hong-Kong, non reconduite,

– le chef de la police Steven Lo, parti en retraite depuis,

– la secrétaire à la Justice Teresa Cheng, non reconduite,

et quatre personnes appelées à faire partie du nouveau gouvernement local, qui a pris ses fonctions le 1er juillet, au 25ème anniversaire de la rétrocession[6]  :

– le chef de l’exécutif John Lee, ex-patron de la sécurité, connu pour sa répression des manifestations de 2019[7] et précédent numéro deux[8], seul candidat au poste suprême accepté par Beijing. La candidature de Lee a recueilli 99 % des suffrages d’un collège électoral sur mesure, dans lequel huit opposants ont courageusement osé se manifester,

– le ministre de la Sécurité Chris Tang, nommé en juin 2021 donc après les émeutes mais ayant supervisé les mesures d’isolement contre le Covid,

– le ministre des « Affaires constitutionnelles et continentales » Erick Tsang, les relations avec le continent étant forcément confiées à un convaincu,

– le nouveau secrétaire en chef pour l’administration Eric Chan.

La quasi totalité des membres du gouvernements sont des nouveaux. Parmi les membres non-officiels et n’ayant qu’un rôle de conseil, on remarque toutefois le plus ancien et plus âgé, Arthur Li, ancien vice-chancelier de l’Université, le libéral Tommy Cheung ou le vice président de l’alliance patronale avec Beijing, Jeffrey Lam[9].

Prétendre qu’ « après la réunification avec la mère patrie, les habitants de Hong Kong sont devenus les maîtres de leur propre ville » comme l’a affirmé le président chinois est il compatible avec la constatation que beaucoup de ceux qui peuvent fuir, environ 100 000 quittent la ville ? Comme le constate le Premier ministre  de Taïwan, Su Tsen Chang, « Il suffit de voir la souffrance des Hongkongais pour savoir si Hong Kong se porte mieux ou moins bien. Cela ne fait que 25 ans, et, dans le passé, la promesse était de 50 ans sans changement. L’engagement que « la danse continuera et les chevaux continueront à courir » a disparu, et même la liberté et la démocratie ont disparu »[10].

Mais les individus ont-ils une telle importance puisque les ordres viennent déjà de Beijing, où 7,5 millions apparaissent comme rien par rapport à 1,3 milliard ?

Denis LAMBERT


[1]    Hong-Kong recueillit même un certain nombre de dissidents ayant fui le continent.

[2]    Pierre Antoine DONNET, « Hong Kong : la députée Claudia Mo emprisonnée, symbole tragique de 25 ans de rétrocession », Asialyst, 1er juillet 2022,  https://asialyst.com/fr/2022/07/01/hong-kong-deputee-claudia-mo-symbole-tragique-25-ans-retrocession/

[3]    Les images de défense de l’université par des arbalètes improvisées mais néanmoins létales ont été désastreuses sur l’opinion.

[4]    https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/19/hongkong-faible-participation-au-scrutin-sans-opposition-verrouille-par-pekin_6106728_3210.html du 20 décembre 2021.

[5]    https://www.sinodaily.com/reports/New_Hong_Kong_cabinet_includes_four_under_US_sanctions_999.html du 19 juin 2022.

[6]    Marie-Violette BERNARD, « ‘’N’importe qui peut être arrêté’’ : à Hong-Kong la Chine réduit la société civile au silence »,France-Info le 1er juillet 2022.

[7]    Lauriane NEMBROT,  https://information.tv5monde.com/info/qui-est-john-lee-le-nouveau-chef-de-la-ville-de-hong-kong-nomme-par-pekin-455801 du 8 mai 2022.

[8]    Florence de CHANGY, https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/08/john-lee-ancien-policier-pro-pekin-va-diriger-hongkong_6125200_3210.html du 8 mai 2022.

[9]    https://en.wikipedia.org/wiki/Executive_Council_of_Hong_Kong (état du 2 juillet après neuf modifications la veille) et articles associés.

[10]  Pierre Antoine DONNET, article d’Asialyst cité ci-dessus.