Evolutions politiques des deux côtés du Pacifique

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Oc%C3%A9an_Pacifique

Côté Est

C’est le côté chinois (donc l’ouest vu du Pacifique) qui a ouvert le bal avec le plénum du parti communiste (PCC) qui s’est déroulé en octobre, ce qui a donné à la Chine un temps d’avance sur les États-Unis qui ne voient se dérouler leurs élections midterms que le 8 novembre. On y a vérifié le renouvellement de Xi Jinping, ce qui n’était pas un scoop. On y a vu aussi, presque avec stupeur, le secrétaire général et président précédent, Hu Jintao, emmené hors de l’estrade malgré sa volonté, sans que l’on sache si le motif de l’éviction était purement politique ou s’il se fondait sur un problème médical. Dans les deux cas, il y a perte de face, et donc de prestige, non seulement pour l’individu lui-même, mais pour sa faction (la Ligue des Jeunesses communistes, qui comprenait le Premier ministre Li Keqiang qui n’est pas renouvelé au Comité central). Le plaindre serait toutefois exagéré, sachant qu’avant d’être secrétaire général du parti et président, Hu avait été secrétaire du parti pour le Tibet et y avait laissé un souvenir abominable.

Le renouvellement du secrétaire général du parti n’était manifestement pas à l’ordre du jour. L’épuration récente de l’armée avec la nomination de généraux aux ordres de Xi montrait que celui-ci serait intouchable car s’étant débarrassé des têtes possibles de l’opposition. Bien dirigée, la lutte contre la corruption (d’ailleurs réelle) est un outil très efficace. De toutes façons, il était inutile d’espérer avoir affaire à de petits saints : pour arriver au Politburo[1], il faut avoir soigneusement marché sur la tête de ceux qui, au Comité central[2], auraient pu devenir des concurrents, et c’est plus vrai encore pour accéder au bureau permanent[3].

Par contre la composition de ce bureau politique permanent[4] donne une certaine idée de l’équilibre des pouvoirs, même si on vérifie que c’est la faction du secrétaire général qui est la plus représentée :

– Li Qian, 63 ans, actuel secrétaire du PCC de Shanghai, poste que Xi avait occupé en 2007, pourtant contesté pour sa gestion de la crise du Covid, a été chef de cabinet de Xi, quand celui-ci dirigeait le Zhejiang. Sa nomination en second derrière Xi indique qu’il devrait être le prochain Premier ministre.

– Zhao Leji, 65 ans, diplômé de philosophie, dirigeait la Commission disciplinaire du Parti ces cinq dernières années, chargé des hautes œuvres grâce à la lutte anti-corruption. Il pourrait présider le Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale.

– Wang Huning, 67 ans, considéré comme l’idéologue du parti (ancien professeur de sciences politiques) et francophile, est un natif de Shanghai qui a conseillé Xi.

– Cai Qi, 66 ans, dirige le parti à Beijing depuis 2014. Cette affectation était due à Xi avec qui il avait travaillé au Fujian. Il est diplômé d’économie politique.

– Ding Xuexiang, benjamin de 60 ans (le seul qui sera juste à la limite des 65 ans pour le XXI° congrès) est le secrétaire particulier de Xi.

– Li Xi, 66 ans, dirige le parti au Guangdong après avoir été adjoint à Shanghai. Il aurait été proche du père de Xi Jinping, l’ex-« immortel »[5] Xi Zhongxun. Il pourrait présider la commission disciplinaire du parti, organe d’élimination des mal-pensants puisqu’insuffisamment adeptes de la « pensée Xi Jinping ».

Aussi important que le choix des élus, est le rejet des déchus Li Keqiang avec son allié Wang Yang, pourtant parfois précédemment attendu comme son successeur au poste de Premier. Li Keqiang avait paru incarner le parti des partisans d’une autre politique, au point de prendre une stature « présidentiable »[6] : Xi Jinping n’a pu le supporter et l’a définitivement écarté même s’il reste Premier ministre jusqu’au plénum de l’Assemblée populaire. Après l’élimination du « gang de Shanghai » comme du « gang des Jeunesses communistes », ne reste de place que pour le « gang de Xi », parfois appelé « gang du Fujian », car c’est là que Xi forgea sa carrière dans le parti, comme vice-maire de Xiamen, puis comme gouverneur de cette province située face à Taiwan dont il sut attirer les investissements.

Ni le comité permanent, ni même le Politburo (bureau politique) tout entier ne comprend de femme. Quant aux élus, ils ont généralement plus de 60 ans sauf :

– Li Ganjie (57 ans),

– Chen Jining (58 ans), ministre de l’environnement,

– Li Shulei (58 ans), attendu comme chargé de la propagande,

– Zhang Guoshing (58 ans), peut-être futur vice-Premier ;

– Ding Xuexiang (60 ans), vice-Premier,

– Liu Guozhong (60 ans),

– Yin Li (60 ans, membre de l’Académie des Sciences de Russie), chargé des Sciences,

– Yuan Jiajun (60 ans) qui pourrait diriger Chongqing.

Huit membres seulement n’auraient que 65 ans et pourraient donc (selon les règles classiques qu’a chamboulées Xi) se retrouver au Comité permanent en 2027, dont seulement quatre pouvant être réélus en 2032 ! Sous la direction d’un leader de 69 ans, on est bien loin d’un renouvellement de génération.

Côté Ouest

Les élections américaines donnent un tout autre tableau. Une décrue catastrophique était attendue chez les Démocrates qui jusque-là étaient majoritaires à la Chambre des représentants, mais à égalité au Sénat où ils ne pouvaient imposer une loi qu’en faisant usage de la voix de la vice-présidente pouvant alors compter double. Or on constate :

– que les Démocrates ont effectivement perdu le contrôle de la Chambre, mais de très peu (213 contre 222, la majorité étant atteinte avec 218), ce qui devrait permettre d’obtenir le passage de lois bipartisanes. Sur la carte, le rouge, couleur des Républicains, domine[7], mais il s’agit des régions de moindre importance (sauf le Texas) qui s’estiment injustement délaissées, ce dont Donald Trump avait su tirer parti,

– qu’ils ont gagné un siège au Sénat (49 élus et deux indépendants favorables contre 49 Républicains. Là encore, la carte montre une tache rouge centrale entre la Nouvelle Angleterre et les Etats frontaliers du Pacifique (ainsi que le Nevada, l’Arizona et le Colorado).

Les « midterms » étant régulièrement mauvaises pour le président en poste, ce qu’une étude de l’American Presidency Project illustre[8] en remontant jusqu’à Roosevelt qui en 1938 perdit 81 représentants et 7 sénateurs (record absolu obtenu par un président pourtant considéré comme un des plus grands !). Le seul épargné au « jeu de massacre » est Georges W. Bush (junior) qui en 2002 gagna 8 représentants et 2 sénateurs dans la foulée des attentats du « 9/11 »[9] de 2001.

Le président Biden ne s’en tire donc pas trop mal, d’autant que les élections aux postes de gouverneur donnent des résultats similaires puisque les Démocrates dirigent :

– les Etats historiques de la Nouvelle-Angleterre, sauf le Vermont et le New-Hampshire,

– les Etats des grands lacs,

– la ceinture pacifique,

– deux Etats de la ceinture sud Arizona et New-Mexico[10],

– deux Etats du centre, Colorado et Kansas[11].

Sur l’âge des élus (ou réélus), une étude menée en 2021 montrait une moyenne de 59 ans (contre 38 ans pour la moyenne des Etats-Unis) et même 63 ans au Sénat où 70 % ont plus de 60 ans (environ 35 % pour les représentants)[12]. Mais les Etats-Unis ont déjà élu des présidents jeunes, souvent après une expérience de gouverneur de grand Etat. Or Gavin Newsom (Dem, Californie) a 55 ans, Kathleen Hobbs (Dem, Arizona) 53 ans, Brian Kemp (Rep Géorgie) 59 ans… Le Républicain Ron De Santis a été brillamment élu gouverneur de Floride (avec 60 % des voix) et ses 44 ans feront sûrement de l’ombrage aux 76 ans de Trump, qui vient pourtant de se porter candidat pour 2024. Il y a donc une relève côté américain.

Face à face, des deux côtés du Pacifique, les élections ont donc peu modifié le panorama politique précédent, même si Biden ne pourra faire accepter que des mesures modérées qui puissent recueillir le vote de Républicains conciliants. Or, si les Démocrates sont censés se ranger derrière leur président, le Grand Old Party se partage entre plusieurs courants[13] :

– les « Jacksoniens » attachés à la force de l’ordre pour l’intérieur, mais défiants de son usage hors des frontières. Steve Bannon conseillait Trump dans ce sens, et on voit le sénateur JD Vance (Ohio) et le représentant Wesley Hunt (Texas) pousser au refus de matériel pour l’Ukraine, afin de ne pas engager trop les Etats-Unis,

–  les « focalisés sur la Chine », ne croyant plus à la capacité des USA à soutenir deux guerres simultanées et prônant donc le retrait du reste du monde pour se concentrer sur la menace chinoise, quitte à abandonner l’Europe et le Moyen-Orient pour sauver Taïwan, donc le ralentissement de dons à l’Ukraine afin de réserver les ressources à l’essentiel,

– les « convaincus de la primauté américaine » persuadés que l’hégémonie reste possible si les Etats-Unis se donnent les moyens de sortir d’une position de faiblesse, y compris en utilisant les alliés européens. Mike Pompeo ou John Bolton[14] en font partie, et critiquent en particulier le retrait d’Afghanistan.

A noter que les trois groupes se rejoignent sur le refus de gêner le développement industriel pour des nécessités écologiques qu’ils ne tolèrent que si elles leur sont favorables. A contrario, leur opposition laisse au président Biden des possibilités de manœuvre dans le domaine diplomatique et militaire, puisque deux factions adverses sur trois sont d’accord avec lui sur l’importance de conserver le statu quo de Taïwan et la liberté de navigation dans les eaux de la Mer de Chine méridionale. Ce sont en effet, en politique non-économique, les deux points majeurs de friction entre les deux superpuissances, rendus plus évidents depuis les déclarations très agressives de Xi Jinping et surtout de ses représentants diplomatiques « loups guerriers ».

Conclusion

L’année 2024 sera une année électorale pour les Etats Unis, donc une année de vulnérabilité en même temps qu’un risque de surenchères[15]. Ce sera aussi l’occasion de changer la présidence de Taiwan, car Mme Tsai Ing Wen ne peut dépasser son second mandat. Xi Jinping déteste Mme Tsai et le parti DPP qu’elle représente, mais le parti KMT, plus conciliant envers la Chine continentale car il ne voulait connaître qu’une seule Chine, doit se réinventer maintenant que la fiction d’« un pays, deux systèmes » a été dissipée par la répression de Hong-Kong. Quelle sera alors l’attitude d’un Xi Jinping délivré de toute échéance électorale proche ? Croisons les doigts.

Denis LAMBERT


[1]      25 membres initialement, mais Xi a éliminé un nom.

[2]      205 membres

[3]      7 membres, ce qui correspond à une équipe resserrée comme la précédente.

[4]  Frédéric SCHAEFFER, « Chine : aux côtés de Xi Jinping, qui sont les hommes clés du pouvoir ? », les Echos, 23 octobre 2022, https://www.lesechos.fr/monde/chine/chine-les-hommes-cles-du-pouvoir-communiste-1872081

Asia Society, « Decoding the 20th Party Congress »,  https://asiasociety.org/policy-institute/decoding-chinas-20th-party-congress

[5]      C’est à dire ancien participant à la lutte contre le Guomindang avant 1949.

[6]      Alex PAYETTE, Asialyst, « Chine : le ‘’retour de Li Keqiang’’, un danger réel pour Xi Jinping », 4 juin 2022, https://asialyst.com/fr/2022/06/04/chine-retour-li-keqiang-danger-reel-pour-xi-jinping/

[7]      https://www.google.com/search?client=firefox-b-d&q=midterms+resultats

[8]      https://www.lepoint.fr/monde/midterms-les-resultats-serres-en-4-cartes-09-11-2022-2497007_24.php

[9]      Les Américains mettent le mois avant le jour dans une date.

[10]et la Louisiane dont le siège n’était pas mis en jeu.

[11]     Ainsi que le Kentucky et la North Carolina dont les sièges n’étaient pas mis en jeu.

[12]     Veronica MAGAN, « How old is the 117th Congress? », 2 février 2021, https://fiscalnote.com/blog/how-old-is-the-117th-congress

[13]     Majda RUGE, Jeremy SHAPIRO, « Polarised power: The three Republican ‘tribes’ that could define America’s relationship with the world », European Council on Foreign Relations, 17 novembre 2022, https://ecfr.eu/article/polarised-power-the-three-republican-tribes-that-could-define-americas-relationship-with-the-world/

[14]     Cf le compte rendu du livre de Mémoires de John Bolton « The Room Where It Happened » (Simon & Schuster, New York, 2020), publié sur le site de l’Institut du Pacifique par l’auteur de ces lignes.

[15]     Il y aura aussi des élections européennes, mais l’UE compte tellement peu dans le champ stratégique…