The Voice – qu’est-ce que c’est et pourquoi est-elle recherchée ?

Source : https://www.voyage-australie.com/blog/inspiration/visiter-uluru#images-1

Le samedi 14 octobre, les Australiens voteront sur une modification de leur Constitution. Pourquoi celarencontre-t-il une telle opposition ?

En 1770, James Cook cartographia la côte est du continent australien. En débarquant à Botany Bay, juste au sud de ce qui est aujourd’hui Sydney, il déclara le continent « terra nullius », c’est-à-dire n’appartenant à personne, malgré la présence évidente de civilisation humaine.

C’est ainsi qu’a commencé la traditionnelleopposition des Aborigènes d’Australie. En plus d’être massacrés et décimés par la maladie, les Aborigènes étaient également employés par des colons blancs. Ils étaient donc redevables de l’impôt sur le revenu et d’autres impôts, du service militaire et d’autres obligations, mais n’ont obtenu le droit de vote aux élections fédérales qu’en 1962. Entre-temps, dans un effort maladroitau milieu du XIXe siècle pour améliorer leur avenir, les enfants des Aborigènes étaient enlevés à leurs familles pour être élevés par des Australiens blancs, l’idée étant de « supprimer » leurs racines aborigènes et les intégrer à la communauté blanche. Cette politique a persisté jusque dans les années 1960, mais personne ne sait combien d’enfants ont été enlevés, car les Aborigènes n’ont été comptabilisés dans la population nationale qu’à partir de 1967où ils sont reconnus comme citoyens australiens.

Les demandes des groupes aborigènes pour une plus grande reconnaissance ont été sporadiques et modérées, et systématiquement menées par les voies légales. Les réponses du gouvernement et de la société ont été tout aussi sporadiques, voire hésitantes. Un exemple souvent cité est le rejet historique par la Haute Cour australienne en 1992 de la terra nullius, lorsqu’elle reconnaît le principe du « Titre Foncier Aborigène »en parallèle à celui de la« propriété de type européen ». Connue sous le nom de « arrêté de Mabo », elle reconnaissait que les droits aborigènes à la terre existaient en vertu des lois et coutumes ancestrales, et que ces droits n’avaient pas été entièrement perdus lors de la colonisation. Pourtant, aucun traité n’a jamais été conclu entre les groupes aborigènes et les héritiers des colons britanniques du XVIIIe siècle, comme ce fut le cas avec les Maoris de Nouvelle-Zélande et le Traité de Waitangi de 1840.

Les droits des groupes aborigènes ont souvent été bafoués :par exemple, en mai 2020, lorsque, malgré les vives protestations des groupes aborigènes, des grottes aborigènes préhistoriques aux Gorges de Juukan, en Australie occidentale, ont été démolies pour agrandir une mine de minerai de fer. La réaction du public a conduit à la démission du PDG de l’entreprise concernée, mais le mal était fait.

La destruction légale aux Gorges de Juukan est un exemple frappant de la manière dont les lois sur le patrimoine culturel du Commonwealth au niveau des États et des territoires, n’ont pas réussi à intégrer la reconnaissance des droits des aborigènes sur la terre et l’eau. Il est donc compréhensible que les Aborigènes souhaitent avoir l’assurance formelle que leurs opinions seront entendues sur les questions qui les concernent. Lors du référendum du 14 octobre 2023, les Australiens seront consultés pour modifier la Constitution dans le but d’accorder aux groupes aborigènes le droit d’exprimer leur point de vue sur la législation ou les politiques qui pourraient les affecter.

Les référendums ont du mal à être adoptés en Australie, car ils nécessitent unenette majorité de votes valides exprimés en faveur, à la fois dans l’ensemble du payset dans quatredes six États de la Fédération. Sur 44 référendums organisés depuis la Fédération en 1901, seuls huit ont abouti.

Même si la modification proposée à la Constitution vise à créer un organe purement consultatif, sans droit de veto, elle rencontre des niveaux d’opposition surprenants. Comme dans de nombreux processus démocratiques dans le monde ces jours-ci, les arguments fondamentaux sont brouillés par la désinformation et la propagande, émanant souvent de l’extérieur des côtes australiennes.

Il peut être difficile de faire le tri, car peu de gens ont suffisamment d’expérience directe sur les questionsaborigènes pour faire des choix réfléchis et éclairés. Mais une certaine réflexion peut aider à décrypter les arguments de l’hystérie.

L’une des questions est de savoir qui doit être considéré comme Aborigène, mais il n’y a pas de réponse claire, notamment parce que la politique d’éloignement des enfants de leurs familles a entraîné un très grand nombre de métissage. La proposition d’un référendum a été élaborée d’après la déclaration d’Uluru[1]en mai 2017. Lors de la campagne électorale de 2019, le thème est repris et donne lieu à la formulation proposée aujourd’hui dans la constitution :

The Voice sera choisie par les Aborigènes et les insulaires du détroit de Torres en fonction des souhaits des communautés locales.

  • Les membres de The Voice seront sélectionnés par les communautés aborigènes et insulaires du détroit de Torres, et non nommés par le gouvernement exécutif.
  • Les membres de The Voice serviront pendant une période de temps déterminée, afin de garantir une responsabilité régulière envers leurs communautés.
  • Pour garantir la légitimité culturelle, la manière dont les membres de The Voice sont choisis devra répondre aux souhaits des communautés locales et sera déterminée dans le cadre du processus post-référendaire.

C’est une tentative louable qui pourrait satisfaire la plupart des tribunaux. En effet, cela n’est pas différent des principes énoncés dans l’arrêté de Mabu de 1992 et n’est pas incompatible avec les principes de la Common Lawde Justice Naturelle et l’usage dans ledroit international.

Il est bien sûr regrettable qu’il semble nécessaire de faire une distinction entre les Aborigènes et les autres Australiens, et nous aimerions prétendre que tous les Australiens soient traités de la même manière. Mais ce n’est manifestement pas le cas : les taux de condamnation pour la petite délinquance témoignent de privations et de discrimination. Si l’on regarde plus loin les services d’éducation et de santé offerts aux Aborigènes, la même histoire se révèle.

Est-ce que The Voice pourrait être un sujet de discorde : une question bénigne qui ouvre la voie à des revendications plus importantes et moins raisonnables ? On voit mal comment, dans la mesure où la formulation proposée intègre le principe d’un avis consultatif et exclut expressément tout droit de veto.

Mais quels sont les vrais problèmes ici ? Le cas du site préhistorique détruit aux Gorges de Juukan offre un indice. Un coup d’œil sur une carte de l’Australie montre que bon nombre des gisements les plus importants de nickel, de chrome, de vanadium, de molybdène et de manganèse, ainsi que de minerai de fer et de métaux précieux, comme l’or et l’argent, coïncident avec des zones reculées où les Aborigènes constituent une grande proportion de la population, en particulier dans l’ouest et le nord-ouest de l’Australie.

Alors que la demande pour ces minéraux explose avec la transition vers les énergies propres, certains voient dans la conciliation avec les intérêts aborigènes, un moyende ralentir les projets, voire de réduire leur rentabilité. Dans certains cas, cela pourrait également influencer l’opinion publique, ce qui peut entraîner des demandes populaires pour une plus grande reconnaissance, voire même une compensation, de la part des groupes miniers envers ces aborigènes. Le piètre bilan des sociétés minières à ce jour en matière de respect de leurs engagements, d’indemnisation des groupes aborigènes et de respect des promesses de restauration des terres dans leur état antérieur, pourrait poser des problèmes aux sociétés minières cherchant des baux à l’avenir.

Les sources de l’opposition à cette proposition de référendum pourront sembler désormais assez différentes, en particulier dans le contexte de rivalité entre grandes puissances pour le contrôle des chaînes d’approvisionnement en minéraux essentiels. Les Australiens seront-ils capables de voir à travers la désinformation ce qui est réellement en jeu ?

Frances Cowell

Le 8 octobre 2023


[1]Uluru : site aborigène très important au centre de l’Australie