Les pêcheurs de Hainan

REPORTAGE – Dans le village de Tanmen, les hommes ne prennent pas seulement la mer pour pêcher dans des eaux aussi poissonneuses que disputées. Ils jouent également un rôle de défenseurs de la ligne de front de la souveraineté maritime chinoise.

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21 millions de pêcheurs

L’industrie de pêche chinoise compte aujourd’hui la plus grande flotte de    pêcheurs    du    monde,    avec    21 millions    d’hommes    et 439.000 navires, selon le Pentagone. Tanmen, 30.000 habitants, compte   officiellement   plus   de   8000 pêcheurs   et   300 vaisseaux

engagés dans les opérations dans les Spratleys. Historiquement, les pêcheurs de Hainan vivaient sur leurs bateaux. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir du Parti communiste chinois, qui imposa la mise en place de collectivités de pêcheurs dans les années 1950, pour endoctriner ces populations flottantes et les empêcher de fuir vers Hongkong. Leur rôle de supplétifs d’une marine chinoise sinistrée pendant des décennies et leur mission essentielle, visant à nourrir la population, leur permit par la suite de jouir d’une relative autonomie.

Pékin, qui revendique 90 % de la mer de Chine face au Vietnam, aux Philippines, à la Malaisie, à Brunei ou à Taïwan, s’appuie en grande partie sur l’histoire de leur présence pour faire valoir ses ambitions territoriales. «Les pêcheurs de Tanmen sont amphibies. Ils vivent aussi bien sur terre qu’en mer. Sans eux, la ville de Sansha n’existerait plus», souligne Zhou Weimin… Située sur l’île de Woody, dans l’archipel des Paracels, la préfecture de Sansha abrite une batterie de missiles, une piste d’atterrissage militaire et une base comprenant des capacités de stockage de carburant. Lors de sa visite à Tanmen, en avril 2013, Xi Jinping a rendu un hommage appuyé à «l’héroïsme» de ces pêcheurs en commémorant «l’incident du récif de Scarborough» survenu un an plus tôt. Huit hommes de Tanmen avaient alors défié un navire de guerre philippin dans les eaux revendiquées par Manille.

Surpêche et nationalisme

Les autorités chinoises multiplient les remblaiements de récifs dans les eaux disputées, créant des bases militaires devant servir d’avant-postes. Mais surtout des points d’appui logistiques pour les activités civiles, essentiellement touristiques et de pêche. Selon un récent rapport du Pentagone, la présence des pêcheurs chinois permet à la République populaire de se frotter de plus en plus régulièrement aux bâtiments de guerre américains, envoyés par Washington pour défendre la «liberté de navigation» en mer de Chine. Ainsi, le gouvernement chinois peut faire grimper la tension autour de ses revendications territoriales, tout en minimisant le risque de confrontation militaire. Pékin prévoit de créer une base pour accueillir un navire de sauvetage sophistiqué dans l’archipel disputé des Spartleys. Le navire, qui transportera des drones et des robots sous-marins, sera installé au second semestre de cette année, déclare Chen Xingguang, commissaire politique du navire, qui dépend du bureau des secours du ministère des Transports pour la mer de Chine du Sud. Le bureau dispose de 31 navires et de quatre hélicoptères pour des missions de sauvetage dans cette mer.

Pour l’écrivain Zhou Weimin, assis face à une grande carte murale peinte dans un hall d’hôtel de Tanmen, sur laquelle l’un de ses amis plante des petites barques de pêche marquant la présence chinoise, la légitimité des revendications de Pékin ne souffre pas l’ombre d’un doute. La surpêche autour de ses côtes et l’épuisement de ses ressources halieutiques ont poussé la Chine à s’éloigner de plus en plus vers le large. Cependant, pour Zhou, le phénomène n’est pas nouveau. «Depuis l’époque des Ming, les pêcheurs de Tanmen ont découvert la richesse des eaux lointaines de mer de Chine, avance-t-il. Nous y allons pour attraper le mérou et des fruits de mer précieux. Les autres pays ne s’y intéressent que depuis  quelques  décennies.  Parce  qu’ils  ont  les  moyens  d’acheter  les  trésors  de la mer exploités par nos pêcheurs. Et parce que du pétrole a été découvert. C’est ce qui a réveillé l’appétit territorial des Philippins et des autres.»

Tout comme Pékin, l’écrivain refuse que les différends soient tranchés par la Cour internationale de justice (CIJ). «Les Occidentaux ne cessent de changer les règles pour affaiblir la Chine, estime Zhou.

Cette loi, qui a attribué une zone de 200 milles autour des côtes de la Malaisie, des Philippines et du Vietnam dans les années 1980 n’a aucun sens. Pendant des siècles, ils n’ont pas remis en cause notre souveraineté»… L’empire du Milieu était alors la puissance incontestée dans la région. Les voisins de la Chine s’empressent de faire valoir leurs revendications tant que Washington ose encore leur offrir un appui face à la future puissance dominante.

25/05 – http://www.lefigaro.fr (extrait)