Incident dans le détroit de Formose

 Vendémiaire. Crédit photo : Sirpa, Armées.

Civilisation majeure depuis quatre millénaires, la Chine retrouve la position qu’elle avait perdue au XIXème siècle comme puissance économique essentielle et se retrouve maintenant aux côtés des Etats-Unis. Cette ascension incroyablement rapide a été rendue possible par les règles de la compétition et de l’équilibre international. Ces règles reposent sur un certain nombre de principes, parmi lesquels la libre circulation sur les mers, y compris pour les navires militaires. Un événement récent peut nous inquiéter sur le respect de ces règles.

Le 6 avril de cette année 2019, la frégate française Vendémiaire[i] s’apprêtait à traverser le détroit de Formose entre la république populaire de Chine et Taiwan, conformément aux règles du droit maritime international en termes de passage en transit dans les détroits. Le navire a alors été sommé de quitter les lieux, ce qui fait partie des habituelles tentatives chinoises d’intimidation contre tout navire considéré comme violant  le droit international… tel que l’interprète la RPC. Notre bâtiment a alors poursuivi sa route vers le nord via le détroit, surveillé par  au moins un bâtiment de la marine chinoise jusqu’à la sortie.

Il ne s’agit pas d’une « interception », manœuvre correspondant par exemple à un blocus de guerre, ni d’un « arraisonnement », signe d’hostilité, mais d’une « interpellation » ou « mise en garde », geste inimical certes mais d’une portée diplomatique limitée. Le Vendémiaire a poursuivi sa progression via une  route respectant la législation internationale et les droits des pays riverains et, en  prétendant que le Vendémiaire a violé ses eaux territoriales, la RPC abuse une fois de plus de son interprétation erronée du droit de la mer.

En effet, dans le détroit, dont la largeur varie entre 180 et 130 km, les eaux territoriales (12 milles marins, soit quelque 22 km) des deux entités chinoises ne se rejoignent absolument pas. En revanche ces deux dernières se partagent la partie centrale, hors mers territoriales, soit une bande de 136 à 86 km. C’est la partie de zone économique exclusive (ZEE) dont les deux rives chinoises, communiste et nationaliste, disposent chacune pour partie et qui se partage en deux selon une ligne médiane virtuelle. Or une ZEE, hors secteur recouvert par la mer territoriale, n’est en aucun cas une mer territoriale. Par conséquent elle ne peut pas être sous souveraineté des pays riverains mais seulement sous droits souverains limités à des droits économiques et aux opérations de police qui s’y attachent[ii]. Or la Chine refuse le verdict, en date du 12 juillet 2016, de la cour permanente d’arbitrage de la Haye répondant à un appel de la République des Philippines.

Selon cette cour internationale chargée d’arbitrer les problèmes liés à la Convention sur le dropit de la mer (CNUDM) les prétentions de la RPC sur la quasi-totalité de la mer de Chine du Sud selon le « tracé en neuf traits », sont « sans effet légal ». Rappelons que la Chine est signataire de la CNUDM.

Même si on considérait Taiwan comme appartenant à la RPC, celle-ci n’aurait aucun droit de possession exclusive du détroit : elle conserverait sa zone territoriale en y ajoutant celles de Taiwan et de ses îles (trop souvent oubliées) et sa ZEE en y ajoutant de la même façon celle des îles. Mais le détroit ne satisfait pas aux conditions archipélagiques permettant le classement en mer intérieure : en droit international, le détroit resterait ouvert à la navigation, même militaire, pacifique.

D’une façon surprenante, cet incident n’a fait l’objet d’aucune publication avant que l’information de soit divulguée par Reuters, 19 jours après les faits[iii]. Il a alors été repris par la presse internationale, citant la version du porte-parole chinois Ren Guoqiang : « L’armée chinoise a envoyé des bateaux de guerre conformément à la loi, afin d’identifier le navire français et lui intimer l’ordre de partir ». Le communiqué officiel de la Défense y répond en s’excusant presque : « Nous sommes en contact étroit avec les autorités chinoises au sujet de l’incident évoqué ce matin par le porte-parole du ministère chinois de la défense », sans rappeler le bon droit de notre Marine[iv].

Reuters ajoute : « Conséquence de la présence de cette frégate, la Chine a fait savoir à la France qu’elle n’était plus invitée à une revue navale chinoise à l’occasion des 70 ans de la création de la marine chinoise(…). Des bâtiments de guerre indiens, australiens et de plusieurs autres pays y ont pris part ».

La Chine se montre chatouilleuse au sujet de Taiwan qui a quitté l’ONU en 1971 en réaction à son éviction de son siège permanent au Conseil de Sécurité, conféré à la RPC. Depuis l’élection en Janvier 2016 de Tsai Ing Wen, Beijing hausse le ton : « Nous ne promettons pas de renoncer au recours à la force et nous nous réservons le droit de  prendre toutes les mesures nécessaires », a déclaré en janvier dernier le président chinois Xi Jinping. Pour la première fois depuis une décennie, des avions de combat de l’armée populaire de libération (APL) ont franchi la ligne médiane du détroit, et pénétré une dizaine de minutes dans l’espace aérien taïwanais[v].

Denis LAMBERT

08/05/2019


  1. [i]     Bâtiment de la classe Floréal de 2950 tonnes, la Vendémiaire (F-734) est armée de missiles « Exocet », d’un canon de 100 mm et de deux de 20 mm. Elle est classée « frégate de surveillance » car, bâtie sans caractéristiques militaires lourdes de construction, elle appartiendrait plus logiquement au corps des Garde-côtes – si la France en avait institué un – qu’à la Marine nationale de guerre. Les 6 frégates de cette classe sont d’ailleurs basées à Papeete (Tahiti), à Nouméa (Nouvelle-Calédonie), à Fort de France ( Martinique) et à la Pointe des Galets (Réunion). https://www.defense.gouv.fr/marine/equipements/batiments-de-patrouille-surveillance/fregates-de-surveillance/floreal-f-730

[ii]    Général (2S) Daniel SCHAEFFER, ancien attaché de défense dans la région, y compris à Beijing, membre du groupe Asie21-Futuribles, cité par La Vigie, 02/05/2019 : https://www.lettrevigie.com/blog/2019/05/02/incident-franco-chinois-dans-le-detroit-de-taiwan-recadrage-d-schaeffer/

      Cet article en date du 30 avril 2019 avait été publié dans la revue Futuribles n° 127, Avril 2019.

[iii]    « Frégate française dans le détroit de Taïwan le 6 avril, selon des responsables US », Reuters, 24/04/2019, https://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKCN1S02BF-OFRTP?feedType=RSS&feedName=topNews

[iv]   Nathalie GUIBERT, Brice PEDROLETTI, Le Monde, 26/04/2019, « Tensions entre la France et la Chine après le passage de la frégate « Vendémiaire » dans le détroit de Taïwan », https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/26/frictions-franco-chinoises-dans-le-detroit-de-formose_5455071_3210.html

      Le lecteur appréciera le changement de nom du détroit d’un titre à l’autre…

[v]    Vincent GROIZELEAU, Mer et Marine, 29/04/2019, https://www.meretmarine.com/fr/content/pekin-proteste-contre-le-passage-du-vendemiaire-dans-le-detroit-de-taiwan