L’intronisation du 126ème empereur du Japon

Sacre de Naruhito – Source AFP

Lors d’une cérémonie restreinte (et en l’absence de l’impératrice) en mai dernier, l’empereur Naruhito a reçu les symboles de la Maison impériale (voir article du 10 juin 2019). Mais il ne s’agissait que de la première étape de sa nouvelle vie d’empereur durant une période de « transition » qui se termine par la proclamation officielle le 22 octobre.

Le 22 octobre 2019, une cérémonie d’intronisation « somptueuse et étrange » s’est déroulée en présence de la famille impériale (dont le prince héritier Akishino, neveu de l’empereur), de nombreux invités (2500, alors qu’ils étaient 2200 en 1990) et des représentants de 180 Etats étrangers. Autrefois, les festivités d’intronisation étaient célébrées un an après l’accession au trône afin de respecter l’année de deuil suivant le décès du précédent empereur. Mais en 2019, l’empereur Akihito ayant abdiqué, le délai a été raccourci.

En revanche, les rituels codifiés au VIIème siècle sont respectés, mais tiennent compte des adaptations instaurées en 1915 pour l’intronisation de l’empereur Taisho (premier empereur à accéder au trône depuis l’ordonnance de 1909 du Gouvernement Meiji : les cérémonies d’accession au trône se déroulent selon l’article 11 de l’ancien code impérial du Palais de Kyoto. Pour la première fois, le rituel ancestral devient une cérémonie internationale en présence de représentants étrangers. L’empereur et l’impératrice, vêtus des tenues traditionnelles d’apparat datant de l’époque Heian, se sont pliés aux rites de l’intronisation dans la « salle des Pins », partie la plus officielle du Palais impérial dans le silence et la solennité, seulement rythmés par des coups de gongs et des roulements de tambour. Les membres de la Maison Impériale portaient aussi leur tenue protocolaire.

La cérémonie du 22 octobre, première séquence de cérémonies qui s’étalent sur plusieurs semaines, a comporté plusieurs phases :

  • Une cérémonie « à huis clos » dans trois petits temples où l’empereur « informe » les ancêtres et la déesse du soleil Amaterasu,
  • Une cérémonie publique où l’empereur a promis de « respecter la constitution et de se tenir aux côtés de son peuple »,
  • Les félicitations présentées par le Premier Ministre Shinzo Abe qui invite les invités à crier par trois fois « Banzaï » en l’honneur du souverain (La signification de 10 000 ans pourrait se traduire par « longue vie à l’empereur »),
  • Un banquet en fin d’après-midi avec 400 invités (gouvernement japonais et dignitaires étrangers)
  • Une cérémonie du thé le lendemain avec l’ex-couple impérial.

A noter : Le défilé du couple impérial, point culminant des cérémonies, qui devait suivre, a été reporté au 10 novembre en raison des dégâts liés au typhon Hagisis des 12 et 13 octobre. Les moyens humains, nécessaires pour la sécurité du défilé, ont été plutôt consacrés aux sinistrés du cyclone.

Le 10 novembre, s’est déroulé le premier défilé depuis 1993 (mariage de l’actuel couple impérial) permettant de « voir l’empereur » sur un parcours de 4,6 km en une demi-heure.

Le 23 novembre, se déroulera le rite de la Fête des récoltes de tradition shintoïste seulement une fois au début de chaque règne, à la fin de la récolte du riz dans le sanctuaire d’Ise. Si le rite shintoïste est préservé, la cérémonie devrait être plus modeste par mesure d’économie. L’empereur déposera du riz sélectionné et préparé selon les rites par les prêtres[1], du saké et des offrandes destinées à la déesse Amaterasu et aux autres dieux du rite shintoïste. Puis il remercie pour la paix et les récoltes, ensuite l’empereur et son entourage mange les offrandes. Le nombre d’invités devrait être ramené de 700 à 200, et les bâtiments construits devraient être plus sommaires.

Tradition certes, mais aussi prise en compte des réalités contemporaines

Le report du défilé traditionnel, moment fort des cérémonies de proclamation, a été décidé en raison des dégâts du cyclone Hagipis. C’est la preuve de l’adaptation possible des rites aux contraintes politiques et sociales actuelles du pays.

Autre élément méritant d’être souligné : le Premier Ministre de la Corée du sud représentait son gouvernement aux cérémonies, soulignant ainsi la volonté d’améliorer les relations bilatérales, et de dépasser les tensions liées à l’Histoire pour l’avenir (depuis 2018, les tensions sont liées à la demande d’indemnisation des victimes coréennes du travail forcé durant le régime colonial japonais de 1910 à 1945)[2]. Le Japon estime cette question réglée depuis l’accord signé en 1965 normalisant les relations diplomatiques entre les deux pays, mais de nouvelles négociations sont en cours.

Ici encore, le côté rituel de la proclamation de l’empereur peut s’insérer dans les contraintes diplomatiques du moment.

L’avenir de l’institution impériale au XXIème siècle

Naruhito veut incarner un Japon moderne poursuivant les orientations données par son père, en conflit avec les conservateurs. Il souhaite instiller une dose de progressisme dans la société, aidé en cela par son épouse Masako, ancienne diplomate, parlant parfaitement anglais et français. C’est le premier couple impérial qui a fait des études universitaires, qui a vécu à l’étranger et qui parle plusieurs langues, dérogeant notamment aux usages protocolaires en n’utilisant pas d’interprètes pour leurs échanges avec les chefs d’Etat étrangers ….

Malgré les entraves et le poids de la tradition, « l’impératrice Masako se comporte de manière très naturelle et incarne une forme d’égalité des genres » (Pr Miyashiro Eiichi). Les nationalistes conservateurs sont opposés à cette évolution qui, à leurs yeux, altère l’identité nationale. Deux incidents sont relatés par les observateurs : en mai dernier, Masako a pris la parole avant son mari lors de la réception du couple Trump ; cet été, lors d’une cérémonie officielle, elle se tenait sur la même ligne que son mari (et non derrière lui).

Ce sujet est d’autant plus sensible qu’il n’y a plus d’héritier mâle après le Prince neveu de l’empereur (13 ans). L’arrivée d’une femme sur le trône, si elle n’est pas impossible (cf l’article de juin), suppose une réforme. 70% des Japonais y seraient favorables. Le Prince Akishino a été associé à une visite officielle au Bhoutan en juillet dernier ; est-ce la première étape d’une préparation progressive aux responsabilités ? Le Japon est aujourd’hui un des rares pays à succession patrilinéaire, avec quelques pays musulmans comme l’Arabie saoudite ….

La lourdeur de l’institution et le caractère suranné des traditions de la Maison impériale ne semblent cependant pas contestés par la majeure partie de la population (70% des Japonais les approuvent).Le financement des cérémonies d’intronisation a suscité un débat dans la mesure où la constitution affirme le principe de séparation entre l’Etat et la religion. L’Etat ne finance donc pas les activités religieuses. Mais la constitution reconnait aussi la filiation héréditaire de l’empereur et la fête des récoltes comme une cérémonie traditionnelle d’accession au trône, avec un caractère public. Donc il s’agit d’un rite public de la Maison impériale qui sera financé sur le budget alloué aux activités de la famille impériale.

L’empereur n’a pas de rôle politique, mais il est unanimement respecté, il n’existe pas de caricature de la famille impériale dans la presse comme c’est le cas en Grande Bretagne, par exemple. Cependant le décalage est de plus en plus grand entre les traditions de la Maison impériale et la relative modernité des derniers empereurs.

Le nouvel empereur aura la tâche délicate de se rapprocher du peuple japonais, suivant la ligne initiée par son père, et d’ouvrir le pays sur le monde, tout en préservant les traditions impériales millénaires.

Hélène Mazeran

Sources :        Libération, 22 octobre 2019

                        Régis ARNAUD,  Le Figaro, 23 octobre 2019

                        Yann ROUSSEAU, Les Echos, 22 octobre 2019

                        Richard COLLASSE, Le Point, 22 octobre 2019

Reuters, 16 et 17 octobre 2019

AFP, 22 octobre 2019 et 10 novembre 2019


[1] Les prêtres déchiffrent les craquelures de morceaux de carapaces de tortues brûlés à petit feu dans des brindilles de bois de cerisier venant des montagnes de Nikko.

[2] Cf l’exposition sur la résistance coréenne.