Présence de la Chine dans les instances internationales : justice ou entrisme ?

Le président chinois Xi Jinping s’adresse à l’Assemblée générale des Nations unies à New York lundi. JOHN MOORE / AFP

La Chine constitue un cinquième de l’humanité. Elle représente la seconde économie du monde avec un produit de 12 000 milliards de  US dollars en taux de change mais la première avec 23 000 milliards de  US dollars en équivalence de pouvoir d’achat, dépassant alors les 19 500 milliards de  US dollars des Etats-Unis et les 20 800 milliards de  US dollars de l’UE (qui n’est en rien une nation)[i]. C’est aussi la première nation commerçante. Il n’est donc pas étonnant que son influence s’affirme et qu’elle veuille jouer un rôle majeur dans les instances de gouvernance mondiale, comme dans le reste de l’activité de la planète[ii]. La présence croissante de ses nationaux a été dénoncée : est-elle logique ou agressivement excessive ?

Parmi les nations du Conseil de Sécurité de l’ONU, la Chine fournit le plus de casques bleus : 2500 soldats en infanterie, police, génie civil ou effectif humanitaire. La Chine en 2019 fournit  avec 15 % la 2ème contribution aux opérations (budget 6,5 milliards de  US dollars) parmi les pays du Conseil de Sécurité, et est le 2ème contributeur à l’ONU (auparavant : le Japon). Elle peut ainsi augmenter son influence sur la direction des Opérations, et on l’a accusée de le faire aux dépens de la France, 6ème contributeur à hauteur de 5,6 %. L’ambassadeur Jean-Pierre Lacroix, secrétaire général adjoint de l’ONU auprès d’Antonio Gutterez, est néanmoins depuis le 1er avril 2017 chargé des opérations de Maintien de la Paix[iii] succédant à quatre prédécesseurs français : Bernard Miyet (1997-2000), Jean-Marie Guéhenno (2000-2008), Alain Le Roy (2008-2011) et Hervé Ladsous (2011-2017)[iv]. Aussi n’est-il pas excessif que le chinois Huang Xia vienne d’être nommé commissaire de l’ONU pour la région des Grands Lacs.

Liu Zhenmin (ancien vice-ministre chinois) est sous-secrétaire général, chef du département des Affaires économiques et sociales (UNDESA) depuis juillet 2017[v]. Ses deux prédécesseurs étaient aussi chinois : Sha Zukang (2007-2012) puis Wu Hongbo (2012-2017)[vi]. Ce n’est donc pas une prise d’influence très récente.

Li Yong (ancien vice-ministre chinois des Finances) est chef de l’Agence pour le Développement industriel (UNIDO)[vii] . Le conseil de l’Agence compte en tout une cinquantaine de membres et le comité des programmes et des budgets à peu près la moitié[viii], sans qu’aucun pays ne puisse mander plus d’un représentant.

Au Programme de Développement (PNUD), l’Agence régionale Asie-Pacifique était dirigée par Xu Haoliang devenu sous-secrétaire général de l’ONU et directeur du Bureau de l’appui aux politiques et aux programmes du PNUD[ix].

Grâce à une promesse de participation  de 200 M$ sur 10 ans de la Chine, un Fonds d’affectation spéciale pour la Paix et le Développement (UNPDF) a été créé par l’ONU en 2016[x]. Il y a 4 chinois au comité directeur dont l’ambassadeur auprès de l’ONU, Ma Zhaoxu, et le secrétaire général adjoint aux Affaires économiques, Liu Zhenmin (chef de l’UNDESA). Les projets et activités sélectionnés pour être financés par le Fonds d’affectation spéciale sont approuvés par le Secrétaire général sur recommandation d’un Comité directeur composé de représentants du Secrétariat de l’Organisation et du Gouvernement donateur.

Au FMI, Zhang Tao, ancien sous-gouverneur de la Banque de Chine, est l’un des deux directeurs adjoints[xi]. Le secrétaire est Lin Jianhai[xii]. Tous deux détiennent d’ailleurs des diplômes de PhD américains. La Chine a maintenant 6 % des voix contre 2,4 % en 2011…

Membre de l’OMC depuis 2001, dont l’un des 4 directeurs est Yi Xiaozhun (ancien vice-ministre chinois), la Chine conserve les avantages d’un pays « en développement ». On ne voit pas pourquoi elle abandonnerait d’elle même les avantages qui lui ont été concédés par des négociateurs occidentaux à bien courte vue. Il serait pourtant logique que cet essor, dont elle est légitimement fière, corresponde à une diminution de ces avantages. La Chine doit prendre en compte qu’elle est devenue une nation riche, même si ses citoyens sont restés globalement aussi pauvres que riches : en 2017 le PIB  par tête, compté en pouvoir d’achat, a atteint 16 500 $, ce qui ne correspond qu’au 105ème rang, intermédiaire  entre les Etats-Unis (60 000 $) et l’Inde (7 200 $)[xiii]. En fait, coexistent en Chine une nation toujours pauvre (mais plus dans l’extrême pauvreté) et une nation riche, comprenant environ 250 millions de membres, dont de nombreux super-riches, mais d’autres pays souffrent d’une pareille coupure.

A la Banque mondiale, le président est David Malpass, américain, mais le numéro 2 et directeur général (Managing Director and World Bank Group Chief Administrative Officer) est Yang Shaolin, ancien directeur général de la Coopération au ministère des Finances chinois[xiv]. La Chine comme  pays « en développement » reçoit à ce titre 2 milliards de  US dollars de prêts annuels de la BM – alors qu’elle-même prête à tout va pour son influence politique ! Là encore, l’évolution de la situation économique inciterait à une évolution d’avantages moins justifiés aujourd’hui.

A l’Organisation de l’Alimentation et de l’Agriculture (FAO) de Rome, Qu Dongyu (précédemment vice-ministre chinois de l’Agriculture) a été élu nouveau directeur général le 23 juin 2019 pour prise de fonction au 1er août. Des ressortissants du Royaume-Uni  avaient occupé le poste de 1945 à 1948, puis des Etats-Unis de 1948 à 1954, les plus longs mandats ayant été ceux d’Edouard Saouma, libanais, de 1976 à 1993, et de Jacques Diouf, sénégalais, de 1994 à 2011[xv].

La vice-présidente de la Cour de Justice internationale de La Haye qui compte 15 juges  est, depuis 2015, Mme Xue Hanqin, professeur de droit et ancienne ambassadrice de Beijing auprès de l’ASEAN[xvi].  Or l’arrêt de la Cour d’Arbitrage, qui avait tranché contre la Chine dans le différend maritime avec les Philippines, date de juillet 2016. Un juge représentant un pays engagé dans l’affaire jugée est de toute façon remplacé par un « juge ad hoc »[xvii]. Le président était alors Ronny Abraham, conseiller d’État et conseiller juridique des Affaires étrangères, nommé en même temps qu’elle[xviii].

Certes, quelques autres nominations ont été regrettées pour divers motifs. A l’Union internationale des Télécommunications, le secrétaire général Zhao Houlin profite de son poste pour défendre Huawei. A l’Organisation de l’Aviation civile internationale, la présidente Liu Fang a été renouvelée malgré l’accusation de cyberattaques chinoises qu’elle avait refusé de prendre au sérieux. Enfin, le directeur d’Interpol Meng Hongwei a dû quitter la place, mais c’est parce que la Chine l’a inculpé et emprisonné. L’actuel président est le sud-coréen Kim Jong-Yang depuis 2018.

Le tableau final est donc contrasté. On ne peut guère juger de la position internationale de la Chine avant 1980, en raison de son isolement avant 1972 puis des convulsions causées par la mort de Mao et par les luttes intestines avant la stabilisation. Elle a tardé à rattraper son retard de représentation internationale, d’autant que la philosophie de Deng Xiaoping était de se monter discret et d’attendre. L’émergence  ultérieure a exigé de comprimer les étapes, ce qui motive une certaine irritation, provenant plus de la dynamique du phénomène que de son ampleur. Mais il ne faudrait pas que cette tendance s’exagère.


[i]     https://www.cia.gov/library/publications/resources/the-world-factbook/fields/208rank.html#CH

[ii]    Eric Chol, Gilles Fontaine, « Il est midi à Pékin : le monde à l’heure chinoise », Fayard (2019).

[iii]    https://onu.delegfrance.org/Maintien-de-la-paix-10174

[iv]   https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9partement_des_op%C3%A9rations_de_maintien_de_la_paix

[v]    https://www.un.org/development/desa/statements/

[vi]   https://www.un.org/development/desa/statements/previous-usg.html

[vii]   https://www.unido.org/who-we-are-structure-director-general/biography

[viii]  https://www.unido.org/resources-policymaking-organs/programme-and-budget-committee

[ix]   https://www.undp.org/content/undp/fr/home/about-us/our-leadership.html

[x]    https://www.un.org/fr/unpdf/index.shtml

[xi]   https://www.imf.org/fr/About/senior-officials

[xii]   https://www.imf.org/en/About/senior-officials/Bios/jianhai-lin

[xiii]  https://www.cia.gov/library/publications/resources/the-world-factbook/fields/211rank.html#CH

[xiv]  https://www.worldbank.org/en/about/people/s/shaolin-yang

[xv]  http://www.fao.org/news/story/fr/item/1199195/icode/

[xvi]  https://www.icj-cij.org/files/members-of-the-court-biographies/xue_fr.pdf

[xvii] https://www.icj-cij.org/fr/juges-ad-hoc

[xviii]      https://www.icj-cij.org/fr/membres-actuels

Denis LAMBERT