Introduire la Chine dans la limitation des armements nucléaires ?
Le seul traité de limitation stratégique encore valable est le traité New-START, signé à Prague le 8 avril 2010 par les présidents Obama et Medvedev (pendant son « intérim » de Vladimir Poutine) et entré en vigueur le 5 février 2011 pour une durée de 10 ans.
Il fait suite au traité START 1, signé le 31 juillet 1991par les présidents Bush senior et Gorbatchev, entré en vigueur le 5 décembre 1994 pour une durée de 15 ans, prévoyant un plafond de 6000 têtes nucléaires (réparties en catégories limitées, pour un total de 1600 vecteurs). New-START remplace et améliore le traité SORT signé le 24 mai 2002 par les présidents Bush-junior et Poutine, pour une entrée en vigueur le1er juin 2003, abaissant les arsenaux au niveau de 1700 têtes et 2200 têtes déployées (ce qui n’élimine toutefois pas les engins en réserve).
START 2 censé diminuer les arsenaux, signé par les présidents Bush senior (in extremis avant l’arrivée de Clinton) et Eltsine, le 3 janvier 1993, n’est jamais entré en vigueur.
Le traité New-START diminuait encore les arsenaux, avec un nombre de têtes compris entre 1700 et 2200, mais pour un nombre maximal de lanceurs ramené à 800 dont seulement 700 déployés. Cette limitation impose de réduire la multiplicité des têtes sur les missiles MIRVés, en particulier les ICBM Minuteman-III américains, dont une grande partie sont devenus mono-têtes, et les SLBM Trident-II, originellement prévus pour un maximum de 8 têtes. Cette réduction de multiplicité rend moins intéressants les missiles super-lourds comme le SS-18 Satan, ex-soviétique, ou ses successeurs possibles (comme le SS-X-30 Sarmat) qui représentent la menace la plus inquiétante aux yeux des Américains.
La validité de New-START est donc sur le point de cesser, en février 2021 (encore que, en cas d’accord mutuel, il puisse être prolongé, ce qui explique les négociations en cours). Or le président Trump ne semble pas très intéressé par ce sujet qui ne touche pas l’économie au sens large et qui jouerait peu pour appuyer sa réélection. De son côté, le président Poutine s’est senti poussé par l’attitude américaine à lancer un réarmement russe qui comprend un volet nucléaire prévoyant de nouveaux vecteurs (pour les engins, il est impossible de le savoir) y compris de vecteurs innovants comme des planeurs hyper-véloces pilotables (donc plus difficiles à abattre par des défenses anti-missiles conçues contre des engins purement balistiques). Les discussions se poursuivent cependant depuis mai (après l’isolement dû au coronavirus), à Vienne, siège de l’AIEA.
Le Département d’État américain a annoncé le 9 juillet qu’il invitait le gouvernement chinois à participer à ce qui était un face-à-face américano-russe. La porte-parole Morgan Ortagus à annoncé apporter différents objectifs et perspectives, tout en reconnaissant le risque de désaccords. En effet : le directeur général du département Contrôle des armements du ministère des Affaires étrangères de Chine, Fu Cong, avait déclaré la veille que son pays était désireux de participer… mais si les Etats-Unis réduisaient leur arsenal au niveau de celui de la Chine (qui disposerait de 320 engins selon le SIPRI à Stockholm)[1].
L’ambassadeur de Russie à Washington, Anatoly Antonov, considère évident que la Chine n’est pas prête à participer à un accord et que la Russie ne peut se joindre aux Etats-Unis pour exercer sur elle une contrainte. Ce d’autant que la Russie ne cherche pas à signer un accord à n’importe quel prix, et qu’elle demandait déjà depuis des années que l’arsenal affecté aux Etats-Unis prenne en compte ceux de la France et de la Grande-Bretagne, comme alliés des Etats-Unis, dans un accord qui introduirait la Chine. Or, si la Grande-Bretagne dépend totalement des Etats-Unis pour sa dissuasion, ses missiles étant américains, la France est authentiquement indépendante, et entend le rester.
La France et la Grande-Bretagne sont membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU depuis sa fondation en 1945, alors que ces deux pays disposaient encore chacun d’un « empire » qui justifiait une place particulière parmi les nations[2]. L’armement nucléaire légal au sens du TNP est réservé aux « Etats dotés » ou EDANs. Il se trouve que ce sont les cinq permanents (parce qu’ils avaient dès avant 1960 les moyens matériels techniques et scientifiques) mais cela reste une coïncidence (nul ne pouvait deviner en 1945 quels Etats auraient pu faire une démonstration avant 1960). Ce statut d’EDAN n’en demeure pas moins une justification de leur singularité. Retirer cette justification provoquerait un surcroît de récriminations de la part de pays, comme l’Inde, qui considèrent avoir droit à un siège permanent au Conseil. Mais, du fait du droit de veto des 5, il faudrait que les plus faibles de ceux-ci consentent à leur dépouillement – et aussi que la Chine admette un éventuel rival futur. La France, qui consacre un effort important à l’instauration et au maintien de la paix dans le monde, en particulier grâce à ses capacités « d’entrer en premier », n’aurait alors plus aucun motif à sacrifier ses enfants.
La période n’est malheureusement pas la meilleure pour obtenir l’agrément d’une Chine qui se sent capable, particulièrement sur le plan économique, de hausser son arsenal au niveau de ceux de la Russie et des Etats-Unis, et qui, d’autre part, s’irrite des mesures de rétorsion prises en raison de ses abus de pouvoir tant contre Hong-Kong qu’au Xinjiang – et on pourrait ajouter le Tibet à la liste. Les prétentions pour le moins exagérées de Beijing en mer de Chine méridionale augmentent le nombre des litiges en cours. Quant à la vente au Japon, annoncée le 10 juillet, de 63 F-35A Lightning-IIclassiques et de 42 F-35B à décollage et atterrissage courts convenant à l’usage depuis des porte-aéronefs[3], elle ne peut qu’ajouter aux récriminations de Beijing[4]. De son côté, l’Inde, elle aussi inquiète des visées de son voisin chinois (cf. la lutte armée au Ladakh et en Arunachal Pradesh), vient de recevoir 37 hélicoptères américains 15 CH-47 Chinook de transport de troupe et 22 AH-64E Apache de combat[5] et de commander à la Russie 33 nouveaux chasseurs : 21 MiG-29 Fulcrum et 12 Su-30MKI[6]Flanker-C.
Le compte à rebours a commencé : jusqu’à la fin de New-START ne restent que moins de huit mois. Le monde perdra-t-il son dernier instrument de contrôle des armements, un des rares instruments de modération dans l’affrontement qui perdure ?
Denis LAMBERT
Le 13 juillet 2020
[1] https://www.spacewar.com/reports/State_Department_to_invite_China_to_join_trilateral_arms_talks_with_Russia_999.html
[2] Les trois autres permanents sont les Etats-Unis, l’URSS remplacée par la Russie et la Chine nationaliste remplacée par la Chine populaire. En 1945, l’effondrement de la Chine nationaliste et la création de la République populaire au 1er octobre 1949 ne pouvait être devinée.
[3] Cf l’article « Quelques atout de la marine japonaise » de la rubrique Asie du Nord-Est/Japon de ce site.
[4] https://www.spacedaily.com/reports/US_approves_sale_of_105_F-35_stealth_fighters_to_Japan_999.html
[5] https://www.spacedaily.com/reports/Boeing_completes_delivery_of_37_helicopters_to_Indias_air_force_999.html
[6] https://www.flightglobal.com/fixed-wing/india-to-order-21-mig-29s-12-su-30mkis-amid-china-tensions/139133.article