La vision américaine de l’outil militaire chinois

Source : Wikipedia

Depuis 20 ans, un rapport du Department of Defense (DoD) sur les capacités militaires chinoises doit être présenté chaque année au Congrès américain[1]. L’édition de cette année, « Military and Security Developments Involving the People’s Republic of China 2020 Annual Report to Congress »[2], est sortie le 21 août. D’un volume imposant de 173 pages augmenté d’un avant-propos de 12 pages, elle a nécessité un effort des services évalué à 154 000 $ en rémunération des études et de la rédaction en plus de fournitures évaluées à 14 000 $[3]. Les honorables Sénateurs et Représentants savent donc ce que coûte l’étude qu’ils ont entre leurs mains.

Rappelons que l’exigence de cet exercice vient d’une période où, déjà !, l’opinion s’inquiétait de certains abus chinois. Le président républicain Georges Bush Jr. prenait à peine ses fonctions, en janvier 2001, que tout de suite éclatait l’indignation soulevée par le rapport Rumsfeld[4] qui dénonçait l’espionnage actif de la Chine dans les domaines militaro-industriel et spatio-industriel. Quelques jours après l’audience du 28 mars 2001 consacrée à ce rapport[5], à la sous-commission stratégique de la commission des Forces-armées, la collision d’un avion de renseignement Lockheed EP-3 de l’US-Navy avec un chasseur Shenyang J-8 de la marine chinoise le 1er avril venait encore envenimer les relations entre les deux pays. Même si le DoD cherche à ne présenter qu’un tableau factuel, l’histoire des relations implique que le rapport soit toujours accusé d’hostilité envers la Chine.

Dès l’ouverture du document de cette année 2020, avant même le résumé (« executive summary »), quelques points de supériorité chinoise sont énumérés :

– croissance rapide de la marine, qui atteint 350 navires (dont les sous-marins), dépassant l’US-Navy et ses 293 navires,

– abondance (1250 exemplaires) des missiles balistiques et des missiles de croisière  non-stratégiques, de portée comprise entre 500 et 5000 km,

– intégration des systèmes surface-air à longue portée, S-300, S-400 et de leurs clones locaux.

– restructuration des forces pour des opérations combinées correspondant à de nouveaux concepts d’opérations,

– expansion de la présence outre-mer.

Même si le rapport reconnaît la persistance de certaines lacunes, le ton est donné : alerte, les Etats-Unis sont en train de perdre leur prépondérance !

L’axe stratégique chinois.

Le programme de la Chine vise le « rajeunissement » de la nation pour le centenaire de la proclamation de la RPC par Mao le 1er octobre 1949. Il reste donc presque 30 ans pour restaurer la puissance, la prospérité et la place de la Chine dans un monde très compétitif : une politique de puissance majeure mais avec ses caractéristiques propres.

Cet effort implique des manœuvres économiques (le développement étant la force qui permet la progression), diplomatiques (la Chine assumant un rôle plus affirmé dans les affaires mondiales), mais aussi militaires, dans une stratégie d’intégration civilo-militaire au service de ses fins. Cette stratégie entremêle six directions d’effort :

– fusion des bases industrielles civiles et de défense,

– intégration des avancées scientifiques et technologiques au service de cette base unifiée,

– intégration des expertises et des connaissances issues des différents milieux,

– intégration des constructions dans une optique d’utilisation duale,

– mise à niveau des services et de la logistique dans cette même optique de dualité,

– généralisation et approfondissement du système de mobilisation militaire des ressources nationales au service de l’ensemble dans une optique de compétition éventuellement militaire (p. 18).

Globalement, il s’agit de mettre fin à la séparation entre domaines civil et militaire, les deux devant servir aux mêmes fins (p. 19). Cet accent mis sur la cohérence et l’intégration[6]  s’oppose à la dispersion et à l’incohérence dont font montre les Occidentaux.

De cette stratégie globale découle son application dans le domaine militaire qui reste inspiré par le principe de « défense active » (p. 27). Le champ d’action militaire s’étend en concordance avec la stratégie politique. L’ambition affirmée de disposer d’un outil militaire « de classe mondiale » n’est pas précisément définie, mais des rapports d’étapes en 2020 et 2035 sont prévus dans la transformation et la modernisation de l’armée chinoise, l’échéance étant toujours le centenaire en 2049 :

– pour 2020 : achever la mécanisation et avancer l’informatisation,

– pour 2035 : rénover la théorie, la structure organisationnelle et l’équipement,

– pour 2049 : transformer « l’armée du peuple » en armée de premier rang (p. 30).

Les activités militaires autres que la guerre (acronyme US : NWMA Non-War Military Activities, autrefois MOOTW Military Operations Other Than War) ne sont pas oubliées et utilisent la menace ou la violence. Elles englobent le maintien de l’ordre et l’assistance humanitaire (p. 32).

L’exigence chinoise de réunification avec Taiwan fait craindre une opération brutale. Vis à vis des autres voisins, le rapport rappelle que certes 11 conflits ont été réglés depuis 1998, mais que les confrontations actuelles, en particulier en mer de Chine méridionale, se déroulent dans un registre plus violent qu’auparavant. Un encadré de deux pages (9 et 10) rappelle les différents territoriaux et cite les précédentes interventions militaires en Inde (1962) et au Vietnam (1979). Une carte présente certaines (« selected ») des revendications chinoises.

Dans le domaine terrestre, la Chine occupe toujours de territoire de l’Aksai Chin, et revendique la majeure partie de l’Arunachal Pradesh. Elle est très active dans ces régions. Les échauffourées de cet été (20 morts côté indien) démontrent la gravité de cet antagonisme.

Dans le domaine maritime, on songe immédiatement à la « langue de bœuf » revendiquée en mer de Chine méridionale mais il ne faut pas oublier les différends avec le Japon et la Corée du Sud.

Source : rapport du Département de la Défense US sur les capacités militaires chinoises

Sélection de théâtres de différents ou d’affrontements (p. 10).

Modernisation des forces

La stratégie d’évolution doit permettre une modernisation « basique »[7] pour 2035 et un achèvement pour 2049, l’année 2019 ayant permis

– des réformes structurelles majeures,

– un accroissement de compétences en opérations combinées, grâce aux exercices,

– ainsi que l’introduction de matériels nouveaux (dont navires, missiles et défense surface-air déjà cités).

Domaine nucléaire 

La composante « fusées » des armées (People’s Liberation Army Rocket Force ou PLARF) développe une grande variété de lanceurs Le nombre – déjà impressionnant – de missile non-intercontinentaux a augmenté. En particulier le récent DF-26 peut échanger rapidement sa tête conventionnelle contre une nucléaire (ce qui augmente l’incertitude sur les réactions nécessaires).  Un encadré d’une page décrit les différents modèles (p. 59) tandis qu’une carte (p. 57) montre l’étendue des régions menacées[8].


Source : rapport du Département de la Défense US sur les capacités militaires chinoises

Capacités de frappes conventionnelles – ou éventuellement nucléaires – à moyenne portée (p. 57).

La conception chinoise de sa dissuasion évolue en fonction de son appréhension de la situation et de l’évolution de ses capacités. Les inquiétudes sur la vulnérabilité de l’arsenal induisent des changements significatifs et la prochaine décade verra une évolution en plus de la multiplication des lanceurs. Une triade nucléaire plus équilibrée serait obtenue par la réalisation d’un missile nucléaire lancé d’avion[9]. La capacité de réaction nucléaire « à froid » serait augmentée par l’accroissement du nombre de missiles en silos. Le nombre de têtes nucléaires (voisin actuellement de 200 ?) serait doublé et le nombre de missiles ICBM qui peuvent atteindre les Etats-Unis devrait croître jusqu’à 200 d’ici cinq ans (p. 85).

Une carte (p. 58) illustre la portée de ces missiles, tous terrestres sauf le JL-2 emporté par sous-marins (dont le nombre augmente lui aussi).


Source : rapport du Département de la Défense US sur les capacités militaires chinoises

Capacités de frappes nucléaires stratégiques (p. 58).

Le rapport pointe le manque de transparence sur les activités nucléaires chinoises à Lop-Nor (p. 87) et s’interroge sur le réseau de tunnels destiné à protéger des installations militaires sensibles (p. 91).

La composante « support stratégique » ou SSF centralise les missions spatiales[10], cyber, électroniques et psychologiques de la guerre sur un théâtre particulier. Le rapport indique nettement que « la cible principale actuelle est les Etats-Unis » (p. 61)[11]. Ce domaine est considéré comme « critique dans la compétition stratégique internationale » selon le livre blanc chinois de 2019. Le SSF dépend directement de la Commission militaire centrale du parti et non du chef responsable d’un théâtre d’opération (p. 62).

Il opère sur huit bases au moins, dont celles qui gèrent les satellites, et dispose de stations de suivi, de télémétrie et de commande en Namibie, au Pakistan et en Argentine ainsi que de navires de support des opérations spatiales de la classe Yuan Wang. Il dirige des instituts spécialisés pour la recherche et le développement dans les domaines applicatifs de l’espace, dans celui des mesures spatiales de défense comme dans celui des lanceurs. En dehors de l’industrie spécialisée  étatique sont apparus les lanceurs Hyperbola-1 de la firme privée i-Space et Smart-Dragon-1 de la China Academy of Launch Vehicle Technology. Une autre firme privée, Linkspace, a déjà testé une fusée réutilisable pour son futur lanceur New-Line-1 (p. 64)[12].  On connaît les visées lunaires de la Chine.

Domaines de projection de forces et contre-intervention

Les moyens militaires chinois classiques se développent et font l’objet d’un long commentaire. Nous n’en retiendrons que la construction d’une nouvelle génération de porte-aéronefs devenus porte-avions par l’intégration d’une catapulte (p. 76).

Le rapport passe en revue les différents grands commandements. Le théâtre de l’Est serait responsable d’une éventuelle opération sur Taiwan (voir cartes p. 98 et p. 106), déjà sous la menace totale des missiles.


Source : rapport du Département de la Défense US sur les capacités militaires chinoises

Exposition de Taiwan aux missiles terrestres et navals (p. 116).

En janvier 2019, le président Xi avait réaffirmé les motifs d’intervention[13] contre Taiwan :

– déclaration d’indépendance,

– mouvement (non défini) vers l’indépendance,

– troubles internes,

– acquisition d’arme nucléaire,

– délai indéfini pour renouer le dialogue,

– intervention étrangère et

– stationnement de forces étrangères sur l’île (p. 112).

L’armée chinoise développe sans s’en cacher des options qui pourraient correspondre à l’invasion de Taiwan. Les moyens servant à repousser une intervention extérieure (donc des Etats-Unis), dits « anti-access/area-denial » ou A2/AD, peuvent déjà s’appuyer sur la première ligne d’îles voisines du continent. Ils sont en voie de complétion, tandis que les capacités pour intervenir à Taiwan ou en mer de Chine méridionale s’accroissent, et que les concepts d’action en sont étudiés. Les frappes de précision, réalisées à partir de l’arsenal décrit plus haut, peuvent inclure les bases américaines de Guam. Une défense antibalistique est en voie de complétion (intercepteurs HQ-19, radars JY-27A et JL-1A, systèmes russes S-300 ou SA-20 et S-400 ou SA-21) (p. 73-75).

Sont aussi particulièrement détaillés les théâtres du Sud (bordant la mer de Chine méridionale dont l’archipel Spratly est contesté, voir carte p. 101) et de l’Ouest (comprenant le territoire de l’Aksai Chin et face à celui de l’Arunachal Pradesh, voir carte p. 106).

Des opérations dans le monde réel seraient accompagnées d’opérations dans le monde cybernétique[14]

Les moyens défensifs de Taiwan sont rappelés après les moyens offensifs de la Chine (p. 119) et font l’objet d’une comparaison en appendice (p. 164 et sq.)

Croissance de la présence globale

La Chine a acquis une position plus importante à l’étranger, ce qui peut impliquer ses forces en dehors de ses frontières et de l’extérieur contigu à elles. Elle participe à des exercices militaires bi- ou multi-latéraux et multiplie les liens avec les forces de ses différents pays, les forces armées étant impliquées dans les relations de politique étrangère. Il existe un commandement de support logistique des forces (JLSF) pour un « système logistique moderne orienté vers le combat ». Il utilise aussi les moyens logistiques considérés comme civils (p. 66). La symbiose civilo-militaire apparaît aussi dans la coopération de l’armée avec les unités paramilitaires et les milices (p. 69-72).

La Chine bâtit une infrastructure logistique et veut implanter des bases extérieures, en plus de celle de Djibouti. Les emplacements considérés se situent en Birmanie, en Thaïlande, à Singapour, en Indonésie, au Pakistan, au Sri-Lanka, aux émirats EAU, au Kenya, aux Seychelles, en Tanzanie, en Angola et au Tadjikistan (p. 128). Un accord sur la base Ream au Cambodge a été dénié par les deux parties (p. 129).

La Chine a accru son activité et son engagement en Arctique, et a un siège d’observateur au Conseil de l’Arctique depuis 2013. Elle a proposé en 2018 une « Route polaire de la Soie » et s’est proclamée « région proche de l’Arctique ». Elle met en œuvre deux brise-glaces de recherches, le Xue Long-2 ayant été construit sur ses chantiers (p. 133).

Dans sa stratégie d’accès aux hydrocarbures qui lui sont indispensables (77 % du pétrole et 43 % de gaz sont importés), la Chine utilise le détroit de Malacca et la mer de Chine méridionale (p. 133). Depuis avril 2017, un oléoduc à travers la Birmanie fournit  440000 barils par jour qui évitent Malacca. Depuis 2019, un oléoduc depuis la Russie fournit 600 000 barils par jour soit 6 % des imports. De même des gazoducs acheminent le gaz du Turkménistan (55 milliards de m³ par an espérés, à augmenter jusqu’à 80 milliards, mais seulement 4,6 milliards en 2019). Un nouveau gazoduc alimente l’oblast de l’Amour de 38 milliards de m³ par an de gaz sibérien (p. 134 et appendice 3).

La Chine conduit des opérations d’influence pour la satisfaction de ses objectifs stratégiques, agissant sur les institutions culturelles et médiatiques, et sur les communautés scientifiques, académiques, industrielles et politique. Elle cherche à imposer sa propre version des choses aussi bien à l’étranger que sur son territoire. Elle a théorisé le concept de trois modes de guerre : guerre psychologique, action sur l’opinion et affrontement judiciaire et les a intégrés depuis 2003 (p. 130). Elle utilise de façon indirecte l’opinion de pays sur lesquels elle influe afin de toucher nos démocraties et s’est infiltrée dans de nombreuses organisations internationales[15] (p. 131).

Ressources et moyens utilisés

Afin de créer un système industriel de défense fusionné avec le système civil qui soit  autosuffisant, la Chine a mobilisé d’importantes ressources pour sa modernisation utilisant l’espionnage pour acquérir les technologies sensibles. En 2019, elle a annoncé une augmentation du budget militaire de 6,2 %, mais ce budget déclaré ne tient pas compte de certaines catégories majeures (p. 139). Son budget militaire annoncé 174 G$ atteint la somme de ceux de l’Inde (61,7 G$) du Japon (53,9 G$) de la Corée du Sud (39,8 G$) et de Taiwan (10,9 G$). Il est supérieur à trois fois celui de la Russie (54,8 G$) (p. 140).

Elle cherche à devenir leader dans les technologies de pointe ayant un potentiel militaire certain comme :

– l’intelligence artificielle (p. 142),

– les systèmes autonomes,

– le calcul par super-ordinateurs (p. 146),

– l’informatique quantique,

– la biotechnologie,

– les matériaux avancés et l’énergie alternative,

– et les technologies avancées de fabrication (p. 141 et 148).

Elle ne néglige pas pour autant des technologies plus civiles et en particulier la 5G[16] (p. 145).

Elle y investit des ressources importantes pour alimenter et patronner des entreprises de recherche et elle presse tous les acteurs impliqués dans les domaines stratégiques de contribuer avec les militaires aux développements technologiques. Elle attaque par tous les moyens les établissements américains des sciences et technologies par des pillages de ressources et de propriétés industrielles, visant en particulier les D-RAM (p. 150), l’aéronautique et les technologies sous-marines.

En mars 2018, une enquête du bureau USTR du Commerce a déterminé que les actes et comportements discriminatoires de la Chine, en matière de transferts de technologie, propriété intellectuelle et innovation ont coûté à l’économie américaine au moins 50 milliards de dollars par an. Les rapports sur la contrefaçon et le piratage identifient de même la Chine comme la première source de produits contrefaits et piratés. D’où les mesures de protection et de sanction prises à l’encontre de certaines firmes chinoises, l’exemple le plus claironné étant Huawei. En décembre 2018, un groupe de hackers APT10 (Advanced Persistent Threat) a été identifié comme responsable du vol de gigaoctets d’information sensible dans les domaines de l’aéronautique, des technologies satellitaires et spatiales, des technologies industrielles et pharmaceutiques, de l’exploration et de l’exploitation des hydrocarbures, des communications, de l’informatique et des technologies marines. Un autre groupe identifié est l’APT41 (p.14)[17]

Le plan « Made in China 2025 » vise à développer l’innovation nationale dans les industries stratégiques telles que la robotique, les équipements de puissance, et les nouvelles technologies de l’information d’ici 2025.

Dans le domaine financier et commercial, la Chine utilise ses investissements à l’étranger, les fusions, les acquisitions, l’espionnage et la manipulation des contrôles d’exportation (p. 149). Elle utilise aussi ses moyens financiers à des fins coercitives, comme pour pousser la Corée du Sud à renoncer au déploiement du système de défense THAAD (p. 17).

Le programme « One Road One Belt », devenu « Belt and Road Initiative », vise l’alignement sur la Chine des pays intéressés en rapprochant leurs intérêts de ceux de la Chine tout en faisant taire les critiques. C’est un succès qui a attiré la coopération de 125 pays (p. 123). Il cherche à procurer aux entreprises chinoises un gigantesque marché pour leurs capacités excédentaires tout en utilisant le stock des liquidités économisées. La protection d’une telle entreprise offre de plus un excellent alibi pour l’expansion extérieure des capacités militaires chinoises (p. 15 et 125). La « Route digitale de la Soie » permettrait de même d’aligner l’Asie sur les normes et matériels de la Chine dans ce secteur stratégique.

Les contrats portant sur le domaine de la défense visent à réduire le risque de fausse interprétation et répondent aux limitations du « National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2000 » tel qu’amendé (p. 155). Exprimés dans la « National Defense Strategy » de 2018 ils visent à amener les relations à une politique de transparence stratégique et de non-agression, dans le cadre d’un « ordre international libre et ouvert ».

Sujets particuliers

Cinq sections autonomes et cinq appendices complètent le document.

Une première section de deux pages présente le document officiel chinois « China’s National Defense in the New Era » de 2019, le précédent datant de 2015. Il détaille l’environnement global de sécurité qu’il décrit comme une « période d’opportunité stratégique » toutefois gâtée par la « compétition stratégique » dont il fait porter la responsabilité sur les Etats-Unis (sans toutefois réutiliser le terme d’hégémonisme. Il rappelle la politique continue de réunification avec Taiwan et le droit d’utiliser la force si nécessaire, citant le parti DPP de la présidente Tsai Ing-wen comme première source d’hostilité et de menace contre la paix (p. 159).

Dans sa vision d’un nouvel ordre international comme « une communauté d’avenir partagé pour l’humanité », la Chine justifie l’importance de son armée pour la défense outremer de ses intérêts et de ses citoyens, ce qui justifie le développement de sa marine et d’implantations extérieures. La Chine met en avant sa participation aux opérations de l’ONU, sa lutte contre le terrorisme, le secours et la sécurisation en mer. La réforme du système militaire était attendue pour 2020.

La seconde section séparée porte sur la digitalisation et l’« intelligentization » de l’armée chinoise par l’application de l’intelligence artificielle (AI) grâce à ses instituts et académie militaires. Leur mise en œuvre va accroître la vitesse du combat[18], l’intelligence artificielle devant révolutionner les systèmes C4ISR (commande, contrôle, communications, calcul, intelligence, surveillance et reconnaissance) (p. 161). L’armée chinoise cherche à intégrer l’autonomie de systèmes non-pilotés, le fonctionnement en essaims et la coopération entre engins pilotés et non pilotés grâce à l’apport de l’AI. La complexification des conflits et de leurs instruments amènera une évolution des qualités nécessaires aux combattants, d’où un programme de culture des talents déjà évoqué (p. 14).

La troisième évoque l’émergence de nouveaux concepts de campagnes militaires, en particulier l’émergence des moyens non traditionnels (espace, guerre électronique, cyber…). La création des Forces de Soutien stratégique, déjà mentionnée, joue dans le même sens. La notion de campagne est étendue à des opérations non militaire comme l’assistance humanitaire et les opérations d’évacuation de ressortissants. Il s’agit d’une palette de situations sur laquelle varie le degré de coercition appliquée (p. 163).

Enfin, cinq appendices portent successivement sur :

– le déséquilibre (accablant) entre forces chinoises et taïwanaises, qu’il s’agisse de l’ensemble des forces chinoises ou même seulement des forces du théâtre Est localisées en face de Taiwan. Les tableaux détaillent les forces terrestres, navales, aériennes et l’arsenal chinois de missiles[19].

– les contrats de commerce de matériels avec la Chine, et les visites et séjours académiques,

– une sélection des exercices menés en 2019 par les forces chinoises avec un ou plusieurs partenaires étrangers,

– les fournisseurs de pétrole (Arabie 16 %, Russie 15 %, Iraq 10 %… l’Iran n’apparaissant qu’à la 9ème place avec 3 %),

– les acronymes utilisés dans le texte.

Remarques et conclusion

Ce document est rendu public à quelques mois des élections américaines. Ses auteurs ont donc voulu rédiger un texte objectif et factuel (« matter of facts ») pour éviter les controverses. Le but est que les Etats-Unis restent prêts face à toutes les éventualités, quitte à prier Dieu (« in God we trust ») que les pires ne se produisent pas.

Des auteurs non-officiels peuvent aller plus loin, et le Military Times[20] évoque explicitement l’éventualité d’une confrontation militaire, et des conséquences comparables à celle de la Seconde Guerre mondiale, tout en reconnaissant qu’aucune des deux parties ne le souhaite. Mais il reste le risque de fausse interprétation ou de parti-pris quand aux intentions de l’adversaire. Qui, au printemps 1914, pouvait imaginer le cauchemar des 4 années suivantes ?

Pour nous rassurer, The Diplomat[21] nous indique que selon le South China Morning Post[22], qui cite des sources chinoises, les pilotes d’avions militaires et les capitaines de la Marine chinoise auraient reçu pour instructions de ne pas tirer les premiers (les officiers américains ayant l’ordre d’éviter toute escalade, sauf en légitime défense). Le malheur est qu’il ne suffit pas de ne pas tirer pour éviter tout accident. L’exemple de la collision de 2001 (entre un Lockheed EP-3 de l’United States Navy et un Shenyang J-8 de la Marine chinoise le 1er avril 2001 près de l’île d’Hainan), même si ses conséquences avaient été limitées, est une preuve de ce risque.

Ne ressassons pas la thèse d’Allison dans le « Piège de Thucydide » mais reconnaissons que la dynamique d’expansion de la Chine, toute admirable qu’elle soit, est bien riche de dangers quand elle déborde de ses frontières reconnues.

Denis LAMBERT


[1] « Public law » 106-65 de la session de l’année fiscale 2000 (FY-00), amendée par la loi 116-92 de la présente année 2020.

[2]    https://media.defense.gov/2020/Sep/01/2002488689/-1/-1/1/2020-DOD-CHINA-MILITARY-POWER-REPORT-FINAL.PDF

[3]    En première page de couverture !

[4]    « Report of the Commission to Assess United States National Security Space Management and Organization » (dit rapport Rumsfeld), 11 janvier 2001.

[5]    https://www.govinfo.gov/content/pkg/CHRG-107shrg81578/html/CHRG-107shrg81578.htm

[6] Qualités auxquelles il aurait fallu ajouter la temporalité longue, la Chine ayant varié ses moyens mais guère ses objectifs depuis la mort de Mao qui lui-même poursuivait des buts assez semblables mais dans son seul intérêt.

[7]    Les guillemets sont repris du texte originel page VI.

[8]  Seule la Russie dispose d’un arsenal équivalent dans la région.

[9]    Le rapport n’identifie comme porteur que le H-6N, version ravitaillable en vol du H-6, version chinoise du Tu-16 soviétique conçu par  Tupolev au début des années 50. On pourrait imaginer un dérivé du Chengdu J-20 dont la justification comme chasseur n’est pas évidente.

[10]     Le domaine spatial couvre les missions dites civiles et est reconnu « domaine critique ».

[11]  « Its current major target is the United States. »

[12]  Ce qui ne peut que chatouiller les Américains fiers de la réussite technologique des Falcon de la société Space-X d’Elon Musk.

[13]  Dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils permettent bien facilement de trouver un supposé motif d’intervention…

[14]  et psychologique par l’action sur les médias, directement ou par l’intermédiaire de pays tiers et « d’idiots utiles ».

[15]  Des lesquels sa persévérance et sa capacité d’influence lui ont valu des positions importantes (voir l’article « Présence de la Chine dans les instances internationales : justice ou entrisme ? » sur ce site : http://institut-du-pacifique.org/category/actualite-du-pacifique/organisations-et-accords-internationaux/onu/).

[16]  Le lien de la 5G avec les entreprises liées à l’armée se vérifie toutefois dans le cas de Huawei (entre autres), d’où l’interdiction des équipements Huawei aux Etats-Unis et chez leurs alliés les plus obéissants..

[17]  Ces accusations, pourtant capitales, ne sont pas reprises dans la suite du document.

[18]  En particulier selon le modèle (américain) de la boucle OODA : Observe–orient–decide–act (Observer-orienter-décider-agir) du colonel John BOYD de l’US-Air Force.

[19]  Contre Taiwan, ne seraient utilisés que des missiles à courte ou moyenne portée stationnés sur le théâtre Est, les autres catégories servant à dissuader un tiers (les Etats-Unis) d’intervenir.

[20]   https://www.militarytimes.com/news/your-army/2020/09/01/what-war-with-china-could-look-like/?utm_source=Sailthru&utm_medium=email&utm_campaign=Navy%20DNR%209.2.20&utm_term=Editorial%20-%20Navy%20-%20Daily%20News%20Roundup

[21]  https://thediplomat.com/2020/08/chinese-military-told-to-prevent-escalation-in-interactions-with-us/

[22]  https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3096978/south-china-sea-chinese-military-told-not-fire-first-shot