Retournement d’opinion envers la Chine

Source : https://www.pinterest.fr/pin/704531935429838128/

À la fin des années 70, l’opinion publique internationale était très positive par rapport à la Chine dans l’enthousiasme de son ouverture après la fin du dictateur rouge. À mon premier voyage en 1982 la Chine était encore un pays d’habitants quasi identiques, vêtus de kaki ou de bleu marine. Les seules couleurs vives apparaissaient – timidement – sur les vêtements des enfants, surtout les tout-petits. Les citoyens de tous âges restaient encore craintifs, au point que l’on ne voyait que rarement les jeunes amoureux oser se tenir les doigts de peur de l’oppression qui avait précédé la mort de Mao et la chute de la bande des « Quatre » diaboliques. C’était le temps où des étudiants abordaient prudemment les touristes en tenant à la main une liste de mots en anglais (plus rarement en français) qu’ils demandaient de prononcer. Puisqu’il s’agissait d’études, pour perfectionner leur prononciation, ce contact avec l’étranger ne serait pas considéré comme punissable (ensuite, éventuellement, la conversation commençait et osait aborder des sujets sensibles). Pour faire un investissement important, l’achat d’une casserole par exemple, c’est toute la famille qui se déplaçait. On voyait chacun des membres donner son avis sur la taille optimale en fonction du prix ! Ils pouvaient d’ailleurs discuter longuement car, dans un magasin resté magasin d’État, les vendeuses ne sautaient vraiment pas sur le client : la recette du magasin ne leur rapportant rien, pas question de faire du zèle ! On voyait finalement la famille repartir fièrement, l’achat enfin fait. Contrairement à ces magasins populaires, les « Magasins de l’Amitié » destinés aux seuls touristes présentaient des articles hors de portée des habitants. On devait les payer en billets de Monopoly bien propres, les Foreign Exchange Certificates (FEC), et non pas en renminbis crasseux. Ces FEC n’étaient pas pour le peuple qui ne les acceptait lors des contacts qu’avec la crainte d’être puni compensant la joie d’une bonne affaire. La compassion était normale envers des gens qui sortaient tout juste de l’oppression maoïste et tout juste de la misère, mais affichaient un extraordinaire espoir.

Source : https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/En-Chine-aussi-on-renove-les-batiments-anciens-2015-10-22-1371505

En 1989, dans les grandes villes autres que Pékin, ce n’était pas le début de l’agitation estudiantine qui monopolisait l’esprit des gens. Ce qui les inquiétait, c’est que les paysans préféraient abandonner la culture du riz ou du blé pour se consacrer à celle des légumes qui leur rapportaient plus. En 1989, une dizaine d’années seulement après le début de la liberté, la peur de la famine était encore bien présente, et donc la peur du manque de ravitaillement. Dans la banlieue de Beijing, où de grandes tours s’étaient déjà élevées, on voyait, dès l’automne sur les balcons, les choux blancs, bien ronds, entassés pour garantir les provisions d’hiver. Beaucoup de ces citoyens indiquaient clairement qu’ils espéraient un tour de vis ferme de la part du gouvernement, pas pour une question de liberté ou d’ordre, pour une question d’alimentation !  Le tour de vis a eu lieu dans un tout autre contexte, politique et non pas alimentaire, mais une action ferme était non seulement attendue, mais désirée.  Comme le disaient les Chinois : les droits de l’homme, c’est d’avoir de la nourriture dans son bol. C’est la Chine de cette période qui jugeait alors les événements de 89, pas la Chine actuelle beaucoup plus riche et beaucoup plus confiante en elle-même, et encore moins l’Occident.

Source : https://www.capital.fr/entreprises-marches/chine-production-industrielle-au-dessus-des-attentes-1315639

Comme le pays a évolué !  De voyage en voyage au cours des décennies 90 puis 2000 puis 2010, on a vu se modifier non seulement le paysage (en revenant six mois après un premier passage on  reconnaissait à peine le paysage devant la même fenêtre du même hôtel car des bâtiments nouveaux avaient poussé entre leurs échafaudages de bambou), mais surtout le pays et sa mentalité. Du temps de Deng Xiaoping, la Chine avançait en cachant à l’extérieur ses progrès, cherchant avant tout à ne pas faire peur. Depuis les années les plus récentes, depuis la présidence de Xi Jinping, la Chine s’impose dans les instances internationales[1],  la Chine s’oppose, la Chine morigène, la Chine tance[2], la Chine exige.

Source : https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/covid-19-l-heure-de-verite-pour-le-systeme-de-sante-chinois-839632.html

La Chine est devenue une puissante économique dominante. Le récent épisode du COVID a démontré qu’elle est une puissance industrielle indispensable, même aux dernières industries de nos pays occidentaux : les métaux sont élaborés en Chine, les précurseurs chimiques sont préparés en Chine, les machines-outils achetées à l’Occident sont maintenant en Chine et c’est bien en Chine qu’elles travaillent. On peut vouloir rapatrier la production industrielle, il est impossible que ce processus soit rapide. Et cette mainmise de la Chine commence à faire peur, car c’est elle qui peut dicter ses conditions, au moins dans le domaine crucial des métaux et terres rares dont elle a fait un quasi monopole, voire ses normes, comme elle cherche à le faire dans les nouvelles technologies. Grâce à sa politique d’isolement sélectif, c’est probablement elle qui peut infliger le plus de mal dans une réciprocité de sanctions. D’ailleurs, le grand projet des « Nouvelles routes de la soie » commence à paraître ce qu’il est : un moyen « soft » d’assujettissement. Des exemples « moins softs » abondent.

La Chine se montre ouvertement brutale, comme en témoigne l’arrestation de députés à Hong-Kong, territoire chinois, certes, mais qui aurait dû jouir de liberté pendant 50 ans après la restitution de 1997. Quant aux personnalités arrêtées et déportées sur le continent en application de la loi scélérate qui avait jeté le tiers de Hongkongais dans la rue, personne ne croit que les lettres informant leurs familles de leur bonne condition et du traitement correct qui leur est réservé, aient été écrites autrement que sous la contrainte[3].

Source : http://redtac.org/asiedusudest/files/2015/01/9traits.png

En Mer de Chine méridionale, la Chine exige la presque totalité de l’espace maritime, ne laissant aux pêcheurs philippins ou malais qu’une portion si congrue qu’ils ne peuvent qu’en sortir, au risque de collisions volontaires, d’arrestations et de confiscations. Les Philippines commencent à se rebeller et à vouloir appliquer le jugement du tribunal d’arbitrage de La Haye pour la Convention sur le Droit de la Mer (UNCLOS), jugement que le président Rodrigo Duterte avait provisoirement enterré en échange d’aides financières. L’Indonésie, qui jouit du statut d’archipel selon l’UNCLOS, se doit de protéger ses îles comme les Natunas , ce qui l’a conduite par exemple en 2016 à vouloir arraisonner un bateau de pêche chinois se trouvant dans ses eaux. Ce dernier lui a toutefois échappé grâce à l’intervention d’un « garde-côtes » chinois, pourtant bien loin des côtes chinoises. Quant aux îlots, la Chine est en conflit avec chacun de ses voisins maritimes. Taïwan est l’objet de provocations navales et aériennes, sans compter les menaces ouvertes du gouvernement de Beijing qui a installé un millier et demi de missiles pointés sur l’île.

Sur terre, les heurts sur la frontière indécise de l’Himalaya (où les Chinois ne se sont jamais totalement retirés de leur avancée guerrière de 1962) se sont soldés par 20 morts indiens cet été. Il n’y a pas eu d’usage d’arme à feu, conformément à l’accord entre Inde et Chine du 7 septembre 1993, mais les jets de pierre aussi peuvent être mortels. Il est allégué que des armes à micro-ondes auraient été employées pour repousser une contre-attaque indienne . Cette utilisation, a priori non-létale, marquerait le premier usage de telles armes dans un affrontement international. Cet écho incertain provenant du Times est toutefois réfuté par l’armée indienne.

Source : https://www.lopinion.fr/edition/international/entre-etats-unis-chine-guerre-froide-a-commence-182876

Le président Donald Trump s’est montré brutal, sans aucune politesse, ni respect des usages. Pas même le soin de paraître se conformer aux traités déjà signés. Mais son action aurait été celle de son adversaire, à la brutalité près, et sera celle de l’ex-vice-président Joseph Biden, si celui-ci est confirmé comme élu. La Chine découvre qu’elle aura affaire à une résistance, sinon une opposition. La guerre des taxes[4] est nuisible aux deux pays, et l’opposition américaine prétend qu’une telle mesure ne sert à rien (malgré une dissymétrie de 185 milliards d’exportations américaines taxées contre 550 d’exportations chinoises)[5]. Il serait plus juste de dire que les résultats ne peuvent pas être immédiats en termes de rétablissement de la balance commerciale.

En Australie, un officiel chinois a transmis aux médias une liste de reproches de la Chine envers Canberra, cependant qu’aurait été annoncé que « si vous faites de la Chine l’ennemi, la Chine sera l’ennemi ». La Chine se plaint que des mesures de sécurité nationale aient été prises pour l’empêcher d’accomplir des acquisitions potentiellement dangereuses et aient rejeté Huawei de la compétition pour l’équipement en 5G. Elle menace, par rétorsion, de mettre fin à certaines importations depuis l’Australie. Le Premier ministre Scott Morrison a affirmé qu’il ne céderait pas. Au contraire, quelques jours auparavant, il avait élaboré un accord de principe avec son homologue japonais, Yoshihide Suga depuis le 16 septembre, pour contrer l’influence chinoise dans la région[6].

Même dans la si molle Union européenne, des mesures commencent à être prises – malgré l’opposition des pays d’Europe de l’Est que la Chine a réunis dans son forum « 16 + 1 » – pour contrer les acquisitions chinoises facilitées par la crise économique résultant de la pandémie. Même dans ce forum acheté, la rébellion peut gronder : le président du Sénat tchèque à la tête d’une importante délégation n’a pas hésité à se rendre dans « la province renégate » de Taïwan et même à prononcer un discours à son Parlement ! Il est loin le temps de la Chine accueillante de Deng[7]. Celle de Xi Jinping n’est plus le dragon bienveillant des mythologies asiatiques, c’est devenu le dragon effrayant des mythologies nordiques.

Denis LAMBERT


[3]    https://www.china-briefing.com/news/the-us-china-trade-war-a-timeline/ du 25/08/2020

[4]    Jill DISIS, https://edition.cnn.com/2020/10/24/economy/us-china-trade-war-intl-hnk/index.html du 25/10/2020

[5]    https://www.sinodaily.com/reports/Australian_PM_rebuffs_Chinese_grievance_list_999.html du 19/11/2020.

[6]    À l’épisode de la répression de Tiananmen près.


[7]    https://www.sinodaily.com/afp/201121091723.fz0zc3ht.html du 21/11/2020.

[1]    cf. l’article de l’auteur « Présence de la Chine dans les instances internationales : justice ou entrisme ? » du 20/11/2019 sur ce site.


[2]    Dans un esprit « gagnant-gagnant » bien sûr, puisqu’elle ne veut que « la paix et l’harmonie » – mais à ses couleurs.