Signature d’un important accord militaire entre le Japon et l’Australie (17 novembre 2020)

Source : https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/19 – Le premier ministre australien, Scott Morrison, et son homologue japonais, Yoshihide Suga, à Tokyo, le 17 novembre. Eugene Hoshiko / AP

Les premiers ministres du Japon et de l’Australie, MM Yoshida Suga et Scott Morrison ont signé le 17 novembre un important accord  militaire, le Reciprocal Access Agreement (RAA). Ce texte qui entrera en application en 2021 permettra aux autorités militaires des deux pays d’organiser des manœuvres sur leurs territoires respectifs, d’améliorer l’interopérabilité de leurs forces et faire stationner, si besoin est, des troupes sur le territoire de son partenaire. C’est le second accord signé par le Japon autorisant le stationnement de soldats étrangers sur le sol national. Le premier avait été conclu en 1960 avec les Etats-Unis[1].

Dans un communiqué commun, les deux chefs de gouvernement ont affirmé leur volonté d’approfondir leur coopération « pour promouvoir une région Indo-Pacifique libre, ouverte, inclusive et prospère ». Ils ont aussi exprimé « de graves inquiétudes au sujet de la militarisation des mers de Chine méridionale et orientale » ainsi que « de sérieuses préoccupations concernant la situation de Hong-Kong ». Ils se sont par contre félicités de l’engagement continu des Etats-Unis dans la région. Bien que la Chine ne soit pas mentionnée, ces remarques visent clairement le gouvernement de Pékin dont la politique expansionniste et le durcissement sur le plan intérieur inquiètent les deux signataires de l’accord. M. Scott Morrison a voulu rassurer ceux de ses compatriotes qui redoutent une aggravation de la tension avec la Chine.  Il déclaré que l’accord était « un moyen de favoriser la stabilité ce qui est une bonne chose » et qu’il « ne devait pas soulever des craintes ailleurs dans la région ». Ces assurances n’ont point convaincu les dirigeants de Pékin. Dès le 18 novembre le porte-parole du ministère des affaires étrangères, M Zhao Lijian a déclaré : « La coopération entre pays devrait favoriser la paix et la stabilité et renforcer la confiance mutuelle dans la région. Elle ne devrait pas viser un pays tiers ni menacer les intérêts de ce dernier ». De son côté le Global Times, organe semi-officiel du gouvernement, estime que le Japon et l’Australie « sont au service des Américains » pour nuire aux intérêts chinois.

L’accord du 17 novembre illustre le resserrement des liens de collaboration dans le domaine de la défense entre le Japon et l’Australie. Ces deux pays ont commencé à se rapprocher en 2007 en signant un pacte mutuel de sécurité portant sur la lutte contre la piraterie maritime et contre le terrorisme, la non-prolifération nucléaire, la protection des frontières. En 2013 ils ont établi un programme de coopération dans le domaine de la fourniture d’armes et d’équipements militaires. Des consultations sont organisées régulièrement dans le cadre[2] du dialogue « deux plus deux ». La coopération militaire entre le Japon et l’Australie s’inscrit dans le cadre plus large d’une stratégie couvrant l’ensemble de la zone Indo-Pacifique et à laquelle sont associées d’autres puissances, principalement l’Inde et les Etats-Unis, avec pour objectif commun de contrer les visées expansionnistes de la RPC. La nouvelle orientation diplomatique et militaire de ces deux Etats ne peut qu’aggraver leurs tensions avec la Chine. Le Japon a un litige territorial avec Pékin au sujet des îles Senkaku-Diayou[3]. L’Australie et la Chine sont en conflit sur plusieurs sujets : l’initiative de Canberra tendant à mener une enquête sur l’origine du Covid-19, les efforts pour empêcher l’entreprise Hua Wei de développer le réseau 5G dans le Commonwealth australien, l’accueil de ressortissants de Hong Kong à la suite de l’adoption de la loi sur la sécurité nationale par Pékin remettant en cause le régime des libertés démocratiques et les termes de l’accord de rétrocession de 1987[4], le véto mis par le cabinet de Canberra à des investissements chinois dans des secteurs sensibles. La Chine a riposté en imposant un embargo sur les exportations australiennes (orge, vin, charbon).

Malgré tout, les gouvernements de Tokyo et de Canberra veulent éviter une dégradation trop brutale de leurs relations avec la RPC, qui est un de leurs principaux partenaires commerciaux. Le ministre australien du commerce extérieur, M Simon Birmingham, a assuré le 18 novembre que le RAA  ne devrait pas affecter les liens avec Pékin. Il a ajouté « que les autres acteurs dans le monde ne devraient pas voir cela autrement que comme une coopération étroite ».  Par ailleurs, le Japon et l’Australie ont signé le 15 novembre le Partenariat Economique Régional Global qui crée une zone de libre-échange couvrant quinze pays d’Asie et d‘Océanie dont la Chinequi en est le promoteur.

Jean-Michel DASQUE


[1]Ce traité de coopération mutuelle et de sécurité USA-Japon faisait suiteau traité signé le 8 septembre 1951 (en même temps que le traité de paix de San Francisco) qui maintenait des troupes et des bases américaines sur le sol japonais, suivant la période de l’après-guerre.Quelques 50.000 soldats américains sont stationnés dans l’Archipeldepuis cette date.

[2] Consultations entre les deux ministres des affaires étrangères et les deux ministres de la défense.

[3] A noter que lors de la visite du M. Wang Yi à Tokyo les 24 et 25 novembre derniers, ce sujet n’a pas été abordé

[4]Cf Hélène Mazeran : « Hong Kong : le non-respect des engagements internationaux (visions croisées !). Site de l’Institut du Pacifique, juillet 2020.