Le Chili et la Chine : aspects historiques, évolutions récentes et scenarios futurs

Source : http://www.ameriquedusud.org/article-chuquicamata-au-chili-la-plus-grande-mine-de-cuivre-du-monde

Pour tenter de dresser un bilan de ces relations bilatérales dans le contexte global d’aujourd’hui, il conviendra de s’interroger sur les différentes opportunitésprésentées et sur les risques rencontrés tout au long des évolutions politiques et économiques, pour essayer de comprendre les tendances futures.

La relation historique

Elle est ancienne et solide puisque le Chili ouvre son premier consulat à Canton au XIXème siècle pendant la Guerre de l’opium. En pleine Guerre froide, en décembre 1970, le Chili, sous la présidence Allende, est le premier Etat latino-américain (après Cuba) à reconnaître la République populaire (S. Bitar alors était ministre des Mines). Cela n’a pas été ensuite remis en cause sous la dictature.

En 1972-73, les financements de la banque internationale, sous la pression de l’Administration Nixon, s’interrompent au Chili. La Chine a joué un rôle mineur, sans capacité d´aider le processus dirigé par Allende. La même situation s’est produite avec la dictature de Pinochet. Tandis que du point de vue idéologique les secteurs de gauche attendaient une forte opposition, comme l´avait fait l ´URSS, la Chine a maintenu une position neutre.  Sur le plan politique, sous le gouvernement Allende, la relation avec l’URSS est entretenue par le Parti communiste chilien qui est ancien et puissant. On vit sur le mythe que la Chine se comporterait comme l’URSS, mais la Chine n’envoie pas de support économique. Donc, il n’y a pas de lien politico-idéologique dans les relations avec la Chine, ce sont uniquement des liens économiques et pragmatiques qui se poursuivent sous le gouvernement Pinochet.

Après le retour à la démocratie, en 1990, le Président chilien Patricio Aylwina repris les contacts à un niveau plus élevé. Après lui, tous les présidents chiliens, Frei ; Lagos ; Bachelet se sont rendus en Chine. Le président Hu et le président Xi aussi, ont visité le Chili. Plus récemment, en 2019, le président Piñera a réalisé une dernière visite.

En 2001, le Chili est le premier Etat d’Amérique latine à soutenir la candidature de la Chine à l’OMC, et en 2004, il est aussi le premier à reconnaître le système d’économie de marché en Chine. En 2005, est signé le premier traité de libre-échange sous les gouvernements du Présidents Ricardo Lagos et Michelle Bachelet, issus d’une coalition de centre gauche, démocrate-chrétienne social-démocrate.

Ce sont-là les évènements les plus importants dans la relation sino-chilienne.

En 2005, un accord bilatéral permet de recevoir au Chili des enseignants de langue chinoise, et d’envoyer quelques étudiants chiliens en Chine (S. Bitar est alors ministre de l’Éducation). Ensuite, seront ouverts les instituts Confucius, le troisième en 2021. Le centre de coordination des instituts Confucius en Amérique latine se trouve au Chili. Ces dispositions permettent une meilleure connaissance réciproque des Chiliens et des Chinois.

Les échanges économiques

Depuis 1990, le Chili, pays le plus développé d’Amérique latine, et l’un des plus démocratiques, suit une politique d’économie ouverte basée sur le libre-échange et l’expansion commerciale. Il devient le pays ayant le plus de traités de libre commerce au monde. Les échanges avec la Chine se développent rapidement :

  • En 2005, les exportations chiliennes vers la Chine sont de 7 800 millions de US$,
  • En 2020, elles sont de 44 000 millions de US$.

C’est une progression considérable. Aujourd’hui, le Chili est le 1er exportateur de cuivre et de fruits vers la Chine.

Jusqu’à une époque récente, il s’agissait uniquement de commerce. Mais à partir de 2016 plusieurs investissements commencent à arriver. Maintenant, nous sommes entrés dans une nouvelle phase. Jusqu’en2016, la présence d’entreprises chinoises au Chili était presque nulle. Par la suite, on assiste à une expansion progressive et diversifiée. Cette présence se concentre sur des projets d’infrastructure et d’énergie. L’éolien et le solaire intéressent aussi la Chine (dans la perspective du remplacement de la filière charbon). La Chine a également remporté des appels d’offres pour la construction de routes, de voies ferrées, d’hôpitaux. De même dans le domaine du digital, Huawei a installé un câble de fibre optique près de l’Antarctique.

Parmi les projets en cours : un câble de fibre optique direct entre le Chili et la Chine transpacifique. Aujourd’hui, il n’existe pas de câbles directs entre les deux pays/continents à travers le Pacifique du sud ; il faut passer par le nord, c’est-à-dire par les Etats-Unis.

Le développement du secteur agro-alimentaire est également très important : production de saumon, de vin. Dans le domaine minier, la Chine a pris des actions dans les mines de lithium.Par ailleurs, deux banques chinoises se sont implantées, dont la China Construction Bank.

Elles ont gagné un appel d’offres pour fournir en autobus électriques le transport public de Santiago.

Même si le Chili achète aujourd’hui des vaccins de différentes origines, la Chine, elle, est arrivée très tôt (la 1ère). Un accord a été passé entre Sinovac et une université chilienne pour la production au Chili de vaccins qui seront exportés en Amérique latine. Des bourses ont été mises en place pour des étudiants.

Pour quelles raisons la Chine a-t-elle décidé d’investir au Chili ?

  • La croissance chinoise a besoin d’ouvrir de nouveaux marchés extérieurs,
  • Elle a de grandes capacités d’investissement, particulièrement dans les infrastructures,
  • Ses besoins alimentaires continueront de croître.
  • Les conflits politiques ont eu des conséquences sur les échanges alimentaires et de minerais. Elle cherche une diversification de ses sources, A titre d’exemple, en raison de ses conflits avec l’Australie, la Chine cherche à se procurer davantage de cuivre au Chili et plus d’orge en Argentine.

Quelles sont les précautions à prendre ? Quelles sont les alarmes à entendre ?

Deux précautions doivent être prises en compte pour renforcer la relation future: pour réduire sa dépendance, le Chili doit limiter le pourcentage de ses exportations en Chine: par exemple, la Chine achète actuellement 50% du cuivre et 80% de la production chilienne de cerises. Il faut également se poser la question du comportement des compagnies publiques chinoises. Sont-elles sous la tutelle de l’Etat chinois, ou bien agissent-elles comme des compagnies privées ?

L’Amérique latine,a besoin de tracer des « lignes rouges » à ne pas dépasser. Ainsi, il est à noter qu’aucun Etat africain n’a critiqué la politique de Xi Jinping au Xin Jiang. La dépendance économique limite l’autonomie politique.

Quoiqu’il en soit, jusqu’ à aujourd’hui, il est dans l’intérêt du Chili d’avoir des relations économiques plus développées avec la Chine. Les intérêts du Chili seront préservés si la Chine suit une politique de non-intervention dans les affaires intérieures. Mais la question pourrait se poser à l’avenir…

Alors quel avenir peut-on envisager pour les relations économiques entre l’Amérique latine et la chine ?

Nous sommes conscients de nos faiblesses, et il est important d’avoir une stratégie nationale, notamment en matière de capacité productive nationale. Le Chili a besoin d’améliorer sa capacité technologique dans ses secteurs prioritaires comme l’énergie solaire, la désalinisation, la digitalisation…et aussi d’augmenter ses capacités de raffinage du cuivre (au lieu d’exporter du concentré de cuivre). On a besoin aussi de technologies vertes. L’intensité de la relation future avec la Chine dépendra de la stratégie des firmes chinoises à apporter des innovations technologiques. C’est ce qu’ils appellent « Win Win ».

Dans le futur, nous devrons continuer à analyser l’évolution des tendances globales et observer les scenarios possibles entre la Chine et les Etats Unies. L’Amérique latine doit éviter de prendre parti dans le conflit Chine/États-Unis.  Mais, la situation s´améliore avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden. 

La stratégie de l’Amérique latine doit privilégier le multilatéralisme. Le meilleur scenario serait d´éviter la polarisation et de parvenir à un accord global moins polarisé. Nous espérons que les différentes puissances se focaliseront non seulement sur la question de la rivalité stratégique et de la concurrence économique, mais aussi sur celle de la coopération mondiale pour s´attaquer aux problèmes d’environnement.

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En réponse à des questions des participants, le conférencier est amené à compléter certains des points évoqués.

Au sujet de la relation de l’Amérique latine avec l’Union européenne : cette dernière peut faciliter le multilatéralisme (que la France souhaite encourager).

En ce qui concerne la position du Chili dans la rivalité Chine USA ? La ligne avec Biden est plus flexible qu’elle ne l’était avec Trump ; nous ne percevons pas de menace de la part des Etats-Unis qui pensent avoir encore un pouvoir qu’ils n’ont plus. (Cf. la déclaration des Chinois au sujet de l’Alaska, un défi !). La présence américaine, la confiance en eux, leur soft power se sont affaiblis. Dans le même temps, la démocratie, les droits de l’homme restent un instrument à la fois de confrontation et de convergence. Cependant, en termes de droits économiques et sociaux, les Chinois peuvent montrer des succès impressionnants.

La Chine ne présente pas, selon moi, de menace systémique pour l’Occident. Par ailleurs, les Chinois n’ont pas cherché, jusqu´à maintenant, à imposer leur système.

Le Chili et les organisations régionales

Le Chili est membre associé du Mercosur, le Marché commun du Cône Sud. Il existe des accords bilatéraux de libre-échange avec un grand nombre de partenaires commerciaux dont les principaux sont l’Union européenne, les États-Unis et la Chine. Comme membre de l’Apec, l’Organisation de Coopération Économique Asie-Pacifique, le Chili trouve un espace intéressant de réflexion où les décisions ne sont pas contraignantes ; il s’agit de collaborations plutôt que de confrontations.

Des efforts sont faits aussi en direction de l’ASEAN. Le Chili souhaite être un « pont » entre l’Asie et l’Amérique latine.

Avec l’Inde, un accord a été signé. Il est entrain de se développer mais les relations restent plus intenses avec la Chine. L’Inde est pour l’avenir un pays très important.

Avec les autres pays d’Amérique latine, les convergences sont faibles ; et on n’entrevoit pas de solutions concrètes. Et pourtant nous aurions besoin d’accords pour faire mieux entendre la voix de l’Amérique Latine. Les mécanismes d’intégration économique régionale sont faibles : CELAC, UNASUR … Le Mercosur peut-il être une base de renouveau ? Les accords signés avec l’UE peuvent-ils constituer une base commune ? 

Le Chili va se doter d’une nouvelle constitution. C’est une question à l’ordre du jour. Un plébiscite a eu lieu et 80% des gens se sont prononcés en faveur de la réforme proposée qui prévoit un modèle d’Assemblée constituante unique au monde. Au sein de cette Assemblée constituante, les décisions doivent être prises à une majorité des 2/3. Pour la première fois, la représentation sera paritaire homme-femme, Pour la première fois aussi les peuples autochtones auront participé aux élections. Il leur est réservé onze pour cent des sièges.

Le Chili, ici, peut être un anticipateur de ce qui peut se passer dans toute l’Amérique latine…

Sergio Bitar, universitaire et homme politique chilien, plusieurs fois ministre dans différents gouvernements chiliens, ancien sénateur, membre d’IDEA International, Conseiller spécial de Inter American Dialogue

Compte-rendu établi par Hélène Mazeran avec le concours d’Aude de Chavagnac