Après la rhétorique agressive du 100ème anniversaire du PCC, l’inquiétude nucléaire

Source : https://francais.cgtn.com/subject/Les-100-Ans-Du-PCC

Le 1 juillet 2021, fêté comme le 100éme anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois (PCC) – ce qui est faux[1] – s’est déroulé à Beijing sous la faucille et le marteau. Une foule immense, convoyée par une organisation remarquablement bien rodée, remplissait  la place Tienanmen. Pas de défilé militaire à proprement dit, mais une parade au drapeau, 100 coups de canon et le survol par un groupe d’hélicoptère dessinant le chiffre 100 et par une patrouille acrobatique.

Le secrétaire général du parti Xi Jinping – agissant en ce titre plus qu’en tant que président puisque les rouages du PCC ont prédominance sur ceux de l’État – a juré que jamais la Chine ne serait de nouveau opprimée par d’autres nations. Il a proclamé une progression irréversible depuis l’humiliation coloniale jusqu’au statut de grande puissance et le caractère indispensable de la puissance du PCC pour la renaissance de la nation chinoise, incluant la réunification avec Taïwan et la « stabilité » de Hong-Kong[2] . Tout puissant PCC, dont tout acte serait « historiquement justifié » !

Selon le PCC lui même, sur les 95,1 millions de membres, seulement 6,5 millions seraient des cols bleus de l’industrie et 28,5 millions des travailleurs agricoles pour 41 millions de cols blancs en activité et 19  millions de cadres en retraite. 12,5 millions auraient moins de 30 ans.Tous devraient cotiser, assurant une rentrée annuelle d’un milliard de dollars. Mais le parti est aussi à la tête d’un empire industriel et financier. Des médias extérieurs à la Chine ont été attaqués par cette dernière pour avoir révélé des fortunes énormes autant qu’illicites  faites par des proches du pouvoir, et par leurs familles, soit dans des paradis fiscaux soit sous la protection et le camouflage de montages financiers complexes. L’obscurité s’étend aussi à la prise de décision, réservée aux quelques membres du commité permanent du bureau politique qui n’en rendent pas plus compte que dans une société secrète[3]. Même pour des décisions à portée internationale comme l’arsenal stratégique.

Le Washington Post du mercredi 30 juin annonce que le Centre James Martin pour les Etudes de Non-Prolifération a découvert par des photos satellitaires commerciales la réalisation de 119 silos pour missiles intercontinentaux dans le désert. La ville la plus proche en est Yumen, appartenant à la préfecture de Jiuquan dans la province pauvre du Gansu[4]. Une première illustration montre la disposition des silos organisés en réseau hexagonal (sans indication d’échelle). Une seconde montre l’un des silos en voie d’achèvement (coordonnées 40,299°N, 96,397°E) en date du lundi28 juin tandis qu’une troisième permet de comparer trois étapes dans la réalisation des travaux. D’autres constructions à des localisations différentes portent le nombre de ces nouveaux silos à 145.

Un tel nombre est d’autant plus important qu’il faut le comparer à la situation préalable. Dans la catégorie des missiles intercontinentaux (> 5500 km) la Chine n’alignait que six douzaines de missiles DF-31A et DF-31AG de portée supérieure à 11 000 km, six ( ?) DF-31 de 7000 km de portée et une vingtaine de DF-5 très anciens, dont moitié seulement rénovés récemment. Le DF-41 de 12 000 km de portée n’était attendu que pour cette année[5]. Soit environ 150 têtes nucléaires terrestres à portée intercontinentale[6] sur un total compris entre 250 et 350. Rajouter 145 têtes – ou plus si certains de ces nouveaux missiles sont MIRVés, c’est à dire emportent plusieurs ogives – revient à doubler, ou pire, et est donc tout sauf anodin.

Dans cette même catégorie, les Etats-Unis disposent de 400 missiles intercontinentaux terrestres LGM-30G Minuteman III, dont la moitié MIRVés de 3 pour un total de 800 têtes. Ce missile est entré en service en 1962 – mais n’a pas cessé d’évoluer depuis. Washington envisage de les remplacer par 400 Ground Based Strategic Deterrent (GBSD). Les tests se dérouleront à partir de 2023 pour une entrée en service prévue en 2036, les Minuteman dépassant alors 60 ans[7] – mais ne contenant plus guère de pièces d’époque. Ce remplacement devra faciliter le maintien en condition opérationnelle (Northrop Grumman ayant reçu un contrat pour les maintenir d’ici là[8]). La Marine compte aussi remplacer ses SNLE de la classe Ohio armés chacun de 20 missiles Trident II par 12 nouveaux SNLE de la classe Columbia armés de 16 missiles seulement. Les SNLE américains (appelés SSBN) disposent actuellement de 1920 charges[9], nombre alors appelé à diminuer.

On s’était habitué à ce qu’existent deux « grands » arsenaux nucléaires, d’ailleurs sur le déclin grâce  aux traités appuyés par des mécanismes diplomatiques d’inspections mutuelles. Les autres arsenaux, Chine, France, Royaume-Uni, Pakistan, Inde et Corée du Nord n’atteignaient au total qu’une fraction de l’arsenal de chacun des « grands ». Nous risquons que la situation se complique, avec une instabilité de l’équilibre encore accrue par la multiplicité des acteurs. D’où l’importance de faire entrer la Chine dans un jeu diplomatique de limitation des armements[10] et de lui faire admettre le principe – et la pratique – des négociations multilatérales.

Denis LAMBERT


[1]     La date historique est le 23. Voir l’article « Centenaire du Parti communiste chinois »

de l’auteur sur ce site : http://institut-du-pacifique.org/category/actualite-du-pacifique/asie-du-nord-est/chine/

[2]     “Doves and fighter jets: China’s Communists mark their centenary” article inséré dans  https://www.sinodaily.com/reports/Xi_hails_irreversible_rise_of_China_at_100th_birthday_of_Communist_Party_999.html    article analysé ci-après

[3]  Beiyi SEOW, Patrick BAERT, “Xi hails ‘irreversible’ rise of China at 100th birthday of Communist Party” du 1er juillet 2021, https://www.sinodaily.com/reports/Xi_hails_irreversible_rise_of_China_at_100th_birthday_of_Communist_Party_999.html

[4]     Joby WARRICK, « China is building more than 100 new missile silos in its western desert, analysts say »,

https://www.washingtonpost.com/national-security/china-nuclear-missile-silos/2021/06/30/0fa8debc-d9c2-11eb-bb9e-70fda8c37057_story.html du 30 juin 2021.

[5]     Hans M KRISTANSEN, Matt KORDA, « Nuclear Notebook : Chinese nuclear forces 2020 » du 7 décembre 2020, https://thebulletin.org/premium/2020-12/nuclear-notebook-chinese-nuclear-forces-2020/

[6]     Auxquelles il faut ajouter 48 têtes montées sur 4 sous-marins lanceurs d’engins, de portée estimée à plus de 7000 km. Les missiles terrestres restent néanmoins prépondérants. 

[7]     Tim KORSO, « US Plans to test its replacement for Minuteman ICBMs in 2023 », https://www.spacewar.com/reports/US_Plans_to_test_its_replacement_for_Minuteman_ICBMs_in_2023_999.html du 29 juin 2021 d’après Sputnik (Moscou).

[8]     « Northrop Grumman awarded US Air Force contract for Minuteman 3 Sustainment”, https://www.spacewar.com/reports/Northrop_Grumman_awarded_US_Air_Force_contract_for_Minuteman_3_Sustainment_999.html du 11 juin 2021.

[9]     Hans M KRISTANSEN, Matt KORDA, «United States nuclear weapons, 2021 », https://thebulletin.org/premium/2021-01/nuclear-notebook-united-states-nuclear-weapons-2021/ du 12 janvier 2021.

[10]    Voir l’article « Introduire la Chine dans la limitation des armements nucléaires ? » du 7 août 2020 par l’auteur sur ce même site.