La Chine et l’Arctique
Pour compléter la conférence de Thierry Garcin, voici le lien vers un article publié le 7 septembre 2024 sur ce sujet sur le site de geoweb
https://www.geopoweb.fr/?LA–CHINE-ET-L-ARCTIQUE-Thierry-GARCIN
Superficie : 9 326 000 km2
Population : 1360 Mh
Densité : 145h/km2
PNB : 10 396 Milliards$
Pour compléter la conférence de Thierry Garcin, voici le lien vers un article publié le 7 septembre 2024 sur ce sujet sur le site de geoweb
https://www.geopoweb.fr/?LA–CHINE-ET-L-ARCTIQUE-Thierry-GARCIN
Quelques repères chronologiques
Période coloniale
Les Européens ont toujours eu besoin des épices (poivre, girofle, muscade) pour la conservation des aliments. Les routes terrestres traditionnelles depuis l’antiquité ont été coupées par les invasions arabes. D’où le recours aux expéditions maritimes, difficiles et coûteuses. S’y ajoute la rivalité entre les Anglais et les Hollandais. Les Français arrivent plus tard, après la création par Colbert de la Compagnie royale des Indes orientales en 1664. Mais les Français sont plus intéressés par les rives indiennes, puis par l’Indochine.
Les îles qui formeront l’Indonésie actuelle, sont « colonisées » par les Hollandais. Sans employer le terme, c’est en fait, une colonisation très dure qui est menée par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (créée en 1602), réduisant les populations, notamment dans les plantations, à une forme d’ « esclavage »[1] ou de « servage ». On estime à 3 millions de morts les victimes de la colonisation sur une population de 20 millions. C’est une colonie qui rapportait beaucoup. Cette colonisation a été dénoncée par un Néerlandais, Eduard Douwes Dekker, alias Multatuli, qui a publié en1860 le roman « Max Havelaar » (ce nom a été repris par une ONG qui promeut actuellement le commerce équitable).
L’occupation japonaise a duré de 1942 à 1945 et a entrainé des famines épouvantables, avec un nombre de morts à peu près identique à ceux de la période coloniale. Les troupes autochtones ont été formées par les Japonais contre les Hollandais. Emerge alors un leader charismatique, Soekarno qui proclame l’indépendance le 17 août 1945 (bien que l’indépendance réelle ne soit acquise qu’en décembre 1949).
L’Indonésie actuelle (appelée « Indes orientales néerlandaises » jusqu’en 1949) a été créée par les Hollandais, mais elle s’est aussi créée contre eux.
Un Etat pluriethnique avec 5 religions officielles
Sur une superficie à peu près identique à celle de l’Europe, on compte 15 000 îles, des centaines de langues. La langue la plus parlée est le javanais, mais elle est aussi la plus difficile. La langue nationale choisie a été celle que parlaient les commerçants malais : le Bahasa indonésia. Ce fut un élément d’unification de la République moderne.
Ce pays dispose de multiples ressources (hydrocarbures, minerais divers -notamment nickel, manganèse, tungstène-, huile de palme, bois exporté en quantités croissantes vers la Chine), mais Sukarno n’a pas été capable d’en faire une grande puissance économique. Il s’est surtout intéressé à la politique, et a essayé de faire vivre ensemble les trois grands partis : nationalistes (PNI), communistes (PKI) et musulmans (NU). Mais ce fut un échec, et, à la suited’une tentative de coup d’Etat par les communistes (GESTAPU) le 30 septembre 1965, la réaction des militaires menés par Suharto, a entraîné une guerre civile qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts. Au plan international, cela a entraîné, pour quelques vingt-cinq ans, la rupture des relations diplomatiques avec la Chine, accusée d’avoir soutenu le PKI.
Avec Suharto, l’Indonésie s’est dotée d’une économie prospère, mais ce n’était pas un modèle de démocratie. La crise économique asiatique de 1998 a entraîné son remplacement par son ancien Ministre d’Etat, Habibie, un ancien ingénieur en aéronautique (qui a travaillé notamment pour Messerschmitt), lui-même remplacé après un an et demi, par Abdurrahman Wahid, alias Gus Dur (atteint de cécité). Un système démocratique se met en place et les élections présidentielles suivantes sont validées internationalement : Megawati (fille de Soekarno) est présidente de 2001 à 2004, puis le Général Yudhoyono de 2004 à 2014.
Le gouvernement actuel
Jokowi, actuel Président élu après Yudhoyono en 2014, réélu en 2019, a été populaire dans un premier temps. Le pays a connu un développement appréciable. En 2022 : croissance de 5,3%, PIB à 1,3 milliards d’Euros, diminution du chômage (inférieur à 5%). Mais une certaine « folie des grandeurs » s’est notamment traduite par le projet de nouvelle capitale.
Jakarta a été créée par les Hollandais avec 300 000 habitants. Aujourd’hui avec 13 millions, elle est devenue « invivable ». D’où la décision de déménager la capitale dans un point plus central, à Nusantara (le nom signifie « archipel ») à l’est de Bornéo, ce qui a entraîné une vaste déforestation. Ce choix sera-t-il remis en cause par le nouveau Président qui serait hostile au projet [2]?
Le Président nouvellement élu, Prabowo Subianto, ancien ministre de la Défense, gendre de Suharto, a été accusé par plusieurs ONG de massacres à Timor, en Papouasie et même à Jakarta, lors de la répression de manifestations. Il a fait alliance avec Jokowi dont le fils aîné a été élu Vice-Président de la République. Quant au fils cadet, le projet d’en faire le futur gouverneur de Jakarta se heurte à des fortes oppositions. Cette tentative de créer une dynastie a déçu beaucoup de partisans de Jokowi.
Le nouveau Président, s’il est un accusé d’être un criminel par certaines ONG, est aussi un des hommes les plus riches d’Asie (propriétaire de vastes plantations de palmier à huile)[3]. Sur le plan politique, les relations avec la Chine sont compliquées (l’Indonésie est très proche des Etats-Unis), mais se poursuivent et se développent sur le plan économique (Nouvelles routes de la soie).
Aujourd’hui, c’est la 4ème puissance démographique après l’Inde, la Chine et les Etats-Unis. C’est le plus grand Etat musulman du monde (85% de la population). Il y a 5 religions officielles : Islam, christianisme/protestant, christianisme/catholique, Hindouisme, Bouddhisme (principalement Chinois).
Gérard Chesnel, ancien ambassadeur de France dans des Etats du Pacifique, Président de la Commission nationale pour l’élimination des mines anti-personnel
Conférence à l’Institut du Pacifique – 3 octobre 2024
Points évoqués lors des questions-réponses
-Chou En Lai était présent à la conférence de Bandung (mouvement des Non-alignés en 1955). Mais le coup d’Etat de Suharto a entrainé une rupture des relations diplomatiques avec la Chine.
-Des mouvements autonomistes et des révoltes ont eu lieu dès le lendemain de l’Indépendance : au sud des Moluques (mouvements pro-hollandais) ; tensions interethniques, inter-religieuses (face à l’islam radical) ; à Aceh (nord de Sumatra dernier à être soumis aux Hollandais après de longs mouvements indépendantistes).
-Le pali et le sanskrit sont encore enseignés à l’école.
[1] Cf le dossier « La grande aventure de la Compagnie des Indes (des marchands plus forts que des Etats) » in la Revue L’Histoire, n° 524, octobre 2024.
[2] Cf les problèmes liés aux transferts de capitales, par exemple Naypyidaw en Birmanie.
[3] La position officielle de la France serait moins sévère.
Le 4 avril dernier, Ivo Paparella a prononcé devant l’Institut du Pacifique une conférence sur « Les effets des sanctionsanti-russes en Asie -Pacifique » , qui avait été préparée conjointement avec Francis Baudu, Vice-Président de l’Institut du Pacifique.
Ce travail a encore été complété et enrichi par leurs auteurs dans le cadre d’une publication parue dans la Revue de Défense nationale, le 23 mai 2024, sous le titre « Les sanctions à l’encontre de la Russie ». Les deux auteurs avec Alain Oudot de Dainville, tous membres de l’Académie de marine, proposent un article très complet d’une trentaine de pages assorti d’une bibliographie détaillée. Ils y présentent les sanctions économiques devenues aujourd’hui un moyen de pression sur l’adversaire, même en l’absence de confrontation militaire directe. Ce travail complète leurs travaux qui ont déjà donné lieu à une publication dans la même revue en mars 2023 sur « La flotte commerciale russe ».
Article du 23 mai 2024
Article du 23 mars 2024
Hélène Mazeran
Une présentation originale à deux voix d’un pays lointain à tous points de vue, d’un pays que les conférenciers connaissent depuis longtemps, en profondeur, et où ils se rendent régulièrement depuis … 1964 pour Catherine Cadou et 1971 pour Christian Sautter.
Intervention de Christian Sautter
Référence aux 2 lutteurs de sumo. Le Japon essaie de faire respecter les règles d’un combat loyal entre la Chine et les Etats-Unis. L’archipel vit dans un isolement relatif, est-il calme pour autant ?
Si la croissance est considérée comme l’alpha et l’oméga du bonheur, le dynamisme démographique est un élément nécessaire, il n’en reste pas moins que la croissance est médiocre depuis 40 ans, que le déclin, s’il est calme, n’en est pas moins réel.
Mais les Japonais savent faire face en puisant dans leur aptitude à la sérénité, dans leurs ressorts culturels et leurs structures familiales et sociétales qui constituent l’âme japonaise.
Le rapport à l’Etat est paisible, l’institution étatique n’est pas considérée par les Japonais comme un fardeau, un handicap.
Au Japon, une chose peut n’être ni vraie, ni fausse.
Le Japon sera présenté dans une « valse à 3 temps » :
Temps 1 – un Etat « développeur »
De 1945 à 1985, le Japon est une nation riche, dotée d’une armée puissante. Depuis l’ère Meiji, l’Etat doit jouer le rôle moteur.
Le pays se développe ainsi en s’appuyant sur une coopération continue entre les 3 éléments du triangle de fer que constituent le gouvernement, le parti conservateur et le monde des affaires.
Pour nous, Occidentaux, compétition et coopération sont 2 termes antinomiques, le Japon lui sait construire le compromis.
Si comme en Asie orientale, le Japon a une image de société très « inégalitaire », l’harmonie y reste de mise. On en trouve des exemples dans nombre de domaines, non régulés mais « encouragés ».
Mais 1985 marque la fin de la période « Japan as N° 1 » : Éclatement de la bulle spéculative, obligation de réévaluer le yen, de libéraliser les finances.
Temps 2 – un Etat « résilient »
Le Japon doit faire face en 1995 au tremblement de terre de Kobé, en 2011 à la catastrophe nucléaire de Fukushima. Il faut y ajouter 2 éléments « aggravants » : le vieillissement de sa population et la croissance chinoise.
Mais grâce à l’Etat, la cohésion sociale est préservée, la croissance est ralentie, mais le Japon est devenu un pays « mûr », un pays rentier. Le travail est « robotisé » pour faire face à la diminution de la main d’œuvre. Mais, contrairement à ce qui se manifeste dans certains pays occidentaux, le travail manuel n’est pas méprisé.
Le Japon est exportateur de soft power.
Temps 3 – un Etat « conciliant »
En 2016, l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine impacte le Japon dans sa politique extérieure et peut rendre sa sécurité plus aléatoire (Corée du nord par exemple); le Japon est amené à augmenter ses dépenses militaires jusqu’à 2% du budget national et à acheter des armements aux USA.
Mais dans le même temps, il observe et écoute la Chine, la Corée du sud … Il sait jouer la carte du « go between » sans faire jouer les tambours. Le Japon est le royaume des diplomates, « ils agissent en parlant peu ».
Sur le plan intérieur, le Japon a un Etat « bizarre ». Le gouvernement ne cherche pas à faire le bonheur des gens malgré eux. Les Japonais sont habitués à « se débrouiller » seuls, s’organisant sur les fondements d’une très forte solidarité de proximité. L’Etat est peu interventionniste, il y a peu de lois. Il fait confiance aux entreprises. Pour autant les budgets sont déséquilibrés et la dette est abyssale. Mais l’épargne interne est très forte.
Dans le domaine climatique, il y a peu de déclaration, l’Etat est conciliant et cherche là encore à préserver l’harmonie entre économie, nature et bonheur, tout en revitalisant la ruralité.
L’utopie est pour après-demain !!!!!
Intervention de Catherine Cadou
Cinéaste et productrice, interprète et traductrice des œuvres cinématographiques de Akira Kurosawa (1910-1998) dont elle fut l’assistante pendant près de 17 ans. Spécialiste du cinéma japonais, elle a traduit et sous titrés près de 200 films japonais. Elle a participé en tant que traductrice et assistante de A. Kurosawa à tous les grands festivals de cinéma du continent européen (Cannes, Berlin, Venise, Deauville etc. …)
La culture et le mental japonais sont marqués par des concepts mythiques : cf histoire de la déesse de la montagne. Il s’agit de se situer par rapport à l’autre, par respect pour la nature, s’adapter à la diversité du monde. Les Japonais sont des humanistes.
Les signifiants du contraste « baguettes et fourchettes » : idée de réactivité nécessaire à l’incorporation, à l’appropriation du monde, importance de l’adaptation. Les Japonais savent s’adapter sans renoncer à être eux-mêmes.
La place des femmes au Japon est importante. Elle est inscrite dans la Constitution. Les femmes « déesses » toutes puissantes sont très admirées et référentes. Contrairement à la lecture dominante qu’en font les critiques de cinéma, le rôle des femmes dans les films japonais est très subtilement valorisé.
Le roman « Dit du Genji » écrit par une femme (cf exposition au musée Guimet, « A la Cour du Prince de Genji », novembre 2023-mars 2024, note dans l’espace Cultures de notre site) présente des femmes libres et autonomes au contraire des garçons au IXème siècle.
Le lien avec la nature est lui aussi essentiel. Il est présent dans toutes les facettes de la vie quotidienne et de la culture japonaise. Cela se traduit en tout premier lieu par l’habitat qui se doit d’être ouvert sur l’extérieur. On retrouve également cette attache forte avec la nature dans le respect des rites saisonniers dans les fêtes de quartier notamment.
Architecture et nature sont également des données essentielles dans l’agencement des villes et quartiers. La gare de St Denis Pleyel en bois et verre a été conçue par l’architecte japonais Kenzo Kuma, inaugurée en juin 2024. Symbole de l’architecture naturelle.
Conférence du 20 juin 2024 de Christian Sautter et Catherine Cadou
Quelques ouvrages de référence :
Pierre-François Souyiri, historien du Japon à l’INALCO : « Moderne sans être occidental : aux origines du Japon d’aujourd’hui ». 2016.
Ruth Benedict : « Le Chrysanthème et le Sabre », sur une commande du Pentagone en 1944 pour essayer de mieux comprendre les mentalités japonaises.
Le terme de « cérémonie » fait référence à des rituels et des pratiques codifiées, à un art traditionnel inspiré en partie du bouddhisme zen qui nécessite un long apprentissage[1].Elle correspond à une discipline esthétique de la civilisation japonaise.
La préparation du thé vert en poudre (« thé matcha ») est réalisée par un praticien expérimenté et servie à un petit groupe d’invités dans le cadre calme d’un lieu festif. Le cérémonial a été transmis au XIIème siècle par des moines japonais à leur retour de Chine. A l’époque féodale, le thé est un signe de culture ; au-delà d’un symbole de la cérémonie religieuse, c’est aussi un stimulant pour méditer ou une substance à usage médical. En 1522, le Grand Maître Sen Rikyu a perfectionné la Voie du Thé (Chado), et a créé 3 écoles. Ses descendants perpétuent son héritage et contribuent à son enrichissement dans le pavillon de thé le plus ancien dans la demeure de la famille Sen à Kyoto. Aujourd’hui, il y a environ 500 écoles.
L’école Urasenke est la plus active et la plus suivie des deux écoles principales l’autre est l’école Omotesenke également représentée à la MCJP. Elles ont de nombreux points communs.
Le pavillon de thé au 5ème étage de la MCJP a été offert par le Grand maître de l’Ecole Urasenke. Après des salutations, l’hôte et l’(ou les) invité(s) apprécient la décoration, en général dépouillée, la ou les fleurs (de saison) dans l’alcôve de la chambre de thé, le foyer (isolé symboliquement par un mini paravent autour du foyer) et le récipient d’eau. Un deuxième temps est consacré aux ustensiles et au tissu rouge en soie (plié) qui servira à la purification des ustensiles.
Quatre principes fondamentaux, toujours respectés, régissent traditionnellement la cérémonie et ses différentes étapes : l’harmonie (de la relation humaine, des ustensiles, avec la saison) ; le respect (de tous) ; la pureté (l’honnêteté de cœur) ; la tranquillité (la sérénité de l’esprit).
Les échanges entre l’hôte et l’invité portent sur les « ustensiles » : la boite de thé (sa forme, la qualité de la laque noire), le bol à thé la cuiller, le fouet (chasen) … La dégustation obéit aussi à un rituel : d’abord l’eau chaude réchauffe le bol, puis la dégustation du gâteau (légèrement sucré) est suivie par la dégustation du thé qui été fouetté avec un ustensile particulier destiné à l’aérer, et le faire mousser.
L’invité salue avant de déguster, admire le bol sous toutes ses faces, puis boit le thé.
Les invitations sont en général envoyées par l’hôte un mois avant la cérémonie. Le processus se termine à l’initiative de l’invité.
Hélène Mazeran
[1]Cf Noriko Morishita : La cérémonie du thé. Marabout. 2019.
Cf aussi « Dans un jardin qu’on dirait éternel », film de Tatsushi Omori, sorti en France en 2020. Article dans l’espace culture de notre site.
Rappel historique
En 1905, à la fin de la guerre russo-japonaise (à l’avantage du Japon), le Président américain Théodore Roosevelt joue les intermédiaires lors de la négociation du Traité de Portsmouth.
Il poursuit l’application de la doctrine Monroe, et la fait évoluer en « Big Stick ». Préoccupé par l’avance des nations européennes en Asie, il suggère à des diplomates japonais de faire de leur pays le dépositaire de la doctrine Monroe pour l’Asie.
Mais la lecture diffère :
– pour les Américains, il s’agit de faire barrage à l’expansion européenne en Asie,
– pour les Japonais en manque de ressources en matières premières, il s’agit de légitimer des conquêtes territoriales permettant des approvisionnements.
Le Japon envahit la Mandchourie en 1931. Et en fait l’Etat fantoche du Mandchoukouo. A la fin des années 30, des contacts avec des chefs sionistes (dont Ben Gourion) avait donné lieu au projet FUGU d’installation du peuple juif en Mandchourie, au lieu d’Israël pour créer une zone tampon avec la Russie devenus soviétique.
Le Japon envahit la Chine, puis l’Indochine française en 1940. Les Japonais pratiquent ici le 2A/AD (Anti-Access/ Access Denial) de la doctrine Monroe, mais ils s’installent. C’est là qu’ils se heurtent aux USA qui soutiennent les nationalistes de Tchang Kai Check. D’où la confrontation inévitable entre Japon et USA.
La pratique des sanctions est dans les gênes des Américains. En 1941, la Hollande et le USA sanctionnent le Japon en le coupant de ses importations d’acier et de pétrole d’Indonésie. D’où l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941.
Après l’invasion de l’Ukraine en février 2022
a) est un désert démographique,
b) ses infrastructures physiques (ports, aéroports, routes, chemin de fer) dans cette région sont insuffisantes pour satisfaire les ambitions relatives au développement socio-économique proclamées par Moscou.
c) la Russie est donc obligée d’engager des dépenses afin de réduire ses handicaps en Asie qui viennent de s’ajouter aux problèmes que le pays connaît dans sa partie européenne.
d)Le but des sanctions antirusses (anti-coréennes et anti-iraniennes ; voir la législation américaine à ce sujet et notamment CAATSA) est précisément de rendre impossible le décollage économique de son économie dans son ensemble en général et notamment celui de la partie asiatique /arctique.
e) Sur le plan international, la confrontation avec les États-Unis est dans la logique des relations entre les Américains soutenus volens nolens par leurs « foederes » euro-asiatiques, d’une part, et par les Chinois, Russes et d’autres pays du « Global South ». En effet, (et c’est Congressional Research Service qui le dit) l ‘Amérique ne veut pas permettre l’apparition d’une hégémonie régionale dans l’espace euro- asiatique.
Francis Baudu et Ivo Paparella
Conférence du 4 avril 2024
Quelques ouvrages récents, un certain nombre d’articles mettent en évidence les différences de stratégies entre la Chine et les démocraties occidentales ; ils interrogent quant aux perspectives d’avenir.
Quelques références :
Les pratiques d’influence et d’intimidation chinoises au Canada sont tout particulièrement évoquées dans les textes indiqués ci-dessus. Elles sont le reflet de l’aveuglement occidental qui voulait croire que la liberté de commerce et l’ouverture économique se traduiraient par des pratiques démocratiques et plus de liberté en Chine. Ainsi pendant de longues années, l’Occident, dans un mélange de naïveté, de cupidité et d’aveuglement, s’est laissé duper par la Chine communiste. Consentement ou ignorance ?
Au Canada, la fascination pour la Chine avait été amenée par les missionnaires vers les années 1880. Autour des années 1960, les universitaires ont pris le relai, avec notamment la création du Centre d’études est-asiatique de l’Université Mac Gill à Montréal, lequel va faciliter les premiers pourparlers diplomatiques, puis la création du Conseil d’Affaires Canada-Chine (CCBC) en 1978. Le rôle des grandes entreprises canadiennes fondatrices du CCBC a ensuite été déterminant pour développer les échanges avec la Chine aux dépens de toute interrogation morale ou géopolitique.
Après le « siècle des humiliations », leitmotiv du discours chinois, la puissance chinoise s’est reconstruite avec un parti communiste « aux caractéristiques chinoises », version moderne du pouvoir impérial chinois. Mais cela suppose de s’imposer aux Etats voisins « vassaux » (Birmanie, Laos, Cambodge, Vietnam ?), de dominer ses abords maritimes (la fameuse langue de bœuf en mer de Chine et au-delà dans le Pacifique) et de contrôler …les verrous potentiels au loin (projet des routes de la soie à travers l’Eurasie jusqu’en Afrique et en Europe, voire en Amérique latine)[1].
Les tensions entre le Canada et la Chine se sont aggravées en 2018 avec l’arrestation de Meng Wanzhou, héritière de Hua Wei et par réciprocité l’incarcération de deux Canadiens en Chine. Cependant les échanges et partenariats économiques ne ralentissent pas, ils restent intenses, avec des niveaux record en 2022. Les importations chinoises en provenance du Canada sont alors supérieures à 100 milliards de US$ pour la première fois. Les échanges sino-canadiens sont passés de 70 milliards en 2012 à 129 milliards en 2022, mais la balance commerciale reste toujours déficitaire pour le Canada. La Chine est ainsi le deuxième partenaire commercial du Canada, même si elle reste loin derrière les Etats-Unis (la France est au 13ème rang).
Si les échanges ont connu une croissance spectaculaire depuis 20 ans, les tensions politiques (notamment suite à l’emprisonnement de plusieurs citoyens canadiens en Chine , certains libérés depuis Meng Wanzhou est rentrée en Chine) sont sans effet sur les flux économiques. Il faut sans doute voir là les conséquences des efforts du PC chinois depuis les années 50 pour peser sur la vie politique canadienne et notamment les milieux parlementaires, via les commerçants et les étudiants. Ces opérations d’influence, voire de corruption ont bénéficié de la naïveté des Canadiens. Cependant aujourd’hui les opérations de déstabilisation chinoises se multiplient. Les dissidents chinois ou de Hong Kong résidant au Canada, sont « suivis » par Pékin, les intrusions dans la vie politique canadienne et les tentatives d’ingérence dans les opérations électorales[2] se multiplient de manière à favoriser l’élection de candidats favorables à Pékin …
Comment gérer des relations qui sont certes inévitables aujourd’hui, mais qui représentent en même temps une menace pour la démocratie canadienne ? Abandonner « l’esprit missionnaire » du XIXème siècle ne suffira sans doute pas … En effet environ 2 millions de Canadiens sont d’origine chinoise et peuvent être des cibles potentielles pour Pékin. Toronto et Vancouver (Hongcouver) sont de facto devenues des villes « chinoises ». Les étudiants chinois au Canada sont par ailleurs un autre vecteur d’influence, procurant environ un quart des ressources des universités canadiennes (droits universitaires + dépenses courantes induites).
En 2017, le projet Trudeau d’accord de libre-échange a été rejeté par la Chine en raison des références aux principes démocratiques occidentaux et au respect de normes environnementales. Le projet a été abandonné en 2020… pour l’instant.
En mai 2018, lors de la préparation de la 9ème conférence à Vancouver du« World Guangdong Community Federation »[3], le Canada a refusé environ 200 visas à des participants venus de Chine, dont une vingtaine de personnalités officielles. Si le message était clair, il n’exclut pas de rester vigilant pour l’avenir.
La nouvelle vision indopacifique lancée en 2022 vise à libérer le Canada de cette emprise chinoise dans la région : c’est la première stratégie (canadienne) englobant l’ensemble de la région indopacifique, visant à diversifier les échanges et les partenariats en vue d’une coalition de pays fiables. Mais cela suppose au Canada une vision incluant une perte d’influence des instances ayant bénéficié d’un quasi-monopole des échanges avec la Chine, telles le CCBC qui est le « principal canal d’influence du PCC au Canada ».La réussite de cette stratégie indopacifique induira nécessairement une perte de pouvoir et de prestige pour la CCBC ; ceux-là même dont elle bénéficie depuis plus de 40 ans.
Le cas canadien est particulièrement « disséqué » dans « les griffes du Panda »de Jonathan Manthorpe qui retrace les relations bilatérales depuis 150 ans. Les deux autres ouvrages mentionnés multiplient aussi des exemples d’actions menées par le ministère de la Sécurité d’Etat[4] auprès du Congrès américain, à l’Assemblée nationale française et dans les thinks tanks occidentaux. « La Chine a berné l’Europe et l’Amérique pour nourrir sa machine de guerre économique, et éviter toute libéralisation politique, dans le but de la confrontation à venir … avec les « somnambules occidentaux » pointe fort justement Ali Laïdi.
Les somnambules voudront-ils, et pourront-ils, sortir de cet état que favorise le sommeil paradoxal ?
Hélène Mazeran
[1]Voir les articles publiés sur ce site.
[2]Lors des élections de 2029, onze candidats aux élections législatives appartenant au Parti Libéral de Justin Trudeau, auraient reçu des fonds de Pékin. La Fondation Trudeau qui aurait reçu des fonds de Pékin, fait l’objet d’une commission d’enquête.
[3] La 1ère conférence de cette « Fédération » s’est tenue à Singapour en 2000, la 11ème à Guangzhou en 2023.
[4]Construit sur le modèle du KGB et aujourd’hui peut-être le plus grand service de renseignements au monde.
30 novembre 2023 : Intervention devant les auditeurs de l’Institut du Pacifique et d’ARRI – Conférence de Monsieur Philippe Coste, ancien ambassadeur de France au Cambodge auteur de « A l’ombre des khmers rouges, souvenirs d’une ambassade peu ordinaire : 1991 1993»
Comme hier, il faut compter avec la Chine qui assure aujourd’hui la pérennité du pouvoir cambodgien. Mais en dépit du consensus sur les valeurs, arrêté lors des accords de Paris en 1990/1991, afin d’élaborer la future Constitution, le pays a toujours du mal avec la démocratie.
Le Cambodge de jadis
1970 : Nous sommes en période de Guerre froide, et avec une guérilla entre l’État du Cambodge et la résistance ; Cependant il existe des traités internationaux qui sont respectés. Notamment sur l’arrêt des armements conventionnels en Europe ; ousur l’implication dans la guerre du Vietnam et dans le coup d’État de mars;
1975 : Après la prise de Phnom-Penh par les Khmers rouge en avril 1975, le Cambodge connaît quatre années d’isolement quasi total. Mais les « accrochages » fréquents sur les frontières entraînent finalement l’invasion en 1979, puis 10 années de tutelle de la part du Vietnam.
La fin de la Guerre froide permet d’envisager le rétablissement de la souveraineté du Cambodge sous l’égide de la France et de l’Indonésie. Deux années de négociations vont conduire aux accords de Paris.
1991 : Les accords de Paris d’octobre 91, et leur mise en œuvre jusqu’en1993.
Les élections et leurs trois préalables : pacification, retour des réfugiés, contrôle des administrations.
Les Nations unies mettent en œuvre une opération d’une envergure exceptionnelle, prenant en charge la totalité des responsabilités étatiques, civiles et militaires. Si les élections, qualifiées de « free and fair », ont pu se dérouler dans de très bonnes conditions, on peut regretter les reculs de M Akashi, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, chef de l’APRONUC, devant les Khmers rouges rassemblés à Pailin et aussi devant Hun Sen mis en place par les Vietnamiens qui contrôlent les administrations… D’où la crise de juin 93 et le gouvernement de coalition
La consolidation du régime d’Hun Sen :
Mise à l’écart du prince Ranarith, fils de Sihanouk écarté du gouvernement en 1997. Progressivement on assiste à une réduction des khmers rouges (entre ralliements, purges internes etécrasement militaire)
Le Cambodge aujourd’hui
-L’achèvement de la situation politique et le retour à un quasi parti unique
L’unification du pays et sa signification : alors que dans les 150 dernières années, les opposants sont toujours partis dans le maquis, et dans les mêmes régions, aujourd’hui le pays est totalement réunifié, ce qui va permettre le décollage économique. Des chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens ont jugé les Khmers rouges. Persistent cependant des problèmes de droits de l’homme. (Parti unique lors des élections de 2013 2018 et 2023).
Hun Sen a été Premier Ministre jusqu’en août 2023 son fils Hun Manet lui a succédé. Ce sera peut-être plus ouvert.
Il faut cependant constater qu’on est loin de la démocratie pluraliste que prévoyaient les accords de Paris. Mais l’ONU organise ici tous les ans une surveillance spécifique à la commission internationale des droits de l’homme et cela n’existe nulle part ailleurs.
-La modernisation du pays : une croissance de 6 % en moyenne sur les 10 dernièresannées, des financements chinois beaucoup plus importants que ceux de l’Union européenne et des États-Unis.
– La Chine : du renversement des alliances au protectorat de fait.
La Chine est omniprésente et garantit la pérennité du pouvoir cambodgien ; elle finance largement le pays, notamment les infrastructures. Le Cambodge bloque les critiques de l’Asean contre la Chine et offre à la Chine la base de Ream.
Le Cambodge ne soutient pas les revendications de certains pays de l’Asean (Vietnam, Indonésie Philippines Malaisie) s’opposant aux prétentions chinoises en mer de Chine méridionale. (La Chine a été déboutée en 2016 par la cour d’arbitrage international de la Haye).
Un marqueur d’une situation internationale profondément détériorée
-De l’alignement des planètes à la décision N°9 : le recul de nos valeurs
Depuis le début des années 90, le climat international s’est considérablement dégradé. Il n’y a plus de consensus entre les Cinq Grands du conseil de sécurité qui avait permis les accords de Paris. Nous sommes dans une situation de sécession (The West/ the Rest). En 2012 la directive interne N°9 du PCC interdit toute discussion dans les instances du parti communiste chinois sur les sujets suivants : valeurs universelles, liberté de la presse, indépendance de la justice… Ce désaccord sur les valeurs fondamentales interdit toute mise en œuvre de gouvernance mondiale, comme cela a été le cas en 1993
-Logique des blocs et crise de la gouvernance mondiale : CSNU, G20, BRICS, tous plus ou moins paralysés. Problèmes planétaires : climat, biodiversité, santé, contrôle de l’IA, désarmement
-Jusqu’où cela peut-il aller ? Deux variables : réélection de Trump ? Problèmes internes de la Chine : difficultés économiques, démographiques, … En marge du sommet de l’APEC à San Francisco, Xi Jinping a essayé de séduire les entreprises américaines….
Après les années de « repliement » de l’empire de la terre, puis le « siècle des humiliations », la Chine de Xi Jinping regarde à nouveau vers la mer, ou plutôt vers les mers et l’ensemble du monde, la Chine voulant être « un pays puissant au premier rang mondial en 2049 »[1] (discours de Xi Jinping au XXème congrès du PCC le 16 octobre 2022) et donc une puissance maritime.
Xi Jinping se plait à rappeler la continuité de sa politique[2] avec celle desTang, des Song, puis des Yuanqui, avec les expéditions entre 1405 et 1433 de l’Amiral Zheng He, ne visait pas à coloniser des territoires, à assujettir des peuples, mais à pourchasser les pirates, à assurer la liberté de navigation, à développer le commerce et à faire reconnaître la puissance chinoise. Le 11 juillet 2005, a été décrétée la Journée Maritime de la Chineen l’honneur des 600 ans de la 1ère expédition de Zheng He. Lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin en 2008, divers tableaux faisaient référence à ces expéditions, symbole de la vocation maritime de la Chine. Il est cependant notable que la Chine des Ming s’est refermée sur elle-même pendant plusieurs siècles, et que le discours révolutionnaire soulignait la rupture avec le passé… D’où une perplexité sur la « continuité » prônée par M. Xi Jinping ….
Depuis 2013, le projet BRI des routes de la soie maritimes et terrestres s’inscrit dans cette logique de contournement et de traversée du continent eurasiatique. La Chine affirme à nouveau son ambition après des années de repli.
Faire reconnaître la puissance chinoise : De Zheng He à Xi Jinping[3]
Aujourd’hui, et dans la perspective du centenaire de la République populaire de Chine, en 2049, le projet a désormais une visée mondiale avec une pénétration du continent américain, du moins dans sa partie latino-américaine, à travers l’océan Pacifique.
La première étape de ce mouvement a d’abord consisté pour la Chine à tenter d’accroitre soninfluence dans les Etats insulaires du Pacifique, micro-Etats peu développés[1] que la Chinea cherché à « détacher » de Taïwan, s’assurant ainsi de nouvelles voix aux Nations-Unies[2] (4 Etats reconnaissant Taïwan sont ici). Cependant la tournée du Ministre des affaires étrangères Wang Yi dans le but de proposer un « Plan d’action quinquennal pour le développement commun Chine-pays du Pacifique » en mai-juin 2022, n’a pas reçu pour l’instant un accord enthousiaste, mais le projet n’est pas abandonné. Par ailleurs, la Chine entretient aussi des relations avec les mouvements d’opposition à la politique française en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie français, territoires où les mouvements indépendantistes ont remporté les dernières élections locales.
Au-delà de l’aspect politico-diplomatique de ces relations, il ne faut pas oublier le rôle non négligeable des ressources minérales présentes sur certains territoires et surtout dans les fonds océaniques[3], dont la Chine est très demandeuse et dont elle contrôle les plus grandes capacités de raffinage.
La journée annuelle de la cartographie, le 28 août 2023, a été l’occasion pour le Ministère des ressources naturelles de publier une nouvelle version dela carte « officielle » de la Chine et de ses abords terrestres et maritimes[4]: à la « ligne des 9 traits », est ajouté un « 10ème trait » à l’est de Taïwan, englobant toute la mer de Chine, au détriment de ses voisins(Indonésie, Malaisie, Philippines, Vietnam), ainsi que des territoires indiens dans l’Himalaya (Aksai Chin et Arunachal Pradesh) et des territoires russes avec l’île de Bolchoi Oussourisk en totalité alors qu’elle avait été partagée en deux par l’accord de 2008 entre la Russie et la Chine. Cette publication heurte ainsi tous les voisins de la Chine, en rappelant toutes les revendications évoquées en 1948 par TchangKaï-Chek, puis reprises par Mao. Wang Wenbin, porte-parole du Ministère chinois des Affaires étrangères a qualifié cette publication de « démarche de routine ». Mais lors de sommet de l’ASEAN à Djakarta (5-7 septembre 2023),les 4 voisins maritimes de la Chine ont condamné énergiquement ces revendications « unilatérales », rappelant l’arrêt de la Cour d’arbitrage de la Haye du 17 août 2016qui les jugeaient « sans fondement ». En présence de laVice-présidente américaine KamalaHarris et du Premier ministre chinois Li Qiang, le communiqué final a évité prudemment tout référence à ce sujet sensible. Souhaitant préserver une « amitié sans limite », motivée pour la Russie par la guerre en Ukraine, M. Serguei Lavrov a qualifié ce tracé de « simple problème technique ». La question de ces terres devenues russes lors des « traités inégaux » (la Russie tsariste a alors participé au découpage de la Chine) a en principe été résolue en 2008 : les traités inégaux ont été dénoncés par Moscou, mais le retour des territoires à la Chine n’a pas été évoqué[5]. Lesouvenir est toujours vivace, et encore plus depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, et la Chine fait périodiquement des « piqûres de rappel »[6].
La publication de cette carte est-elle une « erreur » ou un acte délibéré pour mentionner que les problèmes ne sont pas « oubliés » ?
Parallèlement, se poursuit une recherche continue de relations approfondies avec le continent latino-américain. On retrouve ici aussi le souhait de prendre la place de Taïwan dans les relations diplomatiques de pays d’Amérique centrale et des Caraïbes[7], sans doute aussi d’y contrer l’influence nord-américaine. Les changements politiques dans plusieurs Etats de la région ont conduit à un désir d’émancipation de cette influence des Etats-Unis et un désir de diversification des partenariats. Ont rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan au profit de Pékin le Panama en 2017, le Nicaragua en 2021, le Honduras en 2023.
Au milieu des années 2000, cela a conduit à la signature d’accords de libre-échange avec le Brésil, la Colombie, l’Argentine, le Pérou et donc à un développement des relations politico-diplomatiques, et en dernier lieu avec le Nicaragua en août 2023.Cependant le projet de construction d’un canal transocéanique au Nicaragua, lancé par la Chine en 2015, prévu pour concurrencer celui de Panama en2029, semble en suspens, alors que les travaux d’agrandissement de celui de Panama sont terminés depuis 2016.
Mais peu à peu se manifeste le désir de Pékin d’avoir accès aux ressources naturelles de ces pays (gaz, pétrole, minerais et terres rares) et d’investir dans les infrastructures ferroviaires et portuaires.
Les investissements chinois, par exemple, sont dans les parcs solaire et éolien en Argentine, dans les gisements de pétrole au Venezuela, dans les centrales hydroélectriques au Brésil… Power China développe une cinquantaine de projets dans 15 pays d’Amérique latine (Cf Roberta Fortes. COFACE).
Quelques cas particuliersrécents méritent attention, notamment celui du Pérou.
En 2018, Chimalco, entreprise d’aluminium chinoise, a investi 1,3 milliard de dollars dans des mines de cuivre au centre du Pérou dont il est le 3ème producteur mondial. En 2022, la Chine en a importé pour 14 milliards de dollars et est ainsi devenue le 1er partenaire commercial du Pérou devant les Etats-Unis. Elle est aussi intéressée par les autres ressources minérales du Pérou qui est le 2ème producteur mondial d’argent, et dispose de ressources importantes de lithium (comme ses voisins argentins, boliviens et chiliens).
D’où l’intérêt de la construction d’un port en eau profonde à Chancay (70km au nord de Lima) par l’entreprise chinoise Cosco Shipping (connue pour avoir pris le contrôle du port du Pirée depuis 2016 avec 60% des participations, et pour avoir une importance croissante dans la gestion du port d’Hambourg). L’ambition chinoise est de faire de Chancay le « Shanghai du Pérou », qui pourra accueillir les plus gros cargos du monde et relier le Brésil, le Chili, la Colombie et l’Equateur à la Chine. Ces installations portuaires sont donc indispensables pour le développement chinois des exportations de minerais et des échanges économiques, mais elles sont sans doute aussi à double usage et pourraient servir au ravitaillement de bâtiments de la marine de guerre. Sans compter les risques de surendettement pour le Pérou, on ne peut oublier le cas d’Hambatota au Sri Lanka.
En outre, depuis 2020, une part du marché de l’approvisionnement électrique de Lima est gérée par l’entreprise chinoise Three Gorges Corporation[8]qui possède le plus grand barrage hydroélectrique au centre du Pérou à Chaglia. En avril 2023, la China Southern Power Grid International s’est portée acquéreur des activités électriques à Lima de la société italienne Enel pour un montant de 2,9 milliards de dollars. Si cette vente se concrétisait, l’ensemble du marché de l’électricité sur Lima serait en totalité entre les mains de la Chine, ce qui pose un problème de souveraineté et de sécurité nationale. Consciente de ce risque, l’autorité péruvienne INDECOPI, en charge de la concurrence, doit rendre un deuxième avis avant la fin de 2023.
Dernier exemple en date de la progression de l’influence chinoise en Amérique latine, le « partenariat stratégique » signé entre la Chine et la Colombie le 25 octobre 2023 à Pékin : La Colombie est invitée à rejoindre la grande famille des projets BRI, la Chine étant son 2ème partenaire commercial. La China Harbour Engineering Company est chargée de la construction de la 1ère ligne du métro aérien de Bogota.
Les BRI chinoises font désormais le tour du mondeet cette stratégiepolitico-économiques’accompagne depuis 2004 de la diffusion d’un « soft power » au travers desInstituts Confucius, à l’origine créés pour développer l’apprentissage du chinois et diffuser la culture chinoise. Mais aujourd’hui, avec plus de 540 Instituts dans 154 pays dans le monde, les Instituts Confucius constituent un relais d’influence, voir un outil de propagande pour Pékin.
Lors du3èmeForum des BRI à Pékin les 17 et 18 octobre 2023,les délégations de 130 pays étaient présentes. En dépit du succès affiché, on remarquera que certains pays manifestent des « réserves » quant au projet. L’Italie a annoncé qu’elle ne reconduirait pas sa coopérationpour cause de déficit commercial ; de nombreux pays africains n’ont pas une activité économique suffisante pour leur permettre de rentabiliser les infrastructures qu’ils doivent rembourser à Pékin. Le projet BRI va-t-il marquer une pause dans son extension ?
Dans ce contexte, l’initiative européenne Global Gatewaylancée en 2021 peut-elle se placer en concurrente ?
Hélène Mazeran
[1] On lira avec intérêt l’ouvrage du Général Serge Cholley : « Les ambitions spatiales de la Chine : d’une puissance mondiale vers une puissance globale ». Le Fantascope. 2012
[2] Cf François Lafargue et Li-Zhou Lafargue : « La mémoire disputée de Zheng He » in Revue Etudes n°4225, mars 2016.
[3] Source des cartes : Fabienne Manière : « La flotte des Trésors largue les amarres », in Hérodote, 3 mars 2023. Et Frédéric Lasserre. Département de géographie de l’université Laval, Québec, 2023.
[4] Cf les articles publiés sur le site de l’Institut du Pacifique au cours de 2022 : « Pénétration insidieuse de la Chine dans le Pacifique : l’exemple des îles Salomon » (30 avril) ; « Nouvelle étape de l’expansion chinoise dans le Pacifique ? (12 juin)
[2]Marshall, Nauru, Palaos, Tuvalu
[3] Cf Michel Jebrak : « Thalassocratie et ressources minérales : le cas de l’océan Pacifique » ? Conférence à l’Institut du Pacifique, 5 octobre 2023.
[4] Cf Sébastien Falletti : « La nouvelle carte de la Chine irrite ses voisins » in Le Figaro, 12 septembre 2023. Emission Les dessous des cartes, 5 septembre 2023.
[5] Cf Pierre Andrieu : « Géopolitique des relations russo-chinoises ». PUF, septembre 2023.
[6]Cf Serge Cholley : “Les ambitions spatiales de la Chine : d’une puissance mondialevers une puissance globale ». Collection des ChercheursMilitaires, 2012
[7]Belize, Guatemala, Haïti, Paraguay, St Christophe et Nieves, St Vincent et Grenadines, Ste Lucie.
[8] A la tête du barrage des Trois Gorges en Chine (record de production annuelle mondiale en 2020), elle a cependant vu rejetée son offre d’achat au portugais Energias Portugal.
Le cas de la France avec Taïwan[1]
De longue date, sous l’empire, la Chine était organisée en provinces, dont la cohérence territoriale est fracturée, sous le contrôle de seigneurs régionaux ; mais théoriquement ces derniers prêtaient allégeance au pouvoir impérial de la Cité interdite.
Taïwan et une partie de la Chine de Tchang Kai-chek (Président de la République de Chine) sont la cible d’une invasion japonaise en 1931. De fait l’île de Taïwan avait été cédée au Japon par la Chine impériale en 1895 avec le traité de Shimonoseki.
Pendant la période d’occupation de l’île, le Japon s’était employé à assimiler les Taïwanais : état de droit, éducation, plan de développement économique, etc. …
Lors de la seconde guerre mondiale, le Japon est allié avec l’Allemagne hitlérienne.
Tchang Kai-chek était un allié des Etats Unis.
Lors de la capitulation du Japon en 1945, les Etats Unis ont laissé la Chine de Tchang Kai Chek (Kuomintang), récupérer Taïwan, mais ils n’ont pas consulté les Taïwanais.
Alors que se déroulent tous ces événements mondiaux, la Chine est aussi le siège des affrontements entre nationalistes (Kuomintang) et communistes qui se soldent par la victoire de ces derniers menés par Mao Zedong et la guérilla au fil des années 1947/48. Instauration de la République populaire de Chine (RPC) fin 1949
Tchang Kai-Chek se replie sur Taïwan avec 2 millions de chinois ; l’île est alors peuplée de brigands et de soudards. Ce repli a été soigneusement planifié avec notamment le transfert de trésors antiques et monétaires mis à l’abri à Taiwan.
En 1949 lors de l’instauration de la RPC les Etats Unis hésitent quant à la solution à adopter vis à vis de Taïwan, sachant que la Chine avait été notre alliée pendant la 2eme guerre mondiale.
Mais la Chine de Mao réoriente ses alliances vers l’URSS et le bloc communiste en cours de constitution, en intervenant en Corée. Elle coupe ainsi les liens qui l’unissaient à l’Occident.
En 1950, Taïwan et son gouvernement dirigé par Tchang Kai-chek restent en revanche alliés avec les Etats-Unis. En 1957/58, Taiwan doit revoir sa stratégie pour que les USA continuent à la protéger. Le congrès américain entérine cette option en acceptant de protéger Taïwan, sans évoquer pour autant l’aspect territorial « chinois » de l’île (il s’agit de protection, mais pas de reconquête).
Le conflit ne se développe pas sur le sujet car la Chine communiste n’est pas reconnue par le bloc des états occidentaux, sauf par le Royaume Uni dès 1950 afin de préserver le statut de l’enclave de Hong Kong.
La France ouvre la brèche en 1964 par la décision du Général de Gaulle qui reconnaît le régime communiste de la Chine dirigé par Mao Zedong.Les Etats Unis sous la Présidence de Nixon reconnaissent ensuite le régime de Pékin.
Mais rien ne change à l’ONU (Charte de 1945) avec les 5 grandes puissances victorieuses où Taiwan occupe alors la place de la Chine jusqu’en 1971.En 1971, l’Assemblée générale des Nations-Unies admet le gouvernement de Pékin come représentant de la Chine à la majorité des deux tiers.Les autorités de Taipei ne contestent pas ce déroulement « en droit ». La question territoriale de l’appartenance à la Chine n’est pas traitée.
Taïwan, si elle n’est pas membre des institutions spécialisées du système des Nations-Unies, en revanche est reconnue en tant que telle par l’OMS, l’OMC, l instances aéronautiques internationales (OACI), les institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI) …
En l’absence d’Etat « officiel » reconnu, les pays ne peuvent pas installer une ambassade et échanger des ambassadeurs. En langage diplomatique on ne parle pas de représentation de Taïwan (le pays), mais de Taipei (la capitale).
La France (comme environ 70 autres pays) a opté pour ce mode de représentation :
-Un bureau de représentation français à Taipei ;
-Un bureau de représentation de « Taipei » à Paris.
(Un autre bureau s’est ouvert à Aix-en-Provence le 15 décembre 2020)
La plupart des autres pays à régime parlementaire ont fait de même.En ce qui concerne les parlements, la terminologie diffère également : on mentionne des « groupes d’amitié » pour des Etats souverains, et des « groupes d’études et d’échanges » pour les autres entités.
S’agissant de la diplomatie parlementaire, le Sénat américain a élaboré une philosophie diplomatique qui donne une légitimité directe à sa représentation qui n’est pas soumise à l’aval du Président des Etats-Unis. Le Sénat et leCongrès américainsont un rôle plus directif que les parlements européens dans les choix de politique étrangère (cf. visite de Mme Pelosi à Taïwan en 2022).
Notons que le parlement taiwanais ne possède qu’une chambre, le « Yuan législatif ».
Pour la France il n’y a pas de mandat explicite du gouvernement et du chef de l’État. Toutefois nos pratiques effectives sont imprégnées d’une familiarité diplomatique qui s’inscrit dans celles de notre régime présidentiel et l’exercice qui en est fait dans la tradition de notre constitution. Ces subtilités de langage permettent de maintenir des relations bilatérales. La France n’envoie pas de ministre en fonction en visite officielle à Taïwan (le Royaume-Uni n’envoie que des ministres non-régaliens).
Le gouvernement français accepte de tenir de visites informelles et depuis 2/3 ans, quand des officiels taiwanais viennent en France, ils sont reçus par leurs homologues. Il n’y a cependant ni communiqués de presse, ni photos officielles.
Mais quand une mission parlementaire française se rend à Taïwan, avant le départ des contacts sont pris avec le Directeur d’Asie au MEAE[1] et différentes responsables politiques des principaux ministères.
Les échanges économiques et les investissements restent déséquilibrés au détriment de la France ;les investissements français sont 15 fois supérieurs à ceux de Taiwan en France. Mais la société ProLogium est en cours de discussion pour l’installation à Dunkerque d’un site de production de batteries pour véhicules électriques sur un terrain de 750 ha.
Quelques questions ont fait suite à l’exposé de Monsieur Alain Richard, l’amenant à donner quelques informations complémentaires :
Taiwan a été gouverné par le Kuomintang pendant 40 ans sous un régime de dictature, mais des forces libérales et démocratiques se sont développées depuis 2008.
En 1996 eurent lieu les premières élections présidentielles (mandat de 4 ans renouvelable une fois). Cela a déclenché une première attaque d’artillerie de la Chine populaire, renouvelée lors de la 2e élection alors que le Parti Démocrate Progressiste (DPP) se prononçait alors pour l’indépendance.
En 2000 le DPP remporte les élections avec Chen Shui-bian sans réaction de Pékin. Puis le KTM revient au pouvoir et signe avec la Chine continentale des accords techniques ; Pékin se montre relativement conciliant. Le tourisme et la coopération technique se développent alors.
En 2016, Tsai Ing-wen du DPP est élue à la présidentielle et obtient la majorité parlementaire alors que Xi Jinping est au pouvoir. Les relations se durcissent car Pékin y voit une dérive par rapport au statu quo de 1992.
Aujourd’hui l’attachement à la démocratie est réel, même si des liens nombreux ont été tissés avec Pékin, notamment sur le plan économique.
Quel avenir ? Attaquer Taiwan pour Pékin suppose entrer en conflit avec les USA. En droit international, Taiwan est en rébellion / sécession par rapport à la Chine continentale. Mais s’il y a conflit, le maintien du statu quo sera impossible, et une évolution seraimposée soit vers l’indépendance, soit vers le rattachement à Pékin.
Vous pouvez également lire le livre ‘The invention of China’ de Bill Hayton paru en Février dernier.
Notes prises lors de la conférence d’Alain Richard (31 mai 30203)
* * * * * *
Note : Depuis sa création en 1982, le groupe d’études et d’échanges France-Taïwan a envoyé une visite de sénateurs français environ tous les deux ans. Ces missions ont été plus nombreuses depuis 2021 : octobre 2021, septembre 2022, avril 2023. L’Assemblée nationale mène, de son côté, le même type d’activités. Notons aussi que pour les Etats-Unis, sous la seule présidence Biden (c’est-à-dire depuis 2020), 8 visites de sénateurs ont été conduites à Taïwan.
[1] L’actuel directeur d’Asie au quai d’Orsay a été chef de la représentation française à Taïpei
[1]Notes prises lors de la conférence prononcée le 31 mai 2023 par Alain Richard, Ancien ministre de la Défense, alors Sénateur du Val d’Oise, Vice-Président du Sénat et Président du groupe d’échanges Sénat -Taïwan.