Apprendre à connaître ses voisins

Source : https://www.whitlam.org/publications/tag/Dr+Stephen+Fitzgerald

Entretien avec Dr Stephen FitzGerald

Quelle est l’importance de l’Australie en Asie, dans le Pacifique? Quel rôle joue-t-elle devant les questions urgentes de la région telles que la sécurité et le changement climatique? Comment se positionne le nouveau gouvernement du Premier ministre Anthony Albanese par rapport à ces questions et quels signaux a-t-il envoyé jusqu’à présent?

Le Docteur Stephen Fitzgerald partage avec nous ses pensées, produit de décennies d’expérience diplomate (il fut ambassadeur en Chine et en Corée du nord), de consultant auprès d’entreprises, de gouvernements et de forums régionaux, de chercheur et d’universitaire. Depuis chez lui à Sydney, il s’est entretenu par téléphone avec Frances Cowell[1] le 15 août.

FC       Est-ce que les actions du nouveau gouvernement du Premier ministre Anthony Albanese, sont annonciatrices d’un véritable réengagement dans la région Asie-Pacifique, après plus d’une décennie où l’Australie a été moins présente qu’elle aurait pu, compte tenu de son poids dans cette région?

SF       Il est encore tôt pour le dire, bien sûr, mais je pense vraiment qu’on est à un tournant. Les visites de la ministre des Affaires étrangères, Penny Wong, dans la région, faisant tout son possible pour se faire photographier avec son frère à Kota Kinabalu, son ancienne ville natale de Bornéo en Malaisie, et le premier ministre, Anthony Albanese emmenant Ed Husic, ministre de l’Industrie et des Sciences, qui est musulman, en Indonésie, envoient tous deux des signaux très clairs à la région, qui contrastent avec ceux des gouvernements libéraux (conservateurs) sortants, dirigés plus récemment par Scott Morrison, qui ont réduit les budgets des Affaires étrangères et ont donné la priorité à la sécurité et aux renseignements par rapport à la diplomatie. Cela contraste également avec les deux derniers gouvernements travaillistes, ceux de Kevin Rudd et de Julia Gillard, de 2007 à 2013, qui ont accordé moins d’attention qu’ils n’auraient dû à l’ancien ministre des Affaires étrangères, le très respecté Gareth Evans, quand il les exhortait à restaurer l’importance des relations avec l’Asie du Sud-Est.

Penny Wong a montré son sérieux en nommant, à la tête du Département des Affaires étrangères, une haute diplomate et ancienne ambassadrice à Tokyo et à Pékin, et en s’adressant directement au personnel du ministère, soulignant l’importance qu’elle leur accorde par rapport aux agences de sécurité et de renseignements. Elle a également été assez explicite sur son intention de replacer l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) au centre de notre politique étrangère, entre autres initiatives moins médiatisées. Cette nouvelle posture est réelle, c’est vraiment une bonne nouvelle.

FC       La ministre Wong n’a pas hésité à se déplacer aux iles Salomon, ce qui est bienvenu, mais cela ne pourrait-il pas être perçu comme une simple réaction à l’accord de sécurité entre ce pays et la Chine ?

SF       Je n’ai aucun doute que beaucoup aux îles Salomon et ailleurs dans le Pacifique le verront de cette façon. En effet, l’intérêt de l’ancien gouvernement de Morrison, bien tardif, s’était exprimé en ces termes, de même, par ailleurs, que certains membres du gouvernement actuel. Mais pour juger d’un plat, il faut le goûter, et nous devons travailler sincèrement et honnêtement avec nos partenaires sur ces problèmes, plutôt que de simplement nous repositionner pour bloquer chaque action de la Chine. Fait intéressant, l’ambassadeur de la Chine en Australie, Xiao Qian, dans son discours de la semaine dernière au National Press Club à Canberra, a suggéré de travailler ensemble sur les questions climatiques dans les pays tiers. En fait, au début de ce siècle, j’avais éveillé l’intérêt de l’Agence d’aide extérieure chinoise pour travailler de manière coordonnée avec nous sur les projets d’aide aux pays en voie de développement, y compris dans le Pacifique, et ils étaient assez enthousiastes. Mais, hélas, notre bureaucratie a considéré l’initiative comme étant trop compliquée, trop difficile à mettre en œuvre. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de montrer que notre porte est ouverte et que nous voulons vraiment une coopération, pas seulement sur le climat, mais aussi sur d’autres questions liées à l’immigration et aux visas de travail, aux cueilleurs de fruits, etc. Si nous sommes assez intelligents et courageux, nous ferons beaucoup pour dissiper les perceptions négatives.

FC       La longue relation de l’Australie avec les Etats insulaires du Pacifique a été principalement paternaliste. Est-ce qu’elle ira, désormais, au-delà du simple don d’argent ?

SF       Je pense que oui. Penny Wong a répété à plusieurs reprises qu’à partir de maintenant, l’Australie écouterait et cesserait de traiter avec condescendance ces « pauvres petits pays ». C’est un signe de la gravité de la situation, en particulier en ce qui concerne le changement climatique. Mais j’aurais aimé qu’elle n’ait pas qualifié les pays du Pacifique de « famille », mot qui a pour moi, des connotations colonialistes. Après tout, ce sont des pays indépendants, des états souverains que l’Australie doit traiter d’égal à égal.

FC       Malgré sa richesse et ses ressources, l’Australie a été jusqu’à présent qualifiée de climato-récalcitrante, alors qu’elle devrait être leader dans ce domaine. Pour être prise au sérieux, elle a besoin de réduire sa dépendance à l’extraction et à l’usage du charbon, ce qui sera douloureux, aussi bien économiquement que politiquement. Que peut faire d’autre l’Australie pour restaurer sa crédibilité envers le changement climatique dans le Pacifique et dans le monde ?

SF       Je me méfie un peu du mot « leader », l’Australie devrait se fixer comme but plutôt d’être un bon citoyen international. Gareth Evans a récemment publié un livre intitulé « Good International Citizenship », ce qui signifie soutenir les pays qui veulent vraiment agir contre le changement climatique, prendre en compte ce qu’ils veulent voir se produire et travailler à l’échelle internationale pour y contribuer. Ross Garnaut, économiste du développement, ancien conseiller du Premier ministre Bob Hawke et auteur de « Australia and the East Asian Ascendancy », affirme que nous devrions être une superpuissance de l’énergie propre. Pour cela, l’Australie doit passer aux énergies renouvelables et jouer un rôle prépondérant dans les forums internationaux du climat, tout en tenant compte des voix des pays du Pacifique Sud, mais aussi des pays d’Afrique et d’Amérique latine. Il convient de mentionner que Garnaut avait aussi contribué à la rédaction collaborative du tout premier livre blanc de la Chine sur le climat au début de ce siècle. Mais nous devons commencer par mettre de l’ordre dans notre propre maison, ce qui implique un débat national et, comme vous le dites, ce ne sera pas facile.

FC       Votre thèse de doctorat portait sur les relations de la Chine avec les Chinois du reste du monde. Les Chinois ont été depuis longtemps attirés par l’Australie, par exemple, lors de la ruée vers l’or des années 1850, et bien des visages asiatiques que vous voyez dans les rues australiennes viennent de familles qui sont en Australie depuis bien plus de générations que beaucoup des personnes d’origine européenne. Il y a aussi beaucoup de Chinois arrivés en Australie plus récemment. A leur sujet, l’ambassadeur Xiao Qian, dans de son allocution devant le National Press Club a clairement déclaré que la Chine les considère tous comme étant chinois. Comment voyez-vous cette relation entre la Chine et ces Sino-australiens ?

SF       Dans mon travail actuel en tant que président du Comité directeur d’un projet visant à créer le Musée des Chinois en Australie, je suis devenu très engagé, ou plutôt réengagé dans ce sujet. Je trouve là des histoires absolument exquises, comme par exemple celle du tout premier immigré libre d’origine chinoise, en 1818, pas longtemps après l’arrivée des premiers immigrés libres britanniques. Il était fabricant de meubles à Paramatta, à l’ouest de Sydney, et il y a eu une lignée continue de fabricants de meubles sino-australiens jusqu’à nos jours. En plus de diriger également une entreprise de pompes funèbres et de fabriquer des cercueils, il avait aussi ouvert un pub, ce qui est certainement l’activité la plus typiquement australienne que vous puissiez exercer. Un fait important concernant les premiers Chinois est qu’ils s’entendaient très bien avec les premières nations, les peuples aborigènes ; il y a eu et il y a encore beaucoup de mariages mixtes. Un autre exemple, Alexis White, lauréate du prix Miles Franklin pour son roman de2008, Carpentaria, est d’origine chinoise et en partie aborigène. Il existe des centaines, voire des milliers de telles histoires, et je dis souvent que les Chinois sont des premiers Australiens multiculturels.

Nous avons actuellement environ 1,2, à 1,3 million de personnes d’ascendance chinoise en Australie. Il y a environ trois ou quatre ans, le président Xi Jinping a commencé à suggérer que tout Chinois demeurant à l’étranger devrait s’unir et rester fidèle à la Chine. En fait, cette politique venait du Kuomintang à Taiwan, jusqu’à ce que le Premier ministre Zhou Enlai, un penseur stratégique très brillant, l’abandonne en 1954, après avoir compris que c’était mauvais pour la Chine et les Chinois, en particulier en Asie du Sud-Est, en raison des soupçons, nourris par les États-Unis, que derrière ces Chinois se cachait une « cinquième colonne » pékinoise. Zhou a créé une loi sur la nationalité et la citoyenneté qui demande aux Chinois à l’étranger de choisir entre la Chine et le pays où ils vivent, et la Chine préférait le choix d’être bon citoyen dans le pays où ils vivent. Mais maintenant Xi Jinping sembler suggérer le contraire. À l’époque, la rhétorique du gouvernement de Morrison alléguait que pratiquement toutes les personnes d’origine chinoise étaient des « larbins » du Parti communiste chinois. Et, pour sûr, il y avait beaucoup d’activisme mené par le personnel consulaire chinois, en particulier dans les universités.

FC       Vous faites allusion aux Instituts Confucius ?

SF       Oui, mais aussi à la population étudiante en général et à leurs propres organisations d’étudiants. Il y a environ deux ans, j’ai commencé à soulever cette question ici, en Australie. Faisant référence à la politique de Zhou Enlai, j’ai dit au Consul Général australien que, s’il parvenait à parler à Xi Jinping, j’espérais qu’il mentionne le fait que ces messages pouvaient être très préjudiciables aux Chinois en Australie. J’ai de la sympathie pour ces étudiants, coincés d’un côté par les demandes de loyauté envers la Chine et de l’autre par les autorités australiennes. Bien sûr, le Consul Général ici ne sera jamais en mesure de parler directement à Xi Jinping, mais il est presque certain que d’autres que moi diront des choses similaires et il sera obligé, comme vous le savez, d’en faire rapport au ministère des Affaires étrangères à Pékin. Actuellement il semble y avoir moins de tels messages en provenance de Pékin.

Cela dit, la ligne est étroite, car ces étudiants sont toujours des citoyens chinois, et leurs diplomates ici ont la responsabilité de veiller sur eux, de même que nous le faisons pour nos propres étudiants en Chine.

FC       Ce qui est sûr d’inquiéter beaucoup de gens, ce sont les informations selon lesquelles la Chine exerce parfois des pressions sur les familles en Chine des Chinois à l’étranger. Voyez-vous des signes de cela ?

SF       Oui, il existe des cas connus et prouvés, mais on ne peut jamais être sûr si cela vient du sommet, ou des fonctionnaires zélés de niveau intermédiaire et inférieur, ou un peu des deux. Bien que je n’aie pas eu connaissance de nouveaux cas depuis quelques mois, il y en a certainement eu dans le passé. C’est une autre ligne étroite, car de par sa nature, le système politique chinois exige la conformité.

FC       Vous avez dit que la seule chose qui pourrait provoquer la Chine au point de devenir une menace pour l’Australie, serait un pacte explicite de défense stratégique avec, par exemple, les États-Unis. N’est-ce pas exactement ce qu’on a fait avec les accords Five Eyes, ANZUS, Quad et AUKUS[2].

SF       C’est ce que nous faisons, mais plus que ces accords grandiloquents et symboliques, c’est le haut degré d’enchevêtrement dans lequel se trouvent les forces australiennes et américaines. Par exemple, depuis un certain temps déjà, le commandant adjoint des forces américaines dans le Pacifique est un officier australien en uniforme, avec 45 officiers australiens travaillant sous son commandement. Nous sommes également présents dans leurs armées de mer, de terre et de l’air, ainsi que dans Pine Gap et d’autres installations américaines en Australie qui gèrent des satellites espions, des missiles, etc. Pire encore, des gouvernements précédents semblaient même inviter la Chine à considérer l’Australie comme un pays hostile. Ainsi, si guerre il y avait entre la Chine et les États-Unis, l’Australie y serait entraînée. Et certains signes du nouveau gouvernement travailliste n’ont pas aidé, comme lors de la visite à Taiwan de Nancy Pelosi et les exercices militaires chinois consécutifs. Penny Wong, qui jusque-là ne prêchait que la retenue, s’est laissée entraîner à participer à une déclaration commune avec les États-Unis et le Japon qui condamnait la Chine. Cela n’était pas nécessaire, je pense.

FC       Lorsque Malcolm Fraser est devenu Premier ministre, en 1975-1976, vous avez écrit quatre dépêches à son ministre des Affaires étrangères, Andrew Peacock, disant que nous devons apprendre à connaître nos voisins afin de comprendre si leurs actions sont contraires à nos intérêts ou non. De toute évidence, nous en sommes loin et avons peut-être même régressé dans ces dernières décennies. Cela a été évident lorsque l’ambassadeur Xiao Qian s’est récemment adressé au National Press Club à Canberra, avec le message que la Chine reconnaissait la nécessité de réinitialiser ses relations avec l’Australie, et suggérait de commencer par une concertation sur nos points d’accord,  avant d’aborder nos différends, avouant qu’il y en avait. Il a également déclaré que la Chine était prête à tout négocier, sauf Taiwan. Cependant, pendant qu’il parlait, la caméra de télévision a montré les expressions hostiles des journalistes australiens, qui semblaient ne pas l’écouter. Avec ses questions, la presse ciblait les sujets de désaccord entre la Chine et l’Australie. Vous deviez trouver cela très frustrant. Cela dit, l’avis des gens ordinaires est important. Il y a un proverbe, chinois je pense, qui dit que le poisson pourrit par la tête, ce qui signifie que le gouvernement peut influencer la façon dont les Australiens voient la Chine. En êtes-vous d’accord ?

SF       Oui, j’ai trouvé son message assez conciliant et très professionnel. Oui, absolument. Pendant les gouvernements des Premiers ministres Whitlam, Fraser, de Hawke et Keating, du 1972 à 1996, les messages venant d’en haut étaient tous très positifs. Cela a commencéà changer à partir de l’élection du Premier ministre John Howard, qui a encouragé le racisme avec des histoires d’immigrés « boat people », dont on disaitqu’ils jetaient leurs enfants dans la mer.

SF       Oui, j’ai trouvé son message assez conciliant et très professionnel. Oui, absolument. Pendant les gouvernements des Premiers ministres Whitlam, Fraser, de Hawke et Keating, du 1972 à 1996, les messages venant d’en haut étaient tous très positifs. Cela a commencé à changer à partir de l’élection du Premier ministre John Howard, qui a encouragé le racisme avec des histoires d’immigrés « boat people », dont on disait qu’ils jetaient leurs enfants dans la mer.

Pour un temps, entre 2007 et 2013, les gouvernements travaillistes des Premiers ministres Rudd et Gillard semblaient ne pas se rendre compte, ou peut-être ne voulaient pas savoir à quel point la situation était grave. Mais le message des dirigeants est important, ne serait-ce que parce qu’il fournit des informations aux journalistes favoris, connus dans certains milieux sous le nom de « sténographes » ou « journalistes d’accès » plutôt que d’investigation, car ils ne font que transcrire ce qu’on leur dit et ils n’ont aucune compréhension de la Chine, du Japon ou de l’Indonésie, par exemple, ils ne parlent pas leurs langues et ce qu’ils écrivent est unidimensionnel. C’est un problème sérieux au sujet duquel nous sommes revenus au temps de la guerre au Vietnam.

FC       Est-ce là que l’éducation entre en jeu? Dans les années 1960 à 1970, j’ai étudié l’indonésien au lycée et l’histoire de l’Inde ancienne à l’université. C’était très inhabituel à l’époque, mais c’était possible, et je pense que ça ne l’est plus maintenant.

SF       En effet, du début des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990, notre système d’enseignement a encouragé l’étude des langues et des cultures asiatiques. Inverser le déclin de cette politique, depuis largement avancé, sera aujourd’hui difficile et demandera des messages forts venant d’en haut, aussi bien que de l’argent. Le gouvernement a aussi besoin de s’éduquer lui-même : même si quelques ministres travaillistes apprennent actuellement des langues asiatiques, la grande majorité de ceux qui gèrent le pays n’a aucune connaissance de la Chine, de l’Indonésie ou du Cambodge, par exemple. Et alors qu’ils ont des contacts bien établis chez les Américains et les Britanniques, ces contacts manquent avec les pays de l’Asie et du Pacifique. Cela les empêche de voir les questions depuis le point de vue des autres, et donc d’avoir une meilleure compréhension de notre région et de pouvoir travailler mieux avec eux.

FC       Mais, est-ce que celaconcerne uniquement l’enseignement supérieur ? Que diriez-vous d’enseigner les langues asiatiques dans le primaire ?

SF       Oh, oui, absolument, et j’ai une expérience directe avec le gouvernement du Queensland à la fin des années1980 et début des années1990, pour ce qui est de l’enseignement de « LOTE » (langues autres que l’anglais).J’ai été inspiré par l’enthousiasme des parents et des enseignants dans de minuscules villages éloignés des grandes villes ou l’unique enseignant avait à peine une leçon d’avance sur le cours de langue chinoise qu’il donnait aux enfants, ce qui ne l’empêchait pas de parler  et d’écrire quelques caractères sur le tableau. Malheureusement, tout cela a largement disparu.

FC       L’échange international des étudiants apporte des avantages aussi bien au pays d’accueil qu’au pays d’origine, comme nous l’avons appris au fil des décennies avec le système d’échange Colombo. Aussi, lorsque cela s’interrompt, comme cela s’est produit avec la pandémie et ses retombées, tout le monde est perdant. Est-ce que l’Australie recommencera à recevoir des étudiants asiatiques, et est-ce que les parents recommenceront à envoyer leurs enfants en Australie ?

SF       Pendant un moment, alors que nous étions vraiment dans le congélateur, Pékin donnait, sinon des messages négatifs, du moins des conseils pour ne pas aller étudier en Australie. Je n’ai pas vu de ces messages récemment, mais beaucoup de parents peuvent encore être réticents. J’ai été un peu surpris que l’ambassadeur Xiao Qian, dans son discours de la semaine dernière, ait déclaré qu’il y avait 110.000 étudiants chinois en Australie, bien plus que ce que j’avais entendu, suggérant qu’il y a eu une certaine reprise. Malgré des opportunités aux États-Unis, en Grande Bretagne et au Canada, l’Australie reste une destination de choix pour les étudiants et leurs familles. Le système éducatif australien est toujours en haute estime, malgré une certaine baisse de qualité, et il y a encore une énorme demande latente des étudiants pour étudier à l’étranger. Mais ce sera lent. Les universités australiennes doivent se mettre sur le devant de la scène, être présentes en Chine, comme à l’époque où les chanceliers académiques allaient remettre des prix lors des remises de diplômes à Shanghai et dans d’autres grandes villes chinoises. C’était un peu naïf peut-être, mais c’était aussi très malin. Beaucoup de nos universités ont des relations privilégiées avec des universités en Chine, certaines même avec des sous-campus. Fait intéressant, ce week-end il y a eu un long article dans un des principaux journaux australiens à propos de l’augmentation très significative du nombre d’étudiants indiens en Australie, qui est aujourd’hui sur le point de devancer la Grande-Bretagne en tant que destination de l’immigration indienne. Cela va probablement continuer.

En conclusion, Frances Cowell souligne que le Dr Fitzgerald dresse un tableau de presque trois décennies des relations extérieures gâchées, mais ce qui émerge de cette conversation c’est l’opportunité importante pour l’Australie d’exploiter la richesse de ses abondantes ressources naturelles, son système d’enseignement réputé et la diversité de sa population dans un effort soutenu pour résoudre avec ses voisins les questions importantes de sécurité et du changement du climat.

Le gouvernement donne des signes favorables, mais afin de saisir cette opportunité, l’Australie a besoin de regagner la confiance d’autrefois des autres pays asiatiques et du Pacifique. Cela demandera des efforts et de la prévenance à tous les niveaux du gouvernement. Sur le plan international, elle doit protéger ses intérêts stratégiques et être circonspecte en ne s’engageant pas dans des conflits qui n’iront pas forcément dans le sens de ses propres intérêts, en particulier avec ses alliés traditionnels pour ce qui est de la sécurité. Sur le plan national, elle doit exploiter son abondant soleil et développer sa capacité à innover et à entreprendre pour se libérer de sa dépendance au charbon. Comme le dit le Dr Fitzgerald: il faudra mettre de l’ordre chez soi. Ainsi, on aura besoin, par l’éducation et le dialogue à tous les niveaux, d’amener les Australiens, toutes ascendances confondues, à s’entendre de manière constructive avec leurs voisins. Relever ces défis coûtera cher, mais la récompense en vaudra le prix. Ne pas le faire coûtera davantage coûteux, aussi bien à l’Australie, qu’à ses voisins.

Frances Cowell         

15 août, 2022


[1] Frances Cowell, membre de l’Institut du Pacifique, actuellement en résidence à Paris, est auteure indépendante publiant sur des sujets de relations internationales. Cette activité fait suite à une longue carrière dans le domaine de la gestion des investissements en Australie, et également depuis son arrivée en Europe en 1998. Elle est l’auteur de nombreux articles et de 3 livres sur la gestion des investissements et des risques.

[2]Five Eyes : alliance des services de renseignements créé en 1941 entre l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, la Nouvelle Zélande, et le Royaume-Uni. Sa capacité de surveillance a été élargie après 2001.

ANZUS (Australia, New Zealand, United States Security Treaty: pacte militaire signé à San Francisco le 1er septembre 1951 entre les 3 Etats.

Quadrilatéral Security Dialogue (Quad) est une coopération informelle entre l’Australie, les Etats-Unis, l’Inde et le Japon dans les années 2000, restée en sommeil pendant une dizaine d’années et ravivée depuis 20&7 avec des sommets réguliers et ces dernières années des exercices militaires conjoints (manœuvres annuelles Malabar). Cette coopération est vue comme une réaction à la puissance grandissante de la Chine.

AUKUS (Australia, United Kingdom et United States) est une alliance tripartite entre les 3 Etats rendue publique le 15 septembre 2021.Elle vise à contrer l’expansionnisme chinois dans l’Indopacifique.

[3]Le système Colombo, lancé le 10 décembre 2013, est une initiative phare du gouvernement australien visant à relever le niveau des connaissances dans la Région Indopacifique en Australie et à renforcer les relations interpersonnelles et institutionnelles à travers des études et des stages entrepris par des étudiants australiens de premier cycle dans la région.