« La Chine : incertitudes et inquiétudes »

En cette période où nous attendons l’ouverture, la tenue et ensuite les conclusions du congrès du Parti communiste chinois, l’aspect politique, par son issue inconnue, constitue le premier paramètre dimensionnant pour la Chine.

Cette interrogation sur l’inconnue politique fera donc l’objet de la première partie. L’issue de ce congrès est largement déterminée par des problèmes internes que nous regarderons ensuite en deuxième partie. Enfin les problèmes de la Chine avec les pays autres et sa politique envers l’extérieur constituent la dernière partie, celle dont les conséquences nous inquiètent le plus. Nous en tirerons des conclusions, toutes provisoires cependant, dans l’attente de la fin du congrès.

Commençons donc par le système politique. Comme il est courant, il y a un parlement où Assemblée du Peuple qui est élu par l’ensemble de la population âgée de plus de 18 ans soit un milliard d’individus. Au sein de cette assemblée du peuple (2000 à 2500 membres) est élu un comité permanent ou Conférence politique consultative (d’environ 200). C’est au sein de ce comité que se recrute le Conseil des Affaires de l’État qui correspond au conseil des ministres. Au-dessus : le président de la république.

Mais ce système n’est pas unique. L’ensemble des membres du parti communiste (soit quand même 80 millions d’individus) élit environ 2000 à 2500 délégués au congrès du parti communiste chinois. Ce congrès élit lui-même, d’une part une Commission centrale de contrôle de la discipline (de 100 à 150 membre dont une dizaine seront des acteurs importants), d’autre part un Comité central (d’environ 200) qui élit à son tour un Bureau politique (Politburo) d’environ 25 membres au sein duquel est nommé un Comité central permanent (de 7 à 9 membres) qui lui-même est dirigé par le secrétaire général. Le Comité central désigne aussi une Commission militaire centrale.

Ce système paraît compliqué et doublonné. Cependant il se simplifie du fait que toutes les personnes atteignant un niveau de responsabilité au sein de l’appareil classique de l’État sont en fait des représentants du parti à l’intérieur de la filière du parti. Les élections sont « démocratiques » sauf qu’à chaque échelon les candidats sont déterminés par les élus de l’échelon supérieur, sauf au niveau des plus petites communes et des bourgades agricoles.

Tout se trouve donc déterminé par la composition du comité central du Politburo. Chaque congrès apporte ses surprises et on voit des renouvellements très importants à l’arrivée d’un nouveau secrétaire général, généralement moindres entre ces deux quinquennats. Pour le congrès de 2022, l’actuel secrétaire Xi Jinping a déjà fait de mandat de cinq ans alors que pour la présidence la limite était justement de deux mandats. Mais Xi Jinping a fait sauter cette limite qui datait de la sagesse prudente de Deng Xiaoping ! D’autre part sa « pensée » est désormais inscrite comme doctrine dans la constitution. Enfin il ne semble pas que l’armée puisse s’opposer à Xi du fait qu’un profond renouvellement des généraux les plus importants a été effectué ces derniers temps au bénéfice de ses partisans. Mais quels seront les autres membres du comité central ? les plus de 65 ans seront-ils éliminés sauf Xi ? Seront-ils six comme en 2012 ou neuf comme en 2002 ?

Ce qui est vraiment inquiétant est que Xi Jinping avait annoncé le « retour » de Taiwan à la « mère patrie » avant son propre départ sans exclure l’utilisation de la force.

La situation de Xi Jinping est-elle cependant assurée ? Ce n’est pas sûr, en raison des problèmes internes de la Chine qui font l’objet de cette seconde partie. On y trouve : le ralentissement économique, l’étendue de la dévastation écologique, le vieillissement démographique, les problèmes de l’enseignement de la santé et des retraites, enfin les problèmes idéologiques liés à la dictature.

Depuis Deng Xiaoping, la Chine était devenue l’atelier du monde. Elle se veut maintenant le bureau d’études du monde, capable de fournir tous les biens depuis la conception jusqu’à la réalisation – éventuellement reportée à un étranger moins cher en main d’oeuvre. En effet cette montée en gamme s’accompagne de la hausse des prix du travail, la main-d’œuvre officielle devenant aussi coûteuse que dans des pays d’Europe de l’Est (ce n’est évidemment pas le cas de la main-d’œuvre cachée, souffrante, des exilés intérieurs, les « mingong »). L’économie tirée par les seules exportations ne constitue plus un modèle valable, c’est la consommation interne qui doit pallier la baisse attendue des exportations (sans d’ailleurs que nous y gagnions aucunement).

Je ne détaillerai pas l’aspect économique. Il suffit de dire qu’il y a des villes nouvelles qui sont vides alors que des constructions commandées dans des villes dynamiques ne sont pas livrées et que les acheteurs commencent à se rebeller et à refuser de payer leurs échéances. Les investissements exigés par les cadres du parti ont conduit à une profusion d’entrepôts et d’usines sans destinations ni marchés. Les banques locales ont dû obéir aux cadres du parti mais les prêts qu’elles ont consentis sont souvent sans retour. Enfin le bâtiment et travaux publics est incertain des commandes surtout après le Covid. Celui-ci, et l’isolement et le confinement imposés par Xi, ont traumatisé et désorganisé le pays.

Cependant la Chine n’est pas démunie d’atouts : elle a réussi à obtenir le monopole des métaux rares qui correspondent à une métallurgie polluante que l’Occident a refusée. D’autre part grâce à son financement de la recherche mais aussi au vol et à l’achat des technologies, elle s’est très bien placée sur de nombreux marchés d’avenir. Enfin la Route de la Soie lui ouvre les portes de l’Afrique et de l’Amérique du Sud, et de leurs richesses : lithium, cobalt, cuivre, nickel… ainsi donc la Chine s’est préparée pour l’industrie du futur en particulier les semi-conducteurs, les aimants, les supraconducteurs…

Cette position appréciable ne s’est pas obtenue sans casse. L’état écologique de la Chine est désastreux. Le charbon constitue toujours 60 % de la ressource d’énergie–comme en Inde. Le pétrole constitue 19 %, le gaz 8 %, les barrages hydrauliques 9 %, le nucléaire 2 % et les renouvelables 3 % (le total est de 101 % à cause des quantités fractionnaires). Les fleuves sont anémiés : le Huang Ho est devenu endorhéique ! La désertification approche Pékin. La pollution de l’eau et des terres par les métaux lourds est inquiétante. Enfin l’air est si pollué que le film « Sous le dôme » de Chai Jing n’a pas été censuré et a été visionné des millions de fois. Problème dangereux, des barrages anciens risquent de céder lors de secousses sismiques comme on l’avait craint au Sichuan en 2008.

La démographie est à peu près le seul domaine où l’on puisse faire des prévisions solides. Celles-ci sont catastrophiques pour la Chine qui risque de devenir vieille avant d’avoir été riche. Une excellente illustration s’en trouve sur le site : https://www.visualcapitalist.com/cp/chinas-aging-population-problem-1950-2100/

D’autres problèmes intérieurs touchent directement les individus :

– l’éducation du « petit empereur » qui risque fort de rester célibataire étant donné le déséquilibre entre garçons (1,17) et filles (1),

– les problèmes de l’enseignement et de la recherche : chaque année 10 millions de Chinois passe le Gaokao, après souvent un bachotage d’ailleurs désormais interdit, dans des écoles privées rarement honnêtes, 10 millions qui ont besoin d’un débouché, études ou travail,

– l’enseignement supérieur a connu un boom mais les universités locales sont de niveau très hétérogène et les meilleurs éléments qui choisissent d’étudier à l’étranger (et principalement aux États-Unis) tentent d’y rester. Il est vrai que la Chine peut y gagner par d’excellents espions bien placés,

– le problème de la santé et des retraites n’est pas économiquement résolu,

– le sous-prolétariat et en particulier les exilés intérieurs (« min gong ») souffrent d’un niveau d’inégalité sociale inadmissible, surtout pour un pays qui se prétend socialiste sinon social,

– il reste une inégalité profonde entre l’Est maritime et riche et l’Ouest déshérité (sauf peut-être le Sichuan du fait de quelques dirigeants arrivés au sommet comme Deng Xiaoping).

L’idéologie semble avoir régressé de près d’un demi-siècle avec un grand retour au maoïsme : les idées ennemies sont désormais le séparatisme le terrorisme les idées étrangères parmi lesquels la démocratie. La notion d’expertise redevient subordonnée à la notion de « rouge » et on revoit apparaître la dénonciation entre individus,le culte de la personnalité et de la pensée de Xi. L’emprise sur l’individu est épouvantable. Les caméras sont omniprésentes. Le smartphone est un outil d’espionnage de l’individu capable de vérifier sa lecture de la pensée obligatoire, de le pister en continu en public et en privé. Une notion de « note civique » a été instituée avec des répercussions et des punitions en cas d’insuffisance de la note d’obéissance et de conformité. L’homogénéisation sur le modèle Han est devenue obligatoire avec une rééducation des non-Hans : Tibétains, tribaux, Ouïghours.

En troisième et dernière partie, il faut évoquer les problèmes extérieurs et les difficultés qu’a la Chine avec tous ses voisins.

On peut dérouler la progression géographique des différents fronts depuis l’ouest de l’Inde jusqu’au détroit de Behring : aussi à l’est de l’Inde, en mer de Chine du Sud, en mer de Chine de l’Est, sans même parler de Taiwan… Là la posture agressive est délibérément reconnue, appuyée par des tirs de munitions réelles. Il faut reconnaître que la proximité des îles aux avant-postes est assez provocante pour le continent.

 Il faut aussi souligner l’attitude agressive des pêcheurs chinois appuyés par des garde-côtes que leur équipement fait correspondre à une véritable deuxième marine.

Même avec l’allié russe, l’Histoire est mal refermée si on se souvient des conflits armés aux rives de l’Amour, qui ne datent pas de si longtemps. Le déséquilibre démographique d’un Heilongjiang surpeuplé face à une Sibérie vide est inquiétant. Le commerce est totalement inégal. Si la Russie vendait autrefois des équipements à une Chine incapable de produire des biens d’une même qualité, la situation s’est retournée et la Russie vend maintenant principalement des matières premières. La Russie a perdu la face et elle craint de se voir contourner. Alors qu’elle affirme sa domination sur la route du Nord, elle ne doit pas apprécier de voir la Chine prétendre à un rôle de « presque riverain » dans ce domaine.

Je ferai ici l’impasse sur le tableau de la puissance militaire chinoise. La Chine a équipé son armée à toute vitesse et en la faisant évoluer d’une armée de guerres populaires à une armée de hautes technologies capables d’intervenir sur des terrains difficiles dans une ambiance électromagnétique complexe. Il faut voir que, tous les quatre ans par exemple, la Chine ajoute à son arsenal une flotte équivalente à celle de la France ! Ses réalisations, ses exploits, dans le domaine de l’espace confortent l’assurance que ses missiles seraient efficaces. La Chine est très présente dans le domaine cyber, tout en étant relativement protégée par sa « Grande muraille informatique » qui l’isole des réseaux extérieurs et lui permet d’utiliser des logiciels nationaux relativement surs. Elle dispose d’innombrables hackers qui officiellement ne dépendent pas des autorités gouvernementales – ce qui peut lui éviter de nombreuses rétorsions.

En conclusion, nous sommes dans l’attente d’une échéance politique très proche, le plénum du Parti communiste chinois. Les difficultés internes sont redoutables : certaines sont éventuellement solubles par la politique, comme les problèmes économiques, d’autres sont insolubles, comme la démographie. Les difficultés externes s’étalent sur l’ensemble ou presque des frontières : la Chine se trouve plus ou moins confrontée à tous les pays qui l’environnent. Les réactions aux emprises de la Route de la Soie sont de moins en moins favorables du moins dans les pays proches comme en Asie (l’incroyable phénomène du 16 + 1 constitue surtout la preuve des contradictions et faiblesses de l’Europe, mais il n’est pas anodin que les Pays baltes s’en soient retirés). L’alliance avec la Russie ne peut pas être considérée comme stable – et encore moins comme sincère.

Mais tous ces problèmes ne sont pas imputables à la seule équipe au pouvoir et une éventuelle opposition aurait bien du mal à se faire entendre.

C’est pourquoi, en tenant compte de l’armement accéléré de la Chine et des prétentions affichées par Xi Jinping, je crains que le titre donné « La Chine : incertitudes et inquiétudes » ne reste justifié même après la fin du plénum du Parti communiste chinois.

Conférence sur la Chine prononcée le 22 septembre 2022.

Ce texte suivant est une reconstitution par l’auteur à partir des projections utilisées.

Denis LAMBERT