Une immigration choisie en Australie
Au lendemain de la crise sanitaire de deux ans, liée à la pandémie du Covid, l’Australie manque de main d’œuvre pour faire redémarrer à plein son économie et revoit encore une fois sa politique d’immigration. L’île-continent, du fait de sa faible population[1], et de son vieillissement, a toujours rencontré des difficultés pour exploiter ses immenses ressources. Mais, dans un environnement asiatique, elle a toujours voulu conserver la maîtrise de sa spécificité sociale, culturelle et politique d’origine européenne. D’où une politique d’immigration pensée et réfléchie qui a évolué depuis la fin du XIXème siècle.
Les lois de 1865, 1885 et 1901 visent avant tout à protéger l’Australie d’une immigration non blanche. En 1945, 90% de la population australienne est d’ascendance britannique ou irlandaise.
Mais au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’alternative « peupler ou périr » conduit progressivement à revoir les stricts critères d’entrée qui sont alors : avoir moins de 45 ans, être en bonne santé et avoir des racines européennes pour être admis dans une Australie globalement « blanche » jusque dans les années 60.
A cette époque, c’est l’Europe du sud (Grèce, Italie…), relativement pauvre qui envoie une population apportant en Australie ses qualifications professionnelles (pécheurs, cultivateurs) et ses traditions, notamment culinaires et diversifiant ainsi la culture australienne d’alors, majoritairement britanno-irlandaise. Ces populations ont su profiter des opportunités d’éducation pour leurs enfants qui se sont intégrés rapidement dans le « socle » australien.
A la fin des années 1970, l’Australie voit affluer sur ses côtes à Darwin les premiers « boat people » vietnamiens à la suite de la fin de la guerre du Vietnam. Puis le gouvernement australien a envoyé des émissaires officiels pour sélectionner les réfugiés dans les camps leur octroyant un visa. Ainsi jusqu’en 1983, l’Australie accueille annuellement environ 15 000 Vietnamiens.[2]
Les années 80-90 voient une rupture. En opposition avec la politique « One Australia » du libéral John Howard qui consistait à rejeter le multiculturalisme et à s’opposer à l’immigration asiatique, il n’y a plus de distinction selon la race et la provenance géographique. Si le Commonwealth[3] reste une des sources de l’immigration en Australie, les quotas d’autrefois sont remplacés par des critères basés sur les compétences, les qualifications et l’apport en capitaux. Ainsi le « ticket d’entrée » est-il trois fois plus élevé qu’en Nouvelle Zélande, deux fois plus élevé qu’au Canada.
En 1992, seulement 60% de la population est d’ascendance britannique ou irlandaise avec une augmentation sensible des immigrants venu d’Europe du Sud et surtout d’Asie et du Moyen-Orient.
M. Stephen FitzGerald[4] peut être considéré comme l’architecte principal de l’’évolution de la politique australienne d’immigration. Il a en effet présidé en 1988 la Commission des politiques australiennes d’immigration qui publia ses travaux dans un rapport connu comme le rapport FitzGerald.
A partir de cette époque, les Asiatiques sont ainsi en nette progression, avec notamment la diaspora chinoise voulant quitter la Malaisie ou l’Indonésie du fait des tensions raciales dans ces Etats. La perspective du changement de statut de Hong Kong suscite aussi un regain d’intérêt pour l’Australie.
En 1991, Hong Kong est la 8ème source d’investissement étranger en Australie et environ 300 sociétés australiennes sont présentes à Hong Kong. Taïwan est son 6ème marché d’exportation. Mais l’Australie s’efforce maintenir de bonnes relations avec les trois entités chinoises, la question de la réunification devant être considérée de son point de vue comme relevant uniquement des affaires intérieures chinoises.
L’Australie met alors en place une politique d’immigration plus ouverte et plus équilibrée, mais qui est remise en cause par la crise économique de 1993 : le nombre annuel d’immigrants est limité à 70 000 personnes, contre 110 000 les années précédentes.
Aujourd’hui, un tiers de la population australienne est née à l’étranger. L’Australie fait une distinction nette entre sa politique d’immigration et sa politique à l’égard des réfugiés.
Depuis 2013, la politique migratoire de l’Australie est une des plus restrictives au monde, elle refuse tout réfugié arrivant par bateau. Des accords ont été passés avec Nauru et la Papouasie-Nouvelle Guinée afin de maintenir les réfugiés dans des camps off-shore dans ces deux pays avec une « aide au développement » versée à ces deux Etats par Canberra. Cette politique établie par le Premier Ministre travailliste Kevin Rudd, a été poursuivie par la suite.
La crise sanitaire des années 2020 a conduit l’Australie à fermer ses frontières de manière stricte jusqu’au 21 février 2022 dans le cadre d’une politique « Zéro Covid »[5]. Ceci a entraîné une grave pénurie de main d’œuvre. Si le taux de chômage était en juillet 2022 de 3,4% (taux inégalé depuis la fin des années 40), plus de 480 000 postes de travail étaient encore vacants, soit deux fois plus qu’avant la pandémie.
La pénurie de main d’œuvre est très nette dans l’ensemble de l’économie et particulièrement dans le secteur minier avec 10 600 emplois non pourvus. Ce qui entraîne des conséquences sur les productions. Par exemple la production d’or a diminué de 22% en octobre 2022, ce qui conduit à réviser à la baisse de 8% la production à venir et à reporter plusieurs projets. Selon la Directrice des opérations de l’Australia Resource s& Energy Employer Association (AREEA), l’Australie manque d’ingénieurs, de géologues, de foreurs, de conducteurs d’engins de terrassements. Dans le secteur charbon, or, gaz, minerais et métaux rares, on devrait recruter 24 000 personnes de plus qu’avant la crise dans les 5 ans à venir. Malgré des salaires attractifs, les jeunes Australiens manifestent peu d’intérêt pour ces secteurs en raison de leur sensibilité aux questions écologiques : réchauffement climatique, destruction de sites archéologiques aborigènes …
Une autre façon de pallier le manque de la main d’œuvre se trouve dans les emplois « offerts » aux jeunes étrangers, les « backpackers », notamment dans le secteur agricole, leur permettant d’obtenir un visa, et venant s’ajouter à la main d’œuvre d’origine océanienne, pour laquelle sont octroyés des visas en fonctions des besoins.
D’où la décision du Gouvernement d’accroître les quotas d’immigration qualifiée de 20 à 25% pour 2023, soit accueillir environ 200 000 étrangers par an avec une reconnaissance des compétences et diplômes acquis à l’étranger[6]. Mais il ne s’agit en aucun cas de régulariser des étrangers en situation illégale.
Aujourd’hui 70% des visas sont délivrés pour une immigration qualifiée : il faut maîtriser l’anglais (mais les exigences de niveau ont été revues à la baisse pour les professions les plus en tension), avoir des qualifications et diplômes cohérents avec une liste de « métiers en tension », liste mise à jour régulièrement par le Gouvernement fédéral, mais que chaque Etat peut compléter en fonction de ses besoins propres. Aujourd’hui la liste comprend 286 rubriques dans tous les secteurs.
Hélène Mazeran
[1]Environ 25 millions d’habitants sur un territoire 14 fois plus grand que la France.
[2] https://digital-classroom.nma.gov.au/defining-moments/first-arrival-vietnamese-refugees-boat
[3]Des communautés seychelloises et mauriciennes se sont installées après les indépendances et étaient relativement importantes par rapport aux dimensions nationales de ces Etats (environ 6000 Seychellois dans les années 90). L’Australie a aussi été une position de repli pour des Blancs d’origine anglo-saxonne de l’Afrique du sud postapartheid.
[4]Cf l’entretien avec Frances Cowell publié sur ce site le 14 septembre 2022 sur le thème « Apprendre à connaître ses voisins »
[5]Nous n’évoquerons pas ici les heurts consécutifs à cette crise, qui ont opposé l’Australie et la Chine.
[6]Aujourd’hui en l’absence de reconnaissance, les étrangers doivent reprendre leurs études en Australie.