Les espaces océaniques : vers une régulation internationale ?

Source : https://www.un.org/fr/conferences/ocean2022/about

1 – L’importance des océans

Les océans occupent environ 361 M de Km2 sur la planète, soit 70% de sa superficie. Les océans Pacifique et Indien sont les plus vastes, avec environ 169 M Km2 et 70 M Km2, soit près de 94% de la surface océanique mondiale.

Dans ce vaste espace indopacifique, au-delà des mers territoriales des Etats côtiers, le principe de liberté des mers s’applique sauf dans les Zones Économiques Exclusives qui ont été déterminées par la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer (CNUDM) signée à Montego Bay le 10 décembre 1982 et entrée en vigueur après la 60ème ratification en 1994. Cette convention a créé « un juste équilibre entre la liberté de navigation et la souveraineté des Etats côtiers sur leurs espaces maritimes »[1]. Le droit d’exploiter les ressources dans la ZEE par l’Etat côtier a été contrebalancé par le devoir de préserver l’environnement et d’assurer des opérations de recherche et de secours en mer.

Les ZEE représentent environ 22 M Km2 en tout, pour moitié pour la France[2] et pour les Etats-Unis, ces deux Etats disposant des deux zones les plus vastes. Au- delà des ZEE, ce sont les « zones au-delà de toute juridiction nationale » (ZADIN) : la majeure partie des surfaces océaniques ne sont soumises à aucune juridiction, si on exclut l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) qui a émis quelques règles concernant le sol et le sous-sol marins.

La Haute mer désigne toute zone maritime au-delà des 370 km des côtes d’un pays.

2 – Montée en puissance des enjeux océaniques

Alors que les Etats ont cherché (ou cherchent encore) à s’approprier les espaces maritimes au large de leurs côtes, il est apparu de plus en plus nécessaire de prendre en compte collectivement l’ensemble des espaces océaniques, notamment face aux conséquences du changement climatique, face aux tensions nées des ressources potentielles des océans. D’où les alertes lancées par des organisations non-gouvernementales, des Etats et des organisations internationales, telle l’ONU dans la suite de la CNUDM.

La compétition pour la conquête des espaces maritimes évoquée par Hervé Coutau-Bégarie dès 1983[3] s’est accélérée du fait de l’augmentation des échanges commerciaux[4], du caractère indispensable des câbles sous-marins pour les flux numériques, de la raréfaction des ressources terrestres et de l’importance des ressources halieutiques pour faire face aux besoins d’une population mondiale croissante. En outre, de nos jours, les progrès technologiques rendent envisageable une exploitation des ressources de la Haute Mer.

Aujourd’hui les enjeux de protection de la nature et de développement durable face aux pollutions multiples, à la surpêche … ont conduit à une réflexion internationale visant à instaurer des règles au bénéfice de tous. Prenant modèle sur la Convention de Montego Bay, les Nations-Unies ont travaillé à l’élaboration du Traité sur la Haute Mer pour constituer un « cadre de gouvernance global et unifié ».

Sans nier l’importance croissante des risques d’affrontement militaire en mer liés aux multiples « compétition/contestation » (Gal. Burkhard), les stratégies navales ne seront pas abordées ici.

3 – Le Traité international de protection de la Haute Mer

Après des négociations informelles démarrées en 2004, suivies de « discussions préparatoires » depuis 2008, des négociations formelles depuis 2018 et 4 sessions intergouvernementales entre 2018 et 2022, une dernière session à New York du 20 février au 4 mars 2023 a finalement abouti, dans la nuit du 4 au 5 mars 2023, à l’issue d’un « round » final de 38 heures, à la signature d’un accord sur la Haute Mer au siège de l’ONU. Après l’évocation de ces repaires temporels, il n’est pas besoin d’insister plus avant sur la difficulté de parvenir à ce premier accord international de protection de la Haute Mer dont les travaux ont été menés sous la présidence de Mme Rena Lee, ambassadeur de la République de Singapour chargée des océans.

Le traité « BBNJ » (Biodiversity Beyond Natural Juridiction) a pour but de protéger la biodiversité au-delà des eaux territoriales. Il devrait « compléter » la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer qui ne traite que de la juridiction des Etats s’appliquant aux eaux territoriales, à la zone contiguë et aux Zones Economiques Exclusives.

Ce nouveau traité aura pour but (lorsqu’‘il entrera en vigueur…) de créer des aires marines protégées en haute mer, soit sur 64% de la surface des océans. Actuellement seulement 1,2 % de la surface des océans est soumis à une juridiction. Or c’est dans cette zone, que circule 90% du trafic des marchandises, et que se pratique l’essentiel de la pêche hauturière.

La Haute Mer joue un rôle essentiel dans la lutte contre les impacts du changement climatique[5]. La mer fournit la moitié de l’oxygène qui nous est indispensable et représente le premier puits carbone de la terre. Elle absorbe une grande partie du CO2 que nous émettons et limite ainsi à sa manière le réchauffement climatique. Il y a donc urgence à agir pour protéger les écosystèmes, les récifs coralliens et aussi certaines espèces de mollusques. L’objectif de ce traité est de préserver la biodiversité, de limiter les effets du changement climatique et de lutter contre la pollution et la surexploitation. Conservation et utilisation durable de la biodiversité sont essentielles. Mais il existe un point faible : le traité n’a vocation à s’appliquer ni au secteur militaire, ni à la Grande Pêche, ni à l’extraction des ressources minérales…. Or c’est cette dernière qui est susceptible de causer des pollutions catastrophiques.

Le texte final a été adopté par consensus, sans vote et donc sans opposition proclamée, mais avec les « réserves » de trois Etats : le Nicaragua, la Russie et la Turquie. La notion de « patrimoine mondial de l’humanité » est inscrite dans le préambule. Le caractère « historique » de ce texte provient du fait qu’il a été conçu pour être un instrument juridique contraignant s’appliquant sur la zone au-delà des 200 milles nautiques.

Cependant le texte doit maintenant être traduit dans les 6 langues officielles des Nations Unies et « révisé » par les services techniques. Il devra ensuite être ratifié par au moins 60 Etats pour entrer en vigueur, c’est-à-dire pour mettre en œuvre des mesures destinées à sauvegarder la biodiversité en Haute Mer. Donc prudence … son entrée en vigueur peut prendre quelque temps, même si une cinquantaine d’Etats sont membres de la « coalition pour la Haute Mer » lancée par l’Union européenne et la France en 2022[6]. Une ratification rapide (comme dans le cas de l’Accord de Paris sur le climat) permettrait de tenir la première conférence en 2025 à Nice à l’initiative d’Emmanuel Macron et du Président du Costa Rica. Mais peut-on envisager une application des dispositions prises pour 2030, au plus tôt ????

4 – Les conférences « Notre océan »

Ce sont des rencontres organisées annuellement et qui réunissent experts et ministres depuis 2014.

En 2022, dans la suite du« One Planet Summit » organisé en 2017, à l’initiative de la France, s’est tenu le Sommet sur les Océans de Brest du 9 au 11 février avec une vingtaine de chefs d’Etats et de gouvernement, le Président du Conseil Européen et la Présidente dela Commission européenne, avec de nombreux désistements du fait de la propagation du variant Omicron.

Les représentants des Etats et du monde économique ont pris des engagements unilatéraux volontaires concernant la décarbonation du transport maritime, la lutte contre la pollution plastique, la pêche illégale (conformément à l’accord du Cap de 2012 qui vient d’entrer en vigueur, et al biodiversité. Si l’Europe sont souvent leaders des mesures favorables (Coalition pour le carbone bleu, coalition de la haute ambition pour la nature), les engagements sont cependant inégaux tant dans leur étendue que dans leur application.

D’autres réunions internationales sur l’océan ont suivi : Palau à l’initiative américaine prévue en février 2022, reportée à avril 2022 ; Lisbonne juin 2022.

La huitième conférence s’est déroulée à Panama les 4 et 5 mars 2023, parallèlement aux discussions de New York sur la Haute Mer. L’objet de cette conférence était de donner un cadre à une économie bleue pour une exploitation durable et la protection des mers et océans, et de lancer un appel à signer le traité sur la Haute Mer.

Ces conférences lancées par J. Kerry en 2014 avec la participation de plus de 600 experts, représentants de gouvernement, d’entreprises et d’ONG ont abouti non pas à un traité, mais à plus de 340 « engagements volontaires » d’un montant de quelques 20 milliards de dollars.

5 – Les acquis du Traité BBNJ

Deux points semblent aujourd’hui acquis :

1 – Le principe de la création d’aires marines protégées dans tous les océans du monde : Aujourd’hui, elles ne représentent que 1% et devraient couvrir environ 30% des océans vers 2030 (cf les engagements pris par les 196 Etats présents à la COP 25 de Montréal du 7 au 19 décembre dernier). Des promesses de retombées financières ont levé les réticences des pays en développement (notamment africains) : des rémunérations seront prélevées pour les ressources génétiques exploitées à proximité de leurs côtes. La création d’aires marines protégées dans tous les océans du monde s’accompagnera donc d’un partage des bénéfices tirés de leur exploitation.

En outre, les décisions devraient être prises à l’avenir à la majorité qualifiée, et non plus par consensus, afin de faciliter leur mise en œuvre. Mais l’obligation que celles-ci n’affectent pas les accords existants des organisations internationales et régionalesdevra encore êtrepris en compte pour la rédaction des nouvelles dispositions.

2 – La question du statut, de l’accès et de la traçabilité des ressources génétiques marines : ces ressources sont l’objet d’une grande attention de la part des entreprises pharmaceutiques et cosmétiques, prêtes à de coûteuses recherches hors de la portée des pays en développement. La plupart des brevets sont déposés par des entreprises et des instituts de recherche de pays occidentaux.

Mais deux autres axes de discussion semblent ne pas avoir abouti à un résultat précis :

a – L’obligation de mener des évaluations d’impact environnemental pour les activités envisagées en Haute Mer incombera aux Etats d’où sont issus les opérateurs. A quelle autorité appartiendra la décision finale ?

b – Comment se réaliseront les transferts en matière de technologie marine au profit des pays en développement, d’autant que beaucoup de ces technologies sont duales, en particulier pour la détection et l’identification des intrusions ?

6 – Les points délicats du Traité

Plusieurs sujets sont susceptibles de créer encore des difficultés :

Une discussion sur le code minier des mers se tiendra prochainement à Kingston (Jamaïque) : elle aura pour but de fixer les règles d’exploitation des nodules polymétalliques, de plus en plus recherchés par les industriels en raison de leur forte teneur en métaux (cuivre, nickel, cobalt…) et des terres rares, mais avec des risques de pollution néfastes pour les espèces marines. Certaines ONG préconisent « une interdiction ou un moratoire » sur l’exploitation minière en eau profonde … La question sera étudiée lors de la réunion de l’AIFM du 16 au 31 mars prochain. C’est aussi la position franco-allemande soutenue par Hervé Berville et par Steffi Lemke, ministre allemande de l’environnement, de la protection de la nature et de la sécurité nucléaire : l’état actuel des connaissances scientifiques conduit à ne lancer aucun contrat d’exploitation minière, ni dans les grands fonds, ni dans les eaux sous juridiction nationale, ni dans les eaux territoriales avant d’avoir mené de vastes projets d’exploration[7]ainsi qu’une étude des conséquences écologiques. A noter aussi que la technologie nécessaire à cette exploitation n’est pas à la portée de tous les Etats, ici encore ….

Les conditions de mise en place et de gestion des futures aires marines protégées ont été âprement discutées. Il n’y a pas eu finalement de veto des pays riverains, mais avec quelques exceptions pour l’Arctique et en Mer de Chine[8].

Le Texte sur la Haute Mer prévoit une nouvelle « autorité internationale pour la Haute Mer », avec un Secrétariat, un Conseil scientifique consultatif et un organe exécutif (les conférences des parties, COP[9]) qui prendra les décisions. Mais ne sont précisées ni les modalités, ni la périodicité des réunions…. Le Secrétariat devrait être installé pour l’instant au siège de l’ONU, le Chili serait éventuellement candidat pour l’avenir.

7 – Conclusion

Ces traités doivent nous faire prendre conscience que la mer est un bien commun indispensable à notre survie.

Si nous continuons à piller ses richesses, qu’elles soient halieutiques, minérales, pétrolières, gazières, etc.,  à la polluer de quelque manière que ce soit, nous nous mettons nous-mêmes en danger et concourons à la dégradation de la biodiversité et de l’environnement de notre planète.

La connaissance encore en germe des fonds marins et de leurs écosystèmes ne devrait pas céder le pas à la précipitation de l’exploitation coûte que coûte. C’est pourquoi certains pays demandent un moratoire. Seront-ils entendus ?

Hélène Mazeran et Michèle Bietrix

15 mars 2023


[1] On n’évoquera pas ici le droit de passage inoffensif.

[2] Sur les 11 M Km2 de ZEE françaises, 7 M Km2 se situent dans l’océan Pacifique et 2 dans l’océan Indien.

[3] « Auparavant simple théâtre de conflits, la mer est devenue un objet de conflits ».

[4] Qui transitent à 90% par mer.

[5] « Les océans jouent un rôle crucial de régulateurs du climat ». Hervé Berville, Secrétaire d’Etat français chargé de la Mer, in le Monde, 17 décembre 2022.

[6] Au sein de l’Union européenne, la négociation dans ce domaine relève d’une compétence partagée entre l’UE et les Etats membres. Donc la France ne négocie pas seule, mais avec l’UE.

[7] CF Le Monde 17 décembre 2022

[8]Dans le cadre du conflit d’appropriation en Mer de Chine opposant les Philippines et la Chine en 2016, la Cour permanente d’arbitrage de La Haye a statué contre les prétentions chinoises, mais la Chine n’ayant ratifié la CNUDM qu’avec des caveat, elle se prétend en dehors de la juridiction de la Cour pour ce qui concerne la Mer de Chine méridionale.

[9] Comme cela existe pour le climat