Quel sens pour le face-à-face Chine Etats-Unis ?
Le 23 juillet s’est passé sans provocation inspirée par le centenaire du parti communiste de Chine (PCC). Pas de provocation de la part de la Chine, pas non plus de ses voisins en Mer du sud, ni de la part des plus indépendantistes de Taïwan. Beijing n’a même réagi qu’avec une relative mesure à ce que le PCC a certainement pris pour une provocation : l’ouverture d’un nouveau bureau de représentation de Taïwan en Europe[1] (même sans réel statut diplomatique). Même si nous ne pouvons pas rester confiants sur le long terme, voilà au moins une échéance de passée. Mais les motifs de confrontation demeurent.
Une analyse documentée du même auteur[2], compare les moyens militaires des États-Unis et de la Chine pour en conclure que dans un conflit les États-Unis ont des atouts plus que suffisants. Comme on ne voit pas les Etats-Unis – du moins depuis l’arrivée de Biden – initier une confrontation militaire sans y être obligés, on peut y voir un élément rassurant.
Il est tout à fait exact que la comparaison des effectifs d’infanterie (2 millions pour la Chine, bientôt 1 350 000 pour les États-Unis), celle des chars (plus de 6000 pour les États-Unis, moins de 6000 pour la Chine), celle des avions (annoncée à 13 000 pour les États-Unis[3] contre 2500 dont 2000 avions de combat pour la Chine[4]) peut donner l’impression que les moyens états-uniens dépassent ceux de leur rivale éventuelle.
Cela est moins vrai pour la marine puisque la Chine aligne maintenant une flotte de 360 navires, alors que les États-Unis n’ont en ce moment qu’un peu moins de 300. Par contre leur arsenal compte 11 porte-avions nucléaires au lieu de deux porte-avions chinois classiques portant des escadrilles moins nombreuses. De même les sous-marins nucléaires américains, sous-marins d’attaque ou lanceurs d’engins, sont à la fois plus nombreux et plus silencieux que leurs éventuels nucléaires adversaires chinois. Cependant les nombreux sous-marins classiques ne se trouvent que du côté chinois. Quant aux arsenaux nucléaires, ils sont totalement déséquilibrés, les Etats-Unis disposant de milliers de têtes contre les 250 à 400 de la Chine.
Cependant, il ne faudrait pas oublier :
– que ce dernier arsenal est principalement un outil de dissuasion mutuelle face à la Russie, et que les Etats-Unis ne peuvent donc disposer face à un autre Etat que de la fraction qui ne leur est pas jugée indispensable contre la Russie. Les médias nous exposent volontiers le peu qu’ils connaissent des armements hyper-véloces de la Russie et de la Chine. Dans le domaine stratégique, il s’agit des têtes manoeuvrantes (initialement propulsées par un missile) Avangard[5], déclarées par le président Poutine[6] et DF-17 paradées devant le président Xi pour le 70ème anniversaire de la RPC, le 1er octobre 2019[7]. Leur grand atout est la difficulté supplémentaire d’interception apportée par les évolutions en haute altitude. L’équivalent américain est actuellement en cours de test[8]. Cependant, il s’agit d’arguments diplomatiques (« bargain chips ») pour les débats à venir sur la maîtrise des armements plus que d’armements destinés au conflit. La guerre de l’espace existe, mais elle est bien moins visible que ces arguments de grandes déclarations, ce qui la rend d’ailleurs plutôt plus dangereuse encore.
– que, pour un conflit au sujet de Taiwan aussi bien que de la Mer de Chine méridionale ou orientale, les ressources chinoises sont à une distance de leur utilisation qui se mesure en centaine de nautiques, les ressources américaines se situant principalement à des milliers de nautiques, malgré un pré-positionnement partiel à Guam, territoire américain. Il faut y ajouter les forces que les USA entretiennent au Japon (2 600 fantassins, 17 500 fusiliers marins, 6 800 marins et 13 000 aviateurs !) et en Corée (20 000 fantassins et 8 000 aviateurs). Okinawa est presque plus américaine que japonaise… ce qui a posé bien des problèmes, non tous résolus d’ailleurs. Mais ces forces ne servent que d’otages, d’ « allumettes » en cas d’action massive contre le Japon ou la Corée qui causerait des morts américains et déclencherait donc une riposte. Leur vulnérabilité a été étudiée dans d’innombrables rapports – les bons étant bien sur classifiés ! Une action de projection vers Taiwan serait une autre histoire – possible mais… Certes, Tokyo « n’écarte pas une action qui serait jugée nécessaire ». Voila qui n’est qu’à moitié dissuasif – pour être indulgent – tout en dénotant un réel courage politique par rapport au chapitre 2 de la constitution du 3 novembre 1946.
Selon l’organisme d’analyse Rand, les Chinois souffrent de trois faiblesses militaires : les semi-conducteurs de haut niveau – ce qui explique d’ailleurs leur intérêt pour récupérer Taiwan et son entreprise TSMC, premier fabricant mondial de ces composants d’intérêt désormais universel – la furtivité des sous-marins et enfin les moteurs d’avion à réaction.
Mais ces faiblesses ont-elles un sens dans le cadre d’une guerre éventuelle entre la Chine et les États-Unis ? De quelle guerre s’agirait-il ? une guerre comparable à la deuxième guerre mondiale ? Comment une telle guerre pourrait-elle avoir un vainqueur ? Même en admettant que la Chine serait défaite, ce qui est une hypothèse hardie, les États-Unis ne s’en remettraient que bien difficilement. Quant à la Chine, riche en tant qu’État mais pauvre en richesse individuelle, elle retomberait à un niveau comparable à ce qu’elle était il y a 40 ans. La domination absolue du parti communiste n’y résisterait pas, car elle n’est aujourd’hui acceptée que comme garante du progrès économique.
La Chine n’a aucunement l’intention de mener une guerre classique. Ses théoriciens[9] le savent bien : l’appareil militaire décide de la bataille mais la guerre est gagnée sur des objectifs politiques. La Chine ne veut pas perdre ce qu’elle a acquis et ne veut aucunement engager une guerre qu’elle ne pourrait gagner à la Pyrrhus. La vraie victoire c’est de contraindre son adversaire sans avoir à mener bataille. Un éventuel conflit ne ressemblerait donc pas à la deuxième guerre mondiale mais beaucoup plus à une lutte d’influence, de désinformation, de sabotage informatique, bref de recherche de la suprématie dans le cyberespace qui est devenu la trame sous-jacente de l’action réelle. Là et là seulement serait son intérêt, lui permettant d’utiliser ses capacités en cyber-guerre, l’influence de ses diasporas, la fermeture de son espace informatique vis-à-vis de l’extérieur conjuguée aux effets de l’endoctrinement de sa population, de ce fait bien plus résistante que les nôtres à la propagande et de la désinformation extérieures.
Evoquer les matériels militaires, c’est se placer dans le cadre du jeu d’échecs : je prends ta reine, il me reste deux tours et un fou contre ton fou et ton cavalier donc je vais mater ton roi. C’est la guerre d’attrition, celle dans la quelle excellent les Etats-Unis – quels que soient les dommages collatéraux pourvu qu’ils soient chez l’adversaire. Les nouvelles guerres s’apparentent plutôt au jeu de go, où le joueur cherche à engluer l’adversaire en ne lui laissant aucune place où il soit stratégiquement intéressant de déposer son pion, tout en accroissant son propre espace de domination par la jonction de ses propres pierres – ou bien par des prêts et par la mainmise sur ses moyens de communication quand le jeu fait place à la géostratégie. Un jeu différent, qui se prête plus facilement à l’abandon du perdant contraint à la soumission sans écrasement trop évident. Or, pour notre Occident désabusé, n’est ce pas la soumission par l’abandon qui constitue la menace la plus évidente ?
Denis LAMBERT
[1] Pierre Antoine DONNET, « Taïwan ouvre une ambassade de facto en Lituanie, camouflet pour la Chine en Europe », https://asialyst.com/fr/2021/07/23/taiwan-ouvre-ambassade-de-facto-lituanie-camouflet-chine-europe/ du 23 juillet 2021.
[2] Pierre Antoine DONNET, « Puissance militaire : entre la Chine et les Etats-Unis, qui a l’avantage ? », https://asialyst.com/fr/2021/07/20/puissance-militaire-entre-chine-etats-unis-qui-avantage/ du 20 juillet 2021.
[3] Ce sont les chiffres du document précité, qui tiennent compte de réserves d’appareils anciens. Mais comme la majorité des appareils descendus entraînerait la perte de leurs pilotes, ressource qui est loin d’être extensible, un tel décompte donne une idée fausse des vraies flottes d’appareils de combat. Pour l’US Air Force : 789 F-16, 429 F-15, 178 F-22 et 116 F-35A. Pour les US Marines : 101 AV-8 et 144 F-18. Pour l’US Navy : 416 F-18 et 10 F-35C. Les USAF Reserves et l’Air National Guard ne présentent pas le même niveau de disponibilité et d’entraînement. Les escadrilles de F-35 sont effectivement en phase de croissance, mais celle-ci reste lente. « 2021 World Air Forces » de Flight International sur https://www.flightglobal.com/download?ac=75345
[4] Là aussi il ne faut tenir compte que des appareils utilisables (et qui correspondent aux pilotes disponibles et entraînés) soit pour les forces aériennes 66 J-8, 235 J-10, 315 J-11 ou SU-27-30-35, 10 J-20 et pour les forces navales 47 J-8, 25 J-10, 45 J-15 ou SU-30-33 et 34 JH-7. Source citée.
[5] « Russia says first hypersonic missiles enter service », https://www.spacewar.com/afp/191227142355.kdkfb0oe.html du 27 décembre 2019.
[6] Elles ne constituent pas d’entorse au régime « New Start » de limitation des armements stratégiques alors en vigueur.
[7] https://www.youtube.com/watch?v=H8_vZYKTyVg Il faut noter que le DF-17 n’a pas de capacité intercontinentale – à ce jour.
[8] « Pentagon successfully tests hypersonic missile », https://www.spacewar.com/afp/200320220412.8687yzgi.html du 20 mars 2020.
[9] De Sun Zi ou de Sun Bin (bien moins connu que le précédent mais datant lui aussi d’avant l’unification de la Chine par son Premier Empereur Qin) jusqu’aux colonels Qiao Liang et Wang Xiangsui, auteurs en 1999 de l’ouvrage en chinois traduit en 2003 sous le titre « La guerre hors limites » pour Payot et Rivages.