Les feux en Australie

Les Feux en Australie (Source : Le Point)

Les feux de brousse, « bushfires », sont relativement « habituels » en Australie chaque année en Australie, mais ils connaissent cette année une durée et une intensité exceptionnelles avec des conséquences dramatiques pour la faune et la flore. C’est pourquoi on a parlé de « méga-feux ». Au 10 janvier, on y estimait à 103 000 Km2 la superficie des forêts tempérées et tropicales brûlée depuis septembre 2019, soit la superficie d’un pays comme la Corée du sud.


L’Australie a déjà connu une situation similaire en 1974 avec plus d’un de Km2 brûlés (é fois la superficie de la France). D’autres régions dans le monde ont également été touchées par le phénomène :

  • En 2019 : l’Amazonie (8 000 Km2), l’Indonésie, la Sibérie (27 100 Km2), l’Alaska (10 000 Km2),
  • En 2018 : la Californie (8 100 Km2).

Les comparaisons incitent cependant à la prudence : une même surface brûlée ne signifie pas forcément la même quantité de dioxyde de carbone émis dans l’atmosphère en raison de la nature et de la densité différentes de ce qui est consumé.

Débutée à la fin d’août 2019, la gravité des feux est le résultat de différents phénomènes :

  1. – Les conséquences du réchauffement climatique :
  2. Une canicule exceptionnelle et des températures supérieures à 45°C pendant plusieurs semaines,
  3. Une sécheresse intense qui perdure (seulement 17% d’humidité malgré les pluies), découlant de deux phénomènes conjugués :

– une température de l’Océan indien supérieure à la normale (phénomène connu sous le nom d’El Niňo indien) parallèlement à des précipitations plus fortes sur l’Est africain. D’où une sécheresse sévère en Australie et en Indonésie (les températures élevées sur les côtes de l’Afrique orientale détournent nuages et pluies de l’Australie pendant environ six mois) ;

– en outre, l’oscillation des températures dans l’Océan glacial Antarctique réduit les précipitations en Australie.

       c)  Enfin des poussières noires émises par les feux australiens ont été trouvées sur des glaciers de Nouvelle Zélande et même d’Amérique latine. Elles ont « bénéficié » d’un « ascenseur atmosphérique » pour atteindre en six jours l’Amérique latine selon le Système européen Copernicus d’Observation de la Terre. Réduisant la réflexion du soleil sur la glace, elles vont accélérer la fonte des glaciers en Nouvelle Zélande, comme cela a été observé pour   le glacier bolivien du Zongo après les feux d’Amazonie.

  • – L’impact des activités humaines
  • La mauvaise application de mesures préventives des incendies pourtant décidées après les incendies de 2009 (173 morts près de Melbourne) dans les Etats de Victoria et Nouvelle Galles du sud (qui avaient déjà entraîné des dégâts importants dans la Yarra Valley). Les mesures drastiques de « brûlages dirigés » ne semblent pas avoir atteint les objectifs recherchés : ces brûlages, ainsi que des déboisements ciblés, durant l’hiver austral devaient prévenir la propagation des feux durant l’été austral. Mais l’opposition des militants écologistes a été soutenue par une partie de la population, craignant que le nettoyage par le feu n’entame les milieux naturels et n’aggrave la pollution de l’air et l’émission de CO2, toute intervention dans les parcs nationaux étant ainsi interdites.
  • Patrick Canfin, député européen et responsable de la Commission ENVI (environnement, santé publique, et sécurité alimentaire) attire en outre l’attention sur la mauvaise gestion de l’eau : « Les pratiques agricoles en Australie, comme en Californie, ont asséché les nappes phréatiques ».
  • Les combustions d’énergies fossiles ont leur part de responsabilité. Le Premier ministre Scott Morrison, défenseur de la puissante industrie minière (l’Australie est le premier producteur mondial de charbon), est principalement visé par les défenseurs de l’environnement. L’Australie est responsable de 1,3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et ces émissions ont progressé de 0,6% en 2019 par rapport à 2018. L’Australie avec23 millions d’habitants émet autant voire plus de CO2 que la France avec 67 millions d’habitants.

Caractéristiques des « méga-feux »

Une définition est difficile à élaborer et elle est variable selon les régions : si en Europe, un « méga-feu » se traduit par quelques milliers d’ha détruits, en Australie il s’agit de centaines de milliers d’ha. En France, un feu de 50 ha est un très gros incendie, en Australie il peut atteindre 500 000 ha.

  • Les flammes peuvent atteindre jusqu’à 70m de hauteur,
  • Les températures peuvent être supérieures à 1 000° C,
  • Les feux sont accompagnés de vents violents, allant jusqu’à 80 km/h en rafales.
  • Ils se caractérisent par leur « dynamisme » se déplaçant à environ 5 km/h contre 3 km/jour pour des incendies habituels,
  • Ils peuvent fusionner plusieurs dizaines de feux,
  • Les cendres polluent non seulement l’air, mais aussi les sols et l’eau, des lacs notamment,
  • Ils ont provoqué des niveaux de pollution 20 fois supérieurs aux niveaux de sécurité à Canberra, Sydney et Melbourne.

C’est pourquoi si les intenses précipitations et orages de ces derniers jours (14 au 20 janvier) apportent une aide aux pompiers, ils ne suffiront pas à assurer la maîtrise totale des feux. « Il s’agit d’un répit, pas nécessairement d’une victoire ». 75 feux sont encore actifs au 18 janvier. De nouvelles températures supérieures à 40°C sont annoncées pour les 21-22 janvier.

Il est difficile de maîtriser les méga-feux, et il est parfois nécessaire d’attendre qu’ils s’éteignent tout seuls … quand il n’y a plus rien à brûler. Le seul objectif est alors de protéger les populations.

Les conséquences pour la faune et pour la flore sont dramatiques : Les feux de 2019-2020 ont entraîné jusqu’à aujourd’hui la mort de 29 personnes sans compter une quantité innombrable d’animaux. Or l’Australie est le domaine d’espèces uniquesau monde. C’est un des 17 pays parmi les plus riches pour leur biodiversité, regroupant de nombreuses espèces endémiques, c’est-à-dire qui n’existent nulle part ailleurs. La forêt d’eucalyptus des Montagnes bleues serait détruite à 80%, la forêt tropicale de Gondwana à 50% pour ne citer que ces deux exemples

Aux plantes et animaux disparus, il faut ajouter les pertes futures en raison de l’impact sur :

  • L’habitat et la nourriture des animaux, notamment des oiseaux,
  • La protection contre les prédateurs (par exemple les reptiles et petits mammifères exposés aux renards et chats sauvages),
  • La pollinisation des plantes en l’absence de certains insectes, chauves-souris …

Sur environ un million de camélidés vivant à l’état sauvage sur des étendues désertiques (introduits vers 1840 pour développer l’exploration et le transport, ils se sont considérablement développés et vivent en liberté), environ 10 000 camélidés vont devoir être abattus, car, du fait de la sécheresse, affamés et assoiffés, ils constituent un danger pour les villages dont ils se rapprochent.

S’ajouteront les dégâts liés à l’érosion des sols et à la pollution des eaux.

Les conséquences pour les activités agricoles et viticoles sont également graves en raison des régions impactées : le sud et le sud-est du pays, la région d’Adelaîde Hills et la Yarra Valley, connue pour la qualité de ses vins rouges, ont été sévèrement endommagées alors que depuis 25 ans, les investissements s’y étaient multipliés pour développer les produits viticoles et le tourisme.Les parcs nationaux ont beaucoup souffert et il n’y aura pas de « saison touristique » cette année. La production agricole va décroître de 8%.

Les « méga-feux » à l’avenir ?

Un risque de multiplication de ces phénomènes est à redouter du fait de « puissantes turbulences de l’air et d’immenses panaches de fumée » qui ont déjà été signalés notamment au Portugal en 2017 (442 000 ha brûlés) et en Catalogne en 2019.

Selon l’OMM (Organisation mondiale de météorologie), l’augmentation des risques est vraisemblable : les changements climatiques entraînent des températures plus élevées et un manque de pluies, donc une sécheresse et une augmentation des zones sensibles au feu.

Autres facteurs : 

  • Les pratiques humaines modifiées sur le plan agricole et forestier : moins de troupeaux, moins de brûlis, et plus de broussailles.
  • L’extension des zones péri-urbaines, à protéger contre les départs de feu potentiels (mégots, défaillances électriques …).
  • Une mauvaise gestion des eaux.

Conséquences en matière politique et de gouvernance

Ces méga-feux se sont développés près des grandes villes du sud-est du pays et ont entraîné un brouillard de fumées toxiques qui ont conduit à confiner les enfants des écoles, à préconiser aux populations de rester à l’intérieur, à venir au secours de personnes fragiles sur le plan respiratoire, à interrompre des liaisons pour des raisons de sécurité (conditions de visibilité réduites). Canberra a détenu le triste record de la pollution urbaine la plus élevée du monde pendant trois jours début janvier (battant New Dehli ?).

Le Gouvernement a rappelé 3 000 réservistes pour venir en soutien des pompiers, tous volontaires. Une centaine de pompiers des Etats-Unis et du Canada sont également sur place, alors que 140 autres sont attendus. La France a envoyé une délégation de cinq sapeurs-pompiers pour une mission de conseil et d’échanges sur la tactique à adopter (coordination air-sol) et sur la gestion de crise (problèmes de communication, électricité, eau, transports …).

Cette situation va-t-elle inciter le Gouvernement à de nouvelles positions en matière d’environnement ? Au sommet de Madrid (COP 25), le chef de gouvernement était accompagné du Ministre de l’énergie et de la réduction des émissions de GES, et a annoncé la nomination d’un ambassadeur pour le climat. Mais le Premier ministre est accusé de faire passer les intérêts économiques immédiats avant les considérations environnementales, promouvoir « des politiques complaisantes à l’égard des pollueurs et oublieux des engagements environnementaux ».

« L’embrasement du sud-est australien est un signal d’alarme pour toute la planète » selon Pr Richard Betts. Il faut mettre en place des politiques adaptées et insister sur la prévention semble être un moyen efficace de lutte. En France, 95% des feux sont stoppés avant d’atteindre un hectare. Mais il convient d’être prudent car :

  • Les feux autrefois limités à la période juillet-août tendent à déborder sur l’automne,
  • Les zones inflammables autrefois concentrées sur le sud de la France tendent à s’étendre vers le nord (Jura, Massif central, Loire).

Impact sur des événements sportifs mondiaux

 Pour l’instant, les autorités ont refusé d’envisager l’annulation de l’Open d’Australie 2020 (108è édition du tournoi de tennis de Melbourne), prévu pour la période 20 janvier-2 février, comme cela avait été le cas pour le rallye d’Australie annulé en novembre dernier. Mais les matches de qualification ont été perturbés du fait de la pollution et des difficultés respiratoires rencontrées par les sportifs et des modifications d’horaires ont été mises en place pour tenir compte de la qualité de l’air. Finalement l’Open a débuté come prévu le 20 janvier dans des conditions « normales» de qualité de l’air, mais les matches extérieurs ont dû être annulés en raison de la pluie, tant attendue !

Le sport devra-t-il s’adapter aux contraintes climatiques et modifier son calendrier pour l’avenir (cf les matches de cricket en Inde).

Un paradis perdu ?

Depuis plusieurs années, l’Australie faisait « figure de paradis », échappant aux turbulences mondiales : 12ème économie du monde, en expansion continue depuis 1991, 23 millions d’habitants avec une immigration contrôlée et de haut niveau, un Etat de droit et une démocratie stable … en dépit de quelques incidents de parcours. Mais les feux qui ravagent le pays depuis septembre 2019, remettent en cause cette image idyllique et le modèle de croissance et de vie des Australiens. Fortement lié au développement des ressources minières et énergétiques (charbon, gaz naturel liquéfié, fer), l’Australie est un des forts émetteurs de carbone et de gaz à effet de serre.

L’Australie reverra-t-elle revoir son modèle de croissance ? Elle dispose des moyens nécessaires : capital humain, ressources financières, capacité à conduire des réformes …. Se rapprochera-t-elle de l’Europe et de son projet de « Green New Deal » ? « La préservation des forêts et des océans du fait de leur rôle dans la régulation de l’Ecosystème de la planète doivent être reconnus et protégés juridiquement comme des biens communs de l’Humanité » dans le cadre du combat contre le réchauffement climatique. (CF Nicolas Baverez, in Le Figaro, 20 janvier 2020).

Sources :

https://malaymail.com  5 et 10 décembre 2019

AFP, 18 janvier 2020

Les Echos, 11, 16, 18 janvier 2020

Le Figaro, 11 décembre 2019 ; 10, 13, 15, 18-19et 20janvier 2020

La Croix, 17 janvier 2020

Le Point, 9 janvier 2020

Le Monde, 19-20 janvier 2020

Hélène MAZERAN