Reprise des antagonismes en Mer de Chine méridionale
Samedi 18 avril 2020, la Chine a publié la partition des archipels Paracels et Spratly en deux nouveaux districts administratifs dépendant de Sansha, chef-lieu établi sur l’île de Woody Island (ou Yongxing) faisant partie des Paracels, en 2012. Cette île est équidistante de Hainan, appartenant à la Chine, et du Vietnam. Woody Island comporte une base aérienne à partir de laquelle opèrent non seulement des chasseurs (Shenyang J-11) mais épisodiquement des bombardiers (H-6K photographiés en juillet 2016) à long rayon d’action (3 500 km)* .
Le dimanche 19, le ministère des Ressources naturelles et celui des Affaires civiles publiaient en commun la liste de 80 éléments géographiques comme faisant partie de ces districts. Il s’agit d’îles ou de simples promontoires submergés (ces derniers au nombre de 55). Or la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer – UNCLOS signée par la Chine – prévoit explicitement la non appartenance à un Etat quelconque de tout élément non émergé de façon permanente et en dehors de la zone des 12 nautiques. Une liste antérieure avait été publiée en 1983, portant alors sur 287 éléments géographiques** .
Ces deux annonces des 18 et 19 avril ont irrité le Vietnam qui proclame que la Chine viole ainsi son droit de souveraineté, alors que la Chine proclame ces territoires maritimes comme « faisant historiquement partie de la Chine » au point de prétendre illégales les revendications du Vietnam qui l’accuse d’avoir délibérément coulé un bateau de pêche dans ces eaux contestées*** .
L’examen des revendications chinoises, initialement indiquées par le « tracé des neuf traits » en « langue de bœuf » par rapport aux conventions internationales est assez explicite.
La Chine établit sa revendication sur des « droits historiques ». Rappelons que la domination fut, pendant des siècles, établie par le droit du « pavillon » planté en terre « découverte » (quoique souvent habitée). Ce droit s’appliquait à des expéditions menées au nom de l’État, en particulier par les Portugais, Espagnols ou Hollandais dans ces régions asiatiques, et faisait fi d’implantations précédentes de peuples non-européens. Le droit historique se fondait sur l’érection du pavillon national, mais aussi sur l’établissement de cartes à buts scientifiques**** et économiques. Ces cartes sont maintenant exhibées comme arguments d’ancienneté *****.
La Convention, en établissant les droits sur des bases géographiques, cherche à établir non seulement une logique mais une justice dans la distribution des ressources aux riverains. Seules les ressources en haute mer sont donc considérées comme biens communs de l’humanité – quitte d’ailleurs à ce que celle-ci les gaspille aussi bien que les ressources côtières… Cette allocation des ressources est peu substituable dans les cas des ressources halieutiques pour la pêche traditionnelle, le poisson étant un élément fondamental de l’alimentation locale. On constate que la revendication chinoise priverait de ces ressources la plus grande partie des côtes des Philippines et de Malaisie.
Les Philippines, ayant obtenu un jugement favorable de la Cour d’arbitrage de la Haye dans le litige qui les opposait à la Chine, jugement que récuse cette dernière, avaient choisi de tenter de négocier un modus vivendi avec elle. Le Vietnam et la Chine ont su trouver un accommodement sur une partie septentrionale de leurs revendications maritimes communes. La Chine n’accepte en effet que des discussions bilatérales dans lesquelles son gigantisme, démographique et économique, lui confère un poids écrasant.
Pourquoi donc cette intempestive proclamation administrative qui ravive les acrimonies ? Serait ce, sur le plan intérieur, pour faire oublier, en réveillant les passions nationalistes, les errements dans le traitement du coronavirus ? Ce poil à gratter dans les relations internationales de l’Asie du Sud-Est tombe en effet au moment où le New-York Times et le Financial Times dénoncent des manœuvres chinoises contre l’Union européenne. L’European External Action Service, est accusé par le plus important bloc politique du Parlement européen, le PPE, d’avoir affadi un rapport sur la désinformation chinoise au sujet du COVID-19 après de pressantes sollicitations de Beijing. Ce que nie le porte-parole des Affaires étrangères de Beijing, Geng Shuang.
* https://edition.cnn.com/2018/05/20/asia/south-china-sea-bombers-islands-intl/index.html?no-st=9999999999 du 20/05/2018.
** https://www.channelnewsasia.com/news/asia/beijing-names-islands-in-disputed-south-china-sea-12662566 du 21/04/2020.
***https://www.spacewar.com/reports/Beijing_names_islands_in_disputed_South_China_Sea_999.html
****« Dossier Vietnam », Francophonie Actualités, novembre 2016-janvier 2017, pages 9-47. du 21/04/2020
*****« La Mer et les Îles du Vietnam », dépliant par Lucky House Graphics (Vietnam), 1er trimestre 2013.
« Historical truths and lies about Scarborough shoal in ancient maps », catalogue de l’exposition cartographique, Institute of Maritime and Ocean Affairs », université de Manille, 5-28/02/2015 (Philippines).
WU Shicun (Président, China Institute of South China Sea Studies. ), « What one needs to know about the South China Sea », Current Affairs Press (RPC), distribué par l’ambassade de RPC à la conférence de Justice Antonio T. Carpio, Senior Associate Justice, Supreme Court of the Philippines, « The South China Sea: Perspectives from Law and History », à l’IFRI, Institut français de Relations internationales, le 18/05/2015.
Matt APUZZO, « Pressured by China, E.U. Softens Report on Covid-19 Disinformation », https://www.nytimes.com/2020/04/24/world/europe/disinformation-china-eu-coronavirus.html
Michael PEEL, Tom MITCHELL, « China warned EU 3 times over virus propaganda report », https://www.ft.com/content/a2f66f6a-50cb-46fe-a160-3854e4702f1c
Denis LAMBERT