La Chine au XXIème siècle : une ambition « sans limite » ?
Après les années de « repliement » de l’empire de la terre, puis le « siècle des humiliations », la Chine de Xi Jinping regarde à nouveau vers la mer, ou plutôt vers les mers et l’ensemble du monde, la Chine voulant être « un pays puissant au premier rang mondial en 2049 »[1] (discours de Xi Jinping au XXème congrès du PCC le 16 octobre 2022) et donc une puissance maritime.
Xi Jinping se plait à rappeler la continuité de sa politique[2] avec celle desTang, des Song, puis des Yuanqui, avec les expéditions entre 1405 et 1433 de l’Amiral Zheng He, ne visait pas à coloniser des territoires, à assujettir des peuples, mais à pourchasser les pirates, à assurer la liberté de navigation, à développer le commerce et à faire reconnaître la puissance chinoise. Le 11 juillet 2005, a été décrétée la Journée Maritime de la Chineen l’honneur des 600 ans de la 1ère expédition de Zheng He. Lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin en 2008, divers tableaux faisaient référence à ces expéditions, symbole de la vocation maritime de la Chine. Il est cependant notable que la Chine des Ming s’est refermée sur elle-même pendant plusieurs siècles, et que le discours révolutionnaire soulignait la rupture avec le passé… D’où une perplexité sur la « continuité » prônée par M. Xi Jinping ….
Depuis 2013, le projet BRI des routes de la soie maritimes et terrestres s’inscrit dans cette logique de contournement et de traversée du continent eurasiatique. La Chine affirme à nouveau son ambition après des années de repli.
Faire reconnaître la puissance chinoise : De Zheng He à Xi Jinping[3]
- Des expéditions maritimes au XVè aux Routes de la Soie du XXIè
- De la perception d’un tribut à la diplomatie de la dette
Aujourd’hui, et dans la perspective du centenaire de la République populaire de Chine, en 2049, le projet a désormais une visée mondiale avec une pénétration du continent américain, du moins dans sa partie latino-américaine, à travers l’océan Pacifique.
La première étape de ce mouvement a d’abord consisté pour la Chine à tenter d’accroitre soninfluence dans les Etats insulaires du Pacifique, micro-Etats peu développés[1] que la Chinea cherché à « détacher » de Taïwan, s’assurant ainsi de nouvelles voix aux Nations-Unies[2] (4 Etats reconnaissant Taïwan sont ici). Cependant la tournée du Ministre des affaires étrangères Wang Yi dans le but de proposer un « Plan d’action quinquennal pour le développement commun Chine-pays du Pacifique » en mai-juin 2022, n’a pas reçu pour l’instant un accord enthousiaste, mais le projet n’est pas abandonné. Par ailleurs, la Chine entretient aussi des relations avec les mouvements d’opposition à la politique française en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie français, territoires où les mouvements indépendantistes ont remporté les dernières élections locales.
Au-delà de l’aspect politico-diplomatique de ces relations, il ne faut pas oublier le rôle non négligeable des ressources minérales présentes sur certains territoires et surtout dans les fonds océaniques[3], dont la Chine est très demandeuse et dont elle contrôle les plus grandes capacités de raffinage.
La journée annuelle de la cartographie, le 28 août 2023, a été l’occasion pour le Ministère des ressources naturelles de publier une nouvelle version dela carte « officielle » de la Chine et de ses abords terrestres et maritimes[4]: à la « ligne des 9 traits », est ajouté un « 10ème trait » à l’est de Taïwan, englobant toute la mer de Chine, au détriment de ses voisins(Indonésie, Malaisie, Philippines, Vietnam), ainsi que des territoires indiens dans l’Himalaya (Aksai Chin et Arunachal Pradesh) et des territoires russes avec l’île de Bolchoi Oussourisk en totalité alors qu’elle avait été partagée en deux par l’accord de 2008 entre la Russie et la Chine. Cette publication heurte ainsi tous les voisins de la Chine, en rappelant toutes les revendications évoquées en 1948 par TchangKaï-Chek, puis reprises par Mao. Wang Wenbin, porte-parole du Ministère chinois des Affaires étrangères a qualifié cette publication de « démarche de routine ». Mais lors de sommet de l’ASEAN à Djakarta (5-7 septembre 2023),les 4 voisins maritimes de la Chine ont condamné énergiquement ces revendications « unilatérales », rappelant l’arrêt de la Cour d’arbitrage de la Haye du 17 août 2016qui les jugeaient « sans fondement ». En présence de laVice-présidente américaine KamalaHarris et du Premier ministre chinois Li Qiang, le communiqué final a évité prudemment tout référence à ce sujet sensible. Souhaitant préserver une « amitié sans limite », motivée pour la Russie par la guerre en Ukraine, M. Serguei Lavrov a qualifié ce tracé de « simple problème technique ». La question de ces terres devenues russes lors des « traités inégaux » (la Russie tsariste a alors participé au découpage de la Chine) a en principe été résolue en 2008 : les traités inégaux ont été dénoncés par Moscou, mais le retour des territoires à la Chine n’a pas été évoqué[5]. Lesouvenir est toujours vivace, et encore plus depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, et la Chine fait périodiquement des « piqûres de rappel »[6].
La publication de cette carte est-elle une « erreur » ou un acte délibéré pour mentionner que les problèmes ne sont pas « oubliés » ?
Parallèlement, se poursuit une recherche continue de relations approfondies avec le continent latino-américain. On retrouve ici aussi le souhait de prendre la place de Taïwan dans les relations diplomatiques de pays d’Amérique centrale et des Caraïbes[7], sans doute aussi d’y contrer l’influence nord-américaine. Les changements politiques dans plusieurs Etats de la région ont conduit à un désir d’émancipation de cette influence des Etats-Unis et un désir de diversification des partenariats. Ont rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan au profit de Pékin le Panama en 2017, le Nicaragua en 2021, le Honduras en 2023.
Au milieu des années 2000, cela a conduit à la signature d’accords de libre-échange avec le Brésil, la Colombie, l’Argentine, le Pérou et donc à un développement des relations politico-diplomatiques, et en dernier lieu avec le Nicaragua en août 2023.Cependant le projet de construction d’un canal transocéanique au Nicaragua, lancé par la Chine en 2015, prévu pour concurrencer celui de Panama en2029, semble en suspens, alors que les travaux d’agrandissement de celui de Panama sont terminés depuis 2016.
Mais peu à peu se manifeste le désir de Pékin d’avoir accès aux ressources naturelles de ces pays (gaz, pétrole, minerais et terres rares) et d’investir dans les infrastructures ferroviaires et portuaires.
Les investissements chinois, par exemple, sont dans les parcs solaire et éolien en Argentine, dans les gisements de pétrole au Venezuela, dans les centrales hydroélectriques au Brésil… Power China développe une cinquantaine de projets dans 15 pays d’Amérique latine (Cf Roberta Fortes. COFACE).
Quelques cas particuliersrécents méritent attention, notamment celui du Pérou.
En 2018, Chimalco, entreprise d’aluminium chinoise, a investi 1,3 milliard de dollars dans des mines de cuivre au centre du Pérou dont il est le 3ème producteur mondial. En 2022, la Chine en a importé pour 14 milliards de dollars et est ainsi devenue le 1er partenaire commercial du Pérou devant les Etats-Unis. Elle est aussi intéressée par les autres ressources minérales du Pérou qui est le 2ème producteur mondial d’argent, et dispose de ressources importantes de lithium (comme ses voisins argentins, boliviens et chiliens).
D’où l’intérêt de la construction d’un port en eau profonde à Chancay (70km au nord de Lima) par l’entreprise chinoise Cosco Shipping (connue pour avoir pris le contrôle du port du Pirée depuis 2016 avec 60% des participations, et pour avoir une importance croissante dans la gestion du port d’Hambourg). L’ambition chinoise est de faire de Chancay le « Shanghai du Pérou », qui pourra accueillir les plus gros cargos du monde et relier le Brésil, le Chili, la Colombie et l’Equateur à la Chine. Ces installations portuaires sont donc indispensables pour le développement chinois des exportations de minerais et des échanges économiques, mais elles sont sans doute aussi à double usage et pourraient servir au ravitaillement de bâtiments de la marine de guerre. Sans compter les risques de surendettement pour le Pérou, on ne peut oublier le cas d’Hambatota au Sri Lanka.
En outre, depuis 2020, une part du marché de l’approvisionnement électrique de Lima est gérée par l’entreprise chinoise Three Gorges Corporation[8]qui possède le plus grand barrage hydroélectrique au centre du Pérou à Chaglia. En avril 2023, la China Southern Power Grid International s’est portée acquéreur des activités électriques à Lima de la société italienne Enel pour un montant de 2,9 milliards de dollars. Si cette vente se concrétisait, l’ensemble du marché de l’électricité sur Lima serait en totalité entre les mains de la Chine, ce qui pose un problème de souveraineté et de sécurité nationale. Consciente de ce risque, l’autorité péruvienne INDECOPI, en charge de la concurrence, doit rendre un deuxième avis avant la fin de 2023.
Dernier exemple en date de la progression de l’influence chinoise en Amérique latine, le « partenariat stratégique » signé entre la Chine et la Colombie le 25 octobre 2023 à Pékin : La Colombie est invitée à rejoindre la grande famille des projets BRI, la Chine étant son 2ème partenaire commercial. La China Harbour Engineering Company est chargée de la construction de la 1ère ligne du métro aérien de Bogota.
Les BRI chinoises font désormais le tour du mondeet cette stratégiepolitico-économiques’accompagne depuis 2004 de la diffusion d’un « soft power » au travers desInstituts Confucius, à l’origine créés pour développer l’apprentissage du chinois et diffuser la culture chinoise. Mais aujourd’hui, avec plus de 540 Instituts dans 154 pays dans le monde, les Instituts Confucius constituent un relais d’influence, voir un outil de propagande pour Pékin.
Lors du3èmeForum des BRI à Pékin les 17 et 18 octobre 2023,les délégations de 130 pays étaient présentes. En dépit du succès affiché, on remarquera que certains pays manifestent des « réserves » quant au projet. L’Italie a annoncé qu’elle ne reconduirait pas sa coopérationpour cause de déficit commercial ; de nombreux pays africains n’ont pas une activité économique suffisante pour leur permettre de rentabiliser les infrastructures qu’ils doivent rembourser à Pékin. Le projet BRI va-t-il marquer une pause dans son extension ?
Dans ce contexte, l’initiative européenne Global Gatewaylancée en 2021 peut-elle se placer en concurrente ?
Hélène Mazeran
[1] On lira avec intérêt l’ouvrage du Général Serge Cholley : « Les ambitions spatiales de la Chine : d’une puissance mondiale vers une puissance globale ». Le Fantascope. 2012
[2] Cf François Lafargue et Li-Zhou Lafargue : « La mémoire disputée de Zheng He » in Revue Etudes n°4225, mars 2016.
[3] Source des cartes : Fabienne Manière : « La flotte des Trésors largue les amarres », in Hérodote, 3 mars 2023. Et Frédéric Lasserre. Département de géographie de l’université Laval, Québec, 2023.
[4] Cf les articles publiés sur le site de l’Institut du Pacifique au cours de 2022 : « Pénétration insidieuse de la Chine dans le Pacifique : l’exemple des îles Salomon » (30 avril) ; « Nouvelle étape de l’expansion chinoise dans le Pacifique ? (12 juin)
[2]Marshall, Nauru, Palaos, Tuvalu
[3] Cf Michel Jebrak : « Thalassocratie et ressources minérales : le cas de l’océan Pacifique » ? Conférence à l’Institut du Pacifique, 5 octobre 2023.
[4] Cf Sébastien Falletti : « La nouvelle carte de la Chine irrite ses voisins » in Le Figaro, 12 septembre 2023. Emission Les dessous des cartes, 5 septembre 2023.
[5] Cf Pierre Andrieu : « Géopolitique des relations russo-chinoises ». PUF, septembre 2023.
[6]Cf Serge Cholley : “Les ambitions spatiales de la Chine : d’une puissance mondialevers une puissance globale ». Collection des ChercheursMilitaires, 2012
[7]Belize, Guatemala, Haïti, Paraguay, St Christophe et Nieves, St Vincent et Grenadines, Ste Lucie.
[8] A la tête du barrage des Trois Gorges en Chine (record de production annuelle mondiale en 2020), elle a cependant vu rejetée son offre d’achat au portugais Energias Portugal.