La Chine et l’Arctique
Pour compléter la conférence de Thierry Garcin, voici le lien vers un article publié le 7 septembre 2024 sur ce sujet sur le site de geoweb
https://www.geopoweb.fr/?LA–CHINE-ET-L-ARCTIQUE-Thierry-GARCIN
Superficie : 9 100 000 km2
Population : 321 Mh
Densité :
PNB : 17 950 milliards $
Pour compléter la conférence de Thierry Garcin, voici le lien vers un article publié le 7 septembre 2024 sur ce sujet sur le site de geoweb
https://www.geopoweb.fr/?LA–CHINE-ET-L-ARCTIQUE-Thierry-GARCIN
Quelques repères chronologiques
Période coloniale
Les Européens ont toujours eu besoin des épices (poivre, girofle, muscade) pour la conservation des aliments. Les routes terrestres traditionnelles depuis l’antiquité ont été coupées par les invasions arabes. D’où le recours aux expéditions maritimes, difficiles et coûteuses. S’y ajoute la rivalité entre les Anglais et les Hollandais. Les Français arrivent plus tard, après la création par Colbert de la Compagnie royale des Indes orientales en 1664. Mais les Français sont plus intéressés par les rives indiennes, puis par l’Indochine.
Les îles qui formeront l’Indonésie actuelle, sont « colonisées » par les Hollandais. Sans employer le terme, c’est en fait, une colonisation très dure qui est menée par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales (créée en 1602), réduisant les populations, notamment dans les plantations, à une forme d’ « esclavage »[1] ou de « servage ». On estime à 3 millions de morts les victimes de la colonisation sur une population de 20 millions. C’est une colonie qui rapportait beaucoup. Cette colonisation a été dénoncée par un Néerlandais, Eduard Douwes Dekker, alias Multatuli, qui a publié en1860 le roman « Max Havelaar » (ce nom a été repris par une ONG qui promeut actuellement le commerce équitable).
L’occupation japonaise a duré de 1942 à 1945 et a entrainé des famines épouvantables, avec un nombre de morts à peu près identique à ceux de la période coloniale. Les troupes autochtones ont été formées par les Japonais contre les Hollandais. Emerge alors un leader charismatique, Soekarno qui proclame l’indépendance le 17 août 1945 (bien que l’indépendance réelle ne soit acquise qu’en décembre 1949).
L’Indonésie actuelle (appelée « Indes orientales néerlandaises » jusqu’en 1949) a été créée par les Hollandais, mais elle s’est aussi créée contre eux.
Un Etat pluriethnique avec 5 religions officielles
Sur une superficie à peu près identique à celle de l’Europe, on compte 15 000 îles, des centaines de langues. La langue la plus parlée est le javanais, mais elle est aussi la plus difficile. La langue nationale choisie a été celle que parlaient les commerçants malais : le Bahasa indonésia. Ce fut un élément d’unification de la République moderne.
Ce pays dispose de multiples ressources (hydrocarbures, minerais divers -notamment nickel, manganèse, tungstène-, huile de palme, bois exporté en quantités croissantes vers la Chine), mais Sukarno n’a pas été capable d’en faire une grande puissance économique. Il s’est surtout intéressé à la politique, et a essayé de faire vivre ensemble les trois grands partis : nationalistes (PNI), communistes (PKI) et musulmans (NU). Mais ce fut un échec, et, à la suited’une tentative de coup d’Etat par les communistes (GESTAPU) le 30 septembre 1965, la réaction des militaires menés par Suharto, a entraîné une guerre civile qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts. Au plan international, cela a entraîné, pour quelques vingt-cinq ans, la rupture des relations diplomatiques avec la Chine, accusée d’avoir soutenu le PKI.
Avec Suharto, l’Indonésie s’est dotée d’une économie prospère, mais ce n’était pas un modèle de démocratie. La crise économique asiatique de 1998 a entraîné son remplacement par son ancien Ministre d’Etat, Habibie, un ancien ingénieur en aéronautique (qui a travaillé notamment pour Messerschmitt), lui-même remplacé après un an et demi, par Abdurrahman Wahid, alias Gus Dur (atteint de cécité). Un système démocratique se met en place et les élections présidentielles suivantes sont validées internationalement : Megawati (fille de Soekarno) est présidente de 2001 à 2004, puis le Général Yudhoyono de 2004 à 2014.
Le gouvernement actuel
Jokowi, actuel Président élu après Yudhoyono en 2014, réélu en 2019, a été populaire dans un premier temps. Le pays a connu un développement appréciable. En 2022 : croissance de 5,3%, PIB à 1,3 milliards d’Euros, diminution du chômage (inférieur à 5%). Mais une certaine « folie des grandeurs » s’est notamment traduite par le projet de nouvelle capitale.
Jakarta a été créée par les Hollandais avec 300 000 habitants. Aujourd’hui avec 13 millions, elle est devenue « invivable ». D’où la décision de déménager la capitale dans un point plus central, à Nusantara (le nom signifie « archipel ») à l’est de Bornéo, ce qui a entraîné une vaste déforestation. Ce choix sera-t-il remis en cause par le nouveau Président qui serait hostile au projet [2]?
Le Président nouvellement élu, Prabowo Subianto, ancien ministre de la Défense, gendre de Suharto, a été accusé par plusieurs ONG de massacres à Timor, en Papouasie et même à Jakarta, lors de la répression de manifestations. Il a fait alliance avec Jokowi dont le fils aîné a été élu Vice-Président de la République. Quant au fils cadet, le projet d’en faire le futur gouverneur de Jakarta se heurte à des fortes oppositions. Cette tentative de créer une dynastie a déçu beaucoup de partisans de Jokowi.
Le nouveau Président, s’il est un accusé d’être un criminel par certaines ONG, est aussi un des hommes les plus riches d’Asie (propriétaire de vastes plantations de palmier à huile)[3]. Sur le plan politique, les relations avec la Chine sont compliquées (l’Indonésie est très proche des Etats-Unis), mais se poursuivent et se développent sur le plan économique (Nouvelles routes de la soie).
Aujourd’hui, c’est la 4ème puissance démographique après l’Inde, la Chine et les Etats-Unis. C’est le plus grand Etat musulman du monde (85% de la population). Il y a 5 religions officielles : Islam, christianisme/protestant, christianisme/catholique, Hindouisme, Bouddhisme (principalement Chinois).
Gérard Chesnel, ancien ambassadeur de France dans des Etats du Pacifique, Président de la Commission nationale pour l’élimination des mines anti-personnel
Conférence à l’Institut du Pacifique – 3 octobre 2024
Points évoqués lors des questions-réponses
-Chou En Lai était présent à la conférence de Bandung (mouvement des Non-alignés en 1955). Mais le coup d’Etat de Suharto a entrainé une rupture des relations diplomatiques avec la Chine.
-Des mouvements autonomistes et des révoltes ont eu lieu dès le lendemain de l’Indépendance : au sud des Moluques (mouvements pro-hollandais) ; tensions interethniques, inter-religieuses (face à l’islam radical) ; à Aceh (nord de Sumatra dernier à être soumis aux Hollandais après de longs mouvements indépendantistes).
-Le pali et le sanskrit sont encore enseignés à l’école.
[1] Cf le dossier « La grande aventure de la Compagnie des Indes (des marchands plus forts que des Etats) » in la Revue L’Histoire, n° 524, octobre 2024.
[2] Cf les problèmes liés aux transferts de capitales, par exemple Naypyidaw en Birmanie.
[3] La position officielle de la France serait moins sévère.
Le 4 avril dernier, Ivo Paparella a prononcé devant l’Institut du Pacifique une conférence sur « Les effets des sanctionsanti-russes en Asie -Pacifique » , qui avait été préparée conjointement avec Francis Baudu, Vice-Président de l’Institut du Pacifique.
Ce travail a encore été complété et enrichi par leurs auteurs dans le cadre d’une publication parue dans la Revue de Défense nationale, le 23 mai 2024, sous le titre « Les sanctions à l’encontre de la Russie ». Les deux auteurs avec Alain Oudot de Dainville, tous membres de l’Académie de marine, proposent un article très complet d’une trentaine de pages assorti d’une bibliographie détaillée. Ils y présentent les sanctions économiques devenues aujourd’hui un moyen de pression sur l’adversaire, même en l’absence de confrontation militaire directe. Ce travail complète leurs travaux qui ont déjà donné lieu à une publication dans la même revue en mars 2023 sur « La flotte commerciale russe ».
Article du 23 mai 2024
Article du 23 mars 2024
Hélène Mazeran
Une présentation originale à deux voix d’un pays lointain à tous points de vue, d’un pays que les conférenciers connaissent depuis longtemps, en profondeur, et où ils se rendent régulièrement depuis … 1964 pour Catherine Cadou et 1971 pour Christian Sautter.
Intervention de Christian Sautter
Référence aux 2 lutteurs de sumo. Le Japon essaie de faire respecter les règles d’un combat loyal entre la Chine et les Etats-Unis. L’archipel vit dans un isolement relatif, est-il calme pour autant ?
Si la croissance est considérée comme l’alpha et l’oméga du bonheur, le dynamisme démographique est un élément nécessaire, il n’en reste pas moins que la croissance est médiocre depuis 40 ans, que le déclin, s’il est calme, n’en est pas moins réel.
Mais les Japonais savent faire face en puisant dans leur aptitude à la sérénité, dans leurs ressorts culturels et leurs structures familiales et sociétales qui constituent l’âme japonaise.
Le rapport à l’Etat est paisible, l’institution étatique n’est pas considérée par les Japonais comme un fardeau, un handicap.
Au Japon, une chose peut n’être ni vraie, ni fausse.
Le Japon sera présenté dans une « valse à 3 temps » :
Temps 1 – un Etat « développeur »
De 1945 à 1985, le Japon est une nation riche, dotée d’une armée puissante. Depuis l’ère Meiji, l’Etat doit jouer le rôle moteur.
Le pays se développe ainsi en s’appuyant sur une coopération continue entre les 3 éléments du triangle de fer que constituent le gouvernement, le parti conservateur et le monde des affaires.
Pour nous, Occidentaux, compétition et coopération sont 2 termes antinomiques, le Japon lui sait construire le compromis.
Si comme en Asie orientale, le Japon a une image de société très « inégalitaire », l’harmonie y reste de mise. On en trouve des exemples dans nombre de domaines, non régulés mais « encouragés ».
Mais 1985 marque la fin de la période « Japan as N° 1 » : Éclatement de la bulle spéculative, obligation de réévaluer le yen, de libéraliser les finances.
Temps 2 – un Etat « résilient »
Le Japon doit faire face en 1995 au tremblement de terre de Kobé, en 2011 à la catastrophe nucléaire de Fukushima. Il faut y ajouter 2 éléments « aggravants » : le vieillissement de sa population et la croissance chinoise.
Mais grâce à l’Etat, la cohésion sociale est préservée, la croissance est ralentie, mais le Japon est devenu un pays « mûr », un pays rentier. Le travail est « robotisé » pour faire face à la diminution de la main d’œuvre. Mais, contrairement à ce qui se manifeste dans certains pays occidentaux, le travail manuel n’est pas méprisé.
Le Japon est exportateur de soft power.
Temps 3 – un Etat « conciliant »
En 2016, l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine impacte le Japon dans sa politique extérieure et peut rendre sa sécurité plus aléatoire (Corée du nord par exemple); le Japon est amené à augmenter ses dépenses militaires jusqu’à 2% du budget national et à acheter des armements aux USA.
Mais dans le même temps, il observe et écoute la Chine, la Corée du sud … Il sait jouer la carte du « go between » sans faire jouer les tambours. Le Japon est le royaume des diplomates, « ils agissent en parlant peu ».
Sur le plan intérieur, le Japon a un Etat « bizarre ». Le gouvernement ne cherche pas à faire le bonheur des gens malgré eux. Les Japonais sont habitués à « se débrouiller » seuls, s’organisant sur les fondements d’une très forte solidarité de proximité. L’Etat est peu interventionniste, il y a peu de lois. Il fait confiance aux entreprises. Pour autant les budgets sont déséquilibrés et la dette est abyssale. Mais l’épargne interne est très forte.
Dans le domaine climatique, il y a peu de déclaration, l’Etat est conciliant et cherche là encore à préserver l’harmonie entre économie, nature et bonheur, tout en revitalisant la ruralité.
L’utopie est pour après-demain !!!!!
Intervention de Catherine Cadou
Cinéaste et productrice, interprète et traductrice des œuvres cinématographiques de Akira Kurosawa (1910-1998) dont elle fut l’assistante pendant près de 17 ans. Spécialiste du cinéma japonais, elle a traduit et sous titrés près de 200 films japonais. Elle a participé en tant que traductrice et assistante de A. Kurosawa à tous les grands festivals de cinéma du continent européen (Cannes, Berlin, Venise, Deauville etc. …)
La culture et le mental japonais sont marqués par des concepts mythiques : cf histoire de la déesse de la montagne. Il s’agit de se situer par rapport à l’autre, par respect pour la nature, s’adapter à la diversité du monde. Les Japonais sont des humanistes.
Les signifiants du contraste « baguettes et fourchettes » : idée de réactivité nécessaire à l’incorporation, à l’appropriation du monde, importance de l’adaptation. Les Japonais savent s’adapter sans renoncer à être eux-mêmes.
La place des femmes au Japon est importante. Elle est inscrite dans la Constitution. Les femmes « déesses » toutes puissantes sont très admirées et référentes. Contrairement à la lecture dominante qu’en font les critiques de cinéma, le rôle des femmes dans les films japonais est très subtilement valorisé.
Le roman « Dit du Genji » écrit par une femme (cf exposition au musée Guimet, « A la Cour du Prince de Genji », novembre 2023-mars 2024, note dans l’espace Cultures de notre site) présente des femmes libres et autonomes au contraire des garçons au IXème siècle.
Le lien avec la nature est lui aussi essentiel. Il est présent dans toutes les facettes de la vie quotidienne et de la culture japonaise. Cela se traduit en tout premier lieu par l’habitat qui se doit d’être ouvert sur l’extérieur. On retrouve également cette attache forte avec la nature dans le respect des rites saisonniers dans les fêtes de quartier notamment.
Architecture et nature sont également des données essentielles dans l’agencement des villes et quartiers. La gare de St Denis Pleyel en bois et verre a été conçue par l’architecte japonais Kenzo Kuma, inaugurée en juin 2024. Symbole de l’architecture naturelle.
Conférence du 20 juin 2024 de Christian Sautter et Catherine Cadou
Quelques ouvrages de référence :
Pierre-François Souyiri, historien du Japon à l’INALCO : « Moderne sans être occidental : aux origines du Japon d’aujourd’hui ». 2016.
Ruth Benedict : « Le Chrysanthème et le Sabre », sur une commande du Pentagone en 1944 pour essayer de mieux comprendre les mentalités japonaises.
Rappel historique
En 1905, à la fin de la guerre russo-japonaise (à l’avantage du Japon), le Président américain Théodore Roosevelt joue les intermédiaires lors de la négociation du Traité de Portsmouth.
Il poursuit l’application de la doctrine Monroe, et la fait évoluer en « Big Stick ». Préoccupé par l’avance des nations européennes en Asie, il suggère à des diplomates japonais de faire de leur pays le dépositaire de la doctrine Monroe pour l’Asie.
Mais la lecture diffère :
– pour les Américains, il s’agit de faire barrage à l’expansion européenne en Asie,
– pour les Japonais en manque de ressources en matières premières, il s’agit de légitimer des conquêtes territoriales permettant des approvisionnements.
Le Japon envahit la Mandchourie en 1931. Et en fait l’Etat fantoche du Mandchoukouo. A la fin des années 30, des contacts avec des chefs sionistes (dont Ben Gourion) avait donné lieu au projet FUGU d’installation du peuple juif en Mandchourie, au lieu d’Israël pour créer une zone tampon avec la Russie devenus soviétique.
Le Japon envahit la Chine, puis l’Indochine française en 1940. Les Japonais pratiquent ici le 2A/AD (Anti-Access/ Access Denial) de la doctrine Monroe, mais ils s’installent. C’est là qu’ils se heurtent aux USA qui soutiennent les nationalistes de Tchang Kai Check. D’où la confrontation inévitable entre Japon et USA.
La pratique des sanctions est dans les gênes des Américains. En 1941, la Hollande et le USA sanctionnent le Japon en le coupant de ses importations d’acier et de pétrole d’Indonésie. D’où l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941.
Après l’invasion de l’Ukraine en février 2022
a) est un désert démographique,
b) ses infrastructures physiques (ports, aéroports, routes, chemin de fer) dans cette région sont insuffisantes pour satisfaire les ambitions relatives au développement socio-économique proclamées par Moscou.
c) la Russie est donc obligée d’engager des dépenses afin de réduire ses handicaps en Asie qui viennent de s’ajouter aux problèmes que le pays connaît dans sa partie européenne.
d)Le but des sanctions antirusses (anti-coréennes et anti-iraniennes ; voir la législation américaine à ce sujet et notamment CAATSA) est précisément de rendre impossible le décollage économique de son économie dans son ensemble en général et notamment celui de la partie asiatique /arctique.
e) Sur le plan international, la confrontation avec les États-Unis est dans la logique des relations entre les Américains soutenus volens nolens par leurs « foederes » euro-asiatiques, d’une part, et par les Chinois, Russes et d’autres pays du « Global South ». En effet, (et c’est Congressional Research Service qui le dit) l ‘Amérique ne veut pas permettre l’apparition d’une hégémonie régionale dans l’espace euro- asiatique.
Francis Baudu et Ivo Paparella
Conférence du 4 avril 2024
Après les années de « repliement » de l’empire de la terre, puis le « siècle des humiliations », la Chine de Xi Jinping regarde à nouveau vers la mer, ou plutôt vers les mers et l’ensemble du monde, la Chine voulant être « un pays puissant au premier rang mondial en 2049 »[1] (discours de Xi Jinping au XXème congrès du PCC le 16 octobre 2022) et donc une puissance maritime.
Xi Jinping se plait à rappeler la continuité de sa politique[2] avec celle desTang, des Song, puis des Yuanqui, avec les expéditions entre 1405 et 1433 de l’Amiral Zheng He, ne visait pas à coloniser des territoires, à assujettir des peuples, mais à pourchasser les pirates, à assurer la liberté de navigation, à développer le commerce et à faire reconnaître la puissance chinoise. Le 11 juillet 2005, a été décrétée la Journée Maritime de la Chineen l’honneur des 600 ans de la 1ère expédition de Zheng He. Lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin en 2008, divers tableaux faisaient référence à ces expéditions, symbole de la vocation maritime de la Chine. Il est cependant notable que la Chine des Ming s’est refermée sur elle-même pendant plusieurs siècles, et que le discours révolutionnaire soulignait la rupture avec le passé… D’où une perplexité sur la « continuité » prônée par M. Xi Jinping ….
Depuis 2013, le projet BRI des routes de la soie maritimes et terrestres s’inscrit dans cette logique de contournement et de traversée du continent eurasiatique. La Chine affirme à nouveau son ambition après des années de repli.
Faire reconnaître la puissance chinoise : De Zheng He à Xi Jinping[3]
Aujourd’hui, et dans la perspective du centenaire de la République populaire de Chine, en 2049, le projet a désormais une visée mondiale avec une pénétration du continent américain, du moins dans sa partie latino-américaine, à travers l’océan Pacifique.
La première étape de ce mouvement a d’abord consisté pour la Chine à tenter d’accroitre soninfluence dans les Etats insulaires du Pacifique, micro-Etats peu développés[1] que la Chinea cherché à « détacher » de Taïwan, s’assurant ainsi de nouvelles voix aux Nations-Unies[2] (4 Etats reconnaissant Taïwan sont ici). Cependant la tournée du Ministre des affaires étrangères Wang Yi dans le but de proposer un « Plan d’action quinquennal pour le développement commun Chine-pays du Pacifique » en mai-juin 2022, n’a pas reçu pour l’instant un accord enthousiaste, mais le projet n’est pas abandonné. Par ailleurs, la Chine entretient aussi des relations avec les mouvements d’opposition à la politique française en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie français, territoires où les mouvements indépendantistes ont remporté les dernières élections locales.
Au-delà de l’aspect politico-diplomatique de ces relations, il ne faut pas oublier le rôle non négligeable des ressources minérales présentes sur certains territoires et surtout dans les fonds océaniques[3], dont la Chine est très demandeuse et dont elle contrôle les plus grandes capacités de raffinage.
La journée annuelle de la cartographie, le 28 août 2023, a été l’occasion pour le Ministère des ressources naturelles de publier une nouvelle version dela carte « officielle » de la Chine et de ses abords terrestres et maritimes[4]: à la « ligne des 9 traits », est ajouté un « 10ème trait » à l’est de Taïwan, englobant toute la mer de Chine, au détriment de ses voisins(Indonésie, Malaisie, Philippines, Vietnam), ainsi que des territoires indiens dans l’Himalaya (Aksai Chin et Arunachal Pradesh) et des territoires russes avec l’île de Bolchoi Oussourisk en totalité alors qu’elle avait été partagée en deux par l’accord de 2008 entre la Russie et la Chine. Cette publication heurte ainsi tous les voisins de la Chine, en rappelant toutes les revendications évoquées en 1948 par TchangKaï-Chek, puis reprises par Mao. Wang Wenbin, porte-parole du Ministère chinois des Affaires étrangères a qualifié cette publication de « démarche de routine ». Mais lors de sommet de l’ASEAN à Djakarta (5-7 septembre 2023),les 4 voisins maritimes de la Chine ont condamné énergiquement ces revendications « unilatérales », rappelant l’arrêt de la Cour d’arbitrage de la Haye du 17 août 2016qui les jugeaient « sans fondement ». En présence de laVice-présidente américaine KamalaHarris et du Premier ministre chinois Li Qiang, le communiqué final a évité prudemment tout référence à ce sujet sensible. Souhaitant préserver une « amitié sans limite », motivée pour la Russie par la guerre en Ukraine, M. Serguei Lavrov a qualifié ce tracé de « simple problème technique ». La question de ces terres devenues russes lors des « traités inégaux » (la Russie tsariste a alors participé au découpage de la Chine) a en principe été résolue en 2008 : les traités inégaux ont été dénoncés par Moscou, mais le retour des territoires à la Chine n’a pas été évoqué[5]. Lesouvenir est toujours vivace, et encore plus depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, et la Chine fait périodiquement des « piqûres de rappel »[6].
La publication de cette carte est-elle une « erreur » ou un acte délibéré pour mentionner que les problèmes ne sont pas « oubliés » ?
Parallèlement, se poursuit une recherche continue de relations approfondies avec le continent latino-américain. On retrouve ici aussi le souhait de prendre la place de Taïwan dans les relations diplomatiques de pays d’Amérique centrale et des Caraïbes[7], sans doute aussi d’y contrer l’influence nord-américaine. Les changements politiques dans plusieurs Etats de la région ont conduit à un désir d’émancipation de cette influence des Etats-Unis et un désir de diversification des partenariats. Ont rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan au profit de Pékin le Panama en 2017, le Nicaragua en 2021, le Honduras en 2023.
Au milieu des années 2000, cela a conduit à la signature d’accords de libre-échange avec le Brésil, la Colombie, l’Argentine, le Pérou et donc à un développement des relations politico-diplomatiques, et en dernier lieu avec le Nicaragua en août 2023.Cependant le projet de construction d’un canal transocéanique au Nicaragua, lancé par la Chine en 2015, prévu pour concurrencer celui de Panama en2029, semble en suspens, alors que les travaux d’agrandissement de celui de Panama sont terminés depuis 2016.
Mais peu à peu se manifeste le désir de Pékin d’avoir accès aux ressources naturelles de ces pays (gaz, pétrole, minerais et terres rares) et d’investir dans les infrastructures ferroviaires et portuaires.
Les investissements chinois, par exemple, sont dans les parcs solaire et éolien en Argentine, dans les gisements de pétrole au Venezuela, dans les centrales hydroélectriques au Brésil… Power China développe une cinquantaine de projets dans 15 pays d’Amérique latine (Cf Roberta Fortes. COFACE).
Quelques cas particuliersrécents méritent attention, notamment celui du Pérou.
En 2018, Chimalco, entreprise d’aluminium chinoise, a investi 1,3 milliard de dollars dans des mines de cuivre au centre du Pérou dont il est le 3ème producteur mondial. En 2022, la Chine en a importé pour 14 milliards de dollars et est ainsi devenue le 1er partenaire commercial du Pérou devant les Etats-Unis. Elle est aussi intéressée par les autres ressources minérales du Pérou qui est le 2ème producteur mondial d’argent, et dispose de ressources importantes de lithium (comme ses voisins argentins, boliviens et chiliens).
D’où l’intérêt de la construction d’un port en eau profonde à Chancay (70km au nord de Lima) par l’entreprise chinoise Cosco Shipping (connue pour avoir pris le contrôle du port du Pirée depuis 2016 avec 60% des participations, et pour avoir une importance croissante dans la gestion du port d’Hambourg). L’ambition chinoise est de faire de Chancay le « Shanghai du Pérou », qui pourra accueillir les plus gros cargos du monde et relier le Brésil, le Chili, la Colombie et l’Equateur à la Chine. Ces installations portuaires sont donc indispensables pour le développement chinois des exportations de minerais et des échanges économiques, mais elles sont sans doute aussi à double usage et pourraient servir au ravitaillement de bâtiments de la marine de guerre. Sans compter les risques de surendettement pour le Pérou, on ne peut oublier le cas d’Hambatota au Sri Lanka.
En outre, depuis 2020, une part du marché de l’approvisionnement électrique de Lima est gérée par l’entreprise chinoise Three Gorges Corporation[8]qui possède le plus grand barrage hydroélectrique au centre du Pérou à Chaglia. En avril 2023, la China Southern Power Grid International s’est portée acquéreur des activités électriques à Lima de la société italienne Enel pour un montant de 2,9 milliards de dollars. Si cette vente se concrétisait, l’ensemble du marché de l’électricité sur Lima serait en totalité entre les mains de la Chine, ce qui pose un problème de souveraineté et de sécurité nationale. Consciente de ce risque, l’autorité péruvienne INDECOPI, en charge de la concurrence, doit rendre un deuxième avis avant la fin de 2023.
Dernier exemple en date de la progression de l’influence chinoise en Amérique latine, le « partenariat stratégique » signé entre la Chine et la Colombie le 25 octobre 2023 à Pékin : La Colombie est invitée à rejoindre la grande famille des projets BRI, la Chine étant son 2ème partenaire commercial. La China Harbour Engineering Company est chargée de la construction de la 1ère ligne du métro aérien de Bogota.
Les BRI chinoises font désormais le tour du mondeet cette stratégiepolitico-économiques’accompagne depuis 2004 de la diffusion d’un « soft power » au travers desInstituts Confucius, à l’origine créés pour développer l’apprentissage du chinois et diffuser la culture chinoise. Mais aujourd’hui, avec plus de 540 Instituts dans 154 pays dans le monde, les Instituts Confucius constituent un relais d’influence, voir un outil de propagande pour Pékin.
Lors du3èmeForum des BRI à Pékin les 17 et 18 octobre 2023,les délégations de 130 pays étaient présentes. En dépit du succès affiché, on remarquera que certains pays manifestent des « réserves » quant au projet. L’Italie a annoncé qu’elle ne reconduirait pas sa coopérationpour cause de déficit commercial ; de nombreux pays africains n’ont pas une activité économique suffisante pour leur permettre de rentabiliser les infrastructures qu’ils doivent rembourser à Pékin. Le projet BRI va-t-il marquer une pause dans son extension ?
Dans ce contexte, l’initiative européenne Global Gatewaylancée en 2021 peut-elle se placer en concurrente ?
Hélène Mazeran
[1] On lira avec intérêt l’ouvrage du Général Serge Cholley : « Les ambitions spatiales de la Chine : d’une puissance mondiale vers une puissance globale ». Le Fantascope. 2012
[2] Cf François Lafargue et Li-Zhou Lafargue : « La mémoire disputée de Zheng He » in Revue Etudes n°4225, mars 2016.
[3] Source des cartes : Fabienne Manière : « La flotte des Trésors largue les amarres », in Hérodote, 3 mars 2023. Et Frédéric Lasserre. Département de géographie de l’université Laval, Québec, 2023.
[4] Cf les articles publiés sur le site de l’Institut du Pacifique au cours de 2022 : « Pénétration insidieuse de la Chine dans le Pacifique : l’exemple des îles Salomon » (30 avril) ; « Nouvelle étape de l’expansion chinoise dans le Pacifique ? (12 juin)
[2]Marshall, Nauru, Palaos, Tuvalu
[3] Cf Michel Jebrak : « Thalassocratie et ressources minérales : le cas de l’océan Pacifique » ? Conférence à l’Institut du Pacifique, 5 octobre 2023.
[4] Cf Sébastien Falletti : « La nouvelle carte de la Chine irrite ses voisins » in Le Figaro, 12 septembre 2023. Emission Les dessous des cartes, 5 septembre 2023.
[5] Cf Pierre Andrieu : « Géopolitique des relations russo-chinoises ». PUF, septembre 2023.
[6]Cf Serge Cholley : “Les ambitions spatiales de la Chine : d’une puissance mondialevers une puissance globale ». Collection des ChercheursMilitaires, 2012
[7]Belize, Guatemala, Haïti, Paraguay, St Christophe et Nieves, St Vincent et Grenadines, Ste Lucie.
[8] A la tête du barrage des Trois Gorges en Chine (record de production annuelle mondiale en 2020), elle a cependant vu rejetée son offre d’achat au portugais Energias Portugal.
Le cas de la France avec Taïwan[1]
De longue date, sous l’empire, la Chine était organisée en provinces, dont la cohérence territoriale est fracturée, sous le contrôle de seigneurs régionaux ; mais théoriquement ces derniers prêtaient allégeance au pouvoir impérial de la Cité interdite.
Taïwan et une partie de la Chine de Tchang Kai-chek (Président de la République de Chine) sont la cible d’une invasion japonaise en 1931. De fait l’île de Taïwan avait été cédée au Japon par la Chine impériale en 1895 avec le traité de Shimonoseki.
Pendant la période d’occupation de l’île, le Japon s’était employé à assimiler les Taïwanais : état de droit, éducation, plan de développement économique, etc. …
Lors de la seconde guerre mondiale, le Japon est allié avec l’Allemagne hitlérienne.
Tchang Kai-chek était un allié des Etats Unis.
Lors de la capitulation du Japon en 1945, les Etats Unis ont laissé la Chine de Tchang Kai Chek (Kuomintang), récupérer Taïwan, mais ils n’ont pas consulté les Taïwanais.
Alors que se déroulent tous ces événements mondiaux, la Chine est aussi le siège des affrontements entre nationalistes (Kuomintang) et communistes qui se soldent par la victoire de ces derniers menés par Mao Zedong et la guérilla au fil des années 1947/48. Instauration de la République populaire de Chine (RPC) fin 1949
Tchang Kai-Chek se replie sur Taïwan avec 2 millions de chinois ; l’île est alors peuplée de brigands et de soudards. Ce repli a été soigneusement planifié avec notamment le transfert de trésors antiques et monétaires mis à l’abri à Taiwan.
En 1949 lors de l’instauration de la RPC les Etats Unis hésitent quant à la solution à adopter vis à vis de Taïwan, sachant que la Chine avait été notre alliée pendant la 2eme guerre mondiale.
Mais la Chine de Mao réoriente ses alliances vers l’URSS et le bloc communiste en cours de constitution, en intervenant en Corée. Elle coupe ainsi les liens qui l’unissaient à l’Occident.
En 1950, Taïwan et son gouvernement dirigé par Tchang Kai-chek restent en revanche alliés avec les Etats-Unis. En 1957/58, Taiwan doit revoir sa stratégie pour que les USA continuent à la protéger. Le congrès américain entérine cette option en acceptant de protéger Taïwan, sans évoquer pour autant l’aspect territorial « chinois » de l’île (il s’agit de protection, mais pas de reconquête).
Le conflit ne se développe pas sur le sujet car la Chine communiste n’est pas reconnue par le bloc des états occidentaux, sauf par le Royaume Uni dès 1950 afin de préserver le statut de l’enclave de Hong Kong.
La France ouvre la brèche en 1964 par la décision du Général de Gaulle qui reconnaît le régime communiste de la Chine dirigé par Mao Zedong.Les Etats Unis sous la Présidence de Nixon reconnaissent ensuite le régime de Pékin.
Mais rien ne change à l’ONU (Charte de 1945) avec les 5 grandes puissances victorieuses où Taiwan occupe alors la place de la Chine jusqu’en 1971.En 1971, l’Assemblée générale des Nations-Unies admet le gouvernement de Pékin come représentant de la Chine à la majorité des deux tiers.Les autorités de Taipei ne contestent pas ce déroulement « en droit ». La question territoriale de l’appartenance à la Chine n’est pas traitée.
Taïwan, si elle n’est pas membre des institutions spécialisées du système des Nations-Unies, en revanche est reconnue en tant que telle par l’OMS, l’OMC, l instances aéronautiques internationales (OACI), les institutions financières internationales (Banque mondiale, FMI) …
En l’absence d’Etat « officiel » reconnu, les pays ne peuvent pas installer une ambassade et échanger des ambassadeurs. En langage diplomatique on ne parle pas de représentation de Taïwan (le pays), mais de Taipei (la capitale).
La France (comme environ 70 autres pays) a opté pour ce mode de représentation :
-Un bureau de représentation français à Taipei ;
-Un bureau de représentation de « Taipei » à Paris.
(Un autre bureau s’est ouvert à Aix-en-Provence le 15 décembre 2020)
La plupart des autres pays à régime parlementaire ont fait de même.En ce qui concerne les parlements, la terminologie diffère également : on mentionne des « groupes d’amitié » pour des Etats souverains, et des « groupes d’études et d’échanges » pour les autres entités.
S’agissant de la diplomatie parlementaire, le Sénat américain a élaboré une philosophie diplomatique qui donne une légitimité directe à sa représentation qui n’est pas soumise à l’aval du Président des Etats-Unis. Le Sénat et leCongrès américainsont un rôle plus directif que les parlements européens dans les choix de politique étrangère (cf. visite de Mme Pelosi à Taïwan en 2022).
Notons que le parlement taiwanais ne possède qu’une chambre, le « Yuan législatif ».
Pour la France il n’y a pas de mandat explicite du gouvernement et du chef de l’État. Toutefois nos pratiques effectives sont imprégnées d’une familiarité diplomatique qui s’inscrit dans celles de notre régime présidentiel et l’exercice qui en est fait dans la tradition de notre constitution. Ces subtilités de langage permettent de maintenir des relations bilatérales. La France n’envoie pas de ministre en fonction en visite officielle à Taïwan (le Royaume-Uni n’envoie que des ministres non-régaliens).
Le gouvernement français accepte de tenir de visites informelles et depuis 2/3 ans, quand des officiels taiwanais viennent en France, ils sont reçus par leurs homologues. Il n’y a cependant ni communiqués de presse, ni photos officielles.
Mais quand une mission parlementaire française se rend à Taïwan, avant le départ des contacts sont pris avec le Directeur d’Asie au MEAE[1] et différentes responsables politiques des principaux ministères.
Les échanges économiques et les investissements restent déséquilibrés au détriment de la France ;les investissements français sont 15 fois supérieurs à ceux de Taiwan en France. Mais la société ProLogium est en cours de discussion pour l’installation à Dunkerque d’un site de production de batteries pour véhicules électriques sur un terrain de 750 ha.
Quelques questions ont fait suite à l’exposé de Monsieur Alain Richard, l’amenant à donner quelques informations complémentaires :
Taiwan a été gouverné par le Kuomintang pendant 40 ans sous un régime de dictature, mais des forces libérales et démocratiques se sont développées depuis 2008.
En 1996 eurent lieu les premières élections présidentielles (mandat de 4 ans renouvelable une fois). Cela a déclenché une première attaque d’artillerie de la Chine populaire, renouvelée lors de la 2e élection alors que le Parti Démocrate Progressiste (DPP) se prononçait alors pour l’indépendance.
En 2000 le DPP remporte les élections avec Chen Shui-bian sans réaction de Pékin. Puis le KTM revient au pouvoir et signe avec la Chine continentale des accords techniques ; Pékin se montre relativement conciliant. Le tourisme et la coopération technique se développent alors.
En 2016, Tsai Ing-wen du DPP est élue à la présidentielle et obtient la majorité parlementaire alors que Xi Jinping est au pouvoir. Les relations se durcissent car Pékin y voit une dérive par rapport au statu quo de 1992.
Aujourd’hui l’attachement à la démocratie est réel, même si des liens nombreux ont été tissés avec Pékin, notamment sur le plan économique.
Quel avenir ? Attaquer Taiwan pour Pékin suppose entrer en conflit avec les USA. En droit international, Taiwan est en rébellion / sécession par rapport à la Chine continentale. Mais s’il y a conflit, le maintien du statu quo sera impossible, et une évolution seraimposée soit vers l’indépendance, soit vers le rattachement à Pékin.
Vous pouvez également lire le livre ‘The invention of China’ de Bill Hayton paru en Février dernier.
Notes prises lors de la conférence d’Alain Richard (31 mai 30203)
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Note : Depuis sa création en 1982, le groupe d’études et d’échanges France-Taïwan a envoyé une visite de sénateurs français environ tous les deux ans. Ces missions ont été plus nombreuses depuis 2021 : octobre 2021, septembre 2022, avril 2023. L’Assemblée nationale mène, de son côté, le même type d’activités. Notons aussi que pour les Etats-Unis, sous la seule présidence Biden (c’est-à-dire depuis 2020), 8 visites de sénateurs ont été conduites à Taïwan.
[1] L’actuel directeur d’Asie au quai d’Orsay a été chef de la représentation française à Taïpei
[1]Notes prises lors de la conférence prononcée le 31 mai 2023 par Alain Richard, Ancien ministre de la Défense, alors Sénateur du Val d’Oise, Vice-Président du Sénat et Président du groupe d’échanges Sénat -Taïwan.
Il est évident que si l’OTAN décidait d’intervenir militairement en Indo-Pacifique, la France, qui est une puissance, faible sans doute, mais puissance tout de même dans cette immense région océane, pourrait se voir automatiquement drainée dans l’accomplissement des desseins américains face à la Chine.
Si l’on peut approuver la politique de la France en Indo-Pacifique, seule ou en collaboration avec l’un ou l’autre de ses partenaires ou alliés selon les cas, si l’on peut approuver la politique française de défense du droit de la mer en Extrême-Orient parce qu’il s’agit d’une question de droit international qui y est bafoué par Pékin, il n’y a aucune raison que notre pays puisse risquer de se trouver entraîné, aux côtés des Américains, dans un conflit sino-taïwanais.
Provoqué, par exemple, par une déclaration unilatérale taïwanaise d’indépendance prononcée sous l’effet d’une puissante stratégie américaine d’influence menée sous prétexte de défendre la république de Chine contre la menace de la RPC, ce conflit commencerait en premier lieu à ne répondre en aucun cas aux vrais intérêts taïwanais, mais viserait d’abord et avant tout à amoindrir considérablement et durablement la puissance chinoise dans la région.
La France aujourd’hui assume soit seule, soit en collaboration avec d’autres États partenaires, ses responsabilités opérationnelles en Indo-Pacifique, comme ce l’est dans la lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden ou dans celle de la pêche illégale en Pacifique sud. Elle est déjà impliquée sur ce théâtre en termes de concertations et d’échanges aux côtés de ses alliés de l’OTAN.
Il lui appartient toutefois de veiller à conserver sa pleine autonomie de décision quant à ses choix d’engagements sur zone. Il lui appartient en final de ne pas se laisser déborder et être entraînée dans des activités opérationnelles qui ne correspondent ni à ses intérêts, ni à la préservation de la paix mondiale.
Général(2S) Daniel Schaeffer , membre ASAF (*)
(*) Pour en savoir plus : https://www.asie21.com/2023/02/13/taiwan-washington-réussira-t-il-a-pousser-pekin-a-la-faute/
NB : lettre d’avril 2023
Cette lettre peut être diffusée sans réserve vers les autorités et élus de vos connaissances, les médias et relais d’opinion, dans votre entourage familial, professionnel et associatif.
Avec l’aimable autorisation de GeopoWeb qui a publié cet article le 18 avril 2023
Thierry Garcin (1) prend le parti de laisser de côté la dimension « liens spécifiques entre les nations » pour s’interroger sur la consistance géographique et stratégique de la zone indopacifique, en s’appuyant sur la permanence des antagonismes et des retournements de situation. Il s’agit d’un construit assez hétéroclite avec des pays parfois historiquement éloignés, plutôt une stratégie qu’un territoire basé sur une vision respectueuse du Droit international. Une zone immense dans laquelle opèrent des logiques de double encerclement par deux puissances majeures. La Chine mobilise avec succès les nouvelles Routes de la soie (terrestres et maritimes). On lira avec un intérêt particulier les doctrines de la France, de l’Inde et … l’absence de l’UE.
L’équilibrisme géographique et géopolitique des alliances produit un cocktail de risques majeurs. Un espace de toutes les incertitudes et donc de tous les risques : besoin américain d’élargir de facto l’OTAN aux enjeux asiatiques, menaces sur Taïwan, mais diminution de l’hostilité Japon/Corée du Sud, multi-alignement inachevé de l’Inde, retour éventuel des républicains américains au pouvoir etc…
A la fin du texte, sans la citer, l’auteur évoque ce qu’il est devenu courant d’appeler de ses vœux : une autonomie stratégique européenne (2). On peut bien sûr discuter de l’éventuelle neutralité et découplage des théâtres de conflits (Ukraine, zone Indopacifique). Sans trop y croire, car c’est dans l’Indopacifique que bat le cœur de la mondialisation contemporaine (cf semi-conducteurs) avec Taïwan comme ligne de fracture entre les deux superpuissances, dont dépendra l’influence (au moins régionale de demain), mais c’est un autre sujet pour un autre article…
L’INDO-PACIFIQUE : UN CONCEPT FORT DISCUTABLE !
Depuis quelques années, toute une littérature atlantiste a pris comme fait accompli la notion d’Indo-Pacifique. Or, en profitant du recul que proposent les cinq dernières années, cela mérite examen. Car, sans l’antagonisme américano-chinois et sans l’instrumentalisation systématique de la menace chinoise, cette approche géopolitique globalisante n’a guère de sens.
En effet, l’Indo-Pacifique frappe à vue d’œil par son gigantisme (même la Mongolie est scrupuleusement insérée sur les cartes), qui permet de rassembler politiquement et économiquement des alliés des États-Unis, au prix d’audacieux amalgames stratégiques. On peut dès lors se demander s’il ne s’agit pas d’une « construction de l’esprit », justifiée pour Washington par l’évolution inquiétante de trois sous-zones, sources éventuelles d’affrontements : la Corée du Nord, Taïwan (le président Joe Biden s’est engagé à défendre l’île) et la mer de Chine méridionale (voir ci-dessous figures 1 et 2). Et doit-on, comme s’y emploie constamment le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, considérer la Russie et la Chine comme une menace unique ? On voit donc combien la relation de Washington avec ses alliés -d’autant plus complexe- est au centre de cette nouvelle problématique.
Si, par souci de simplification, on ne traitera pas ici de dossiers spécifiques comme les liens entre les deux rives du Pacifique, les ventes d’armes, les catastrophes naturelles, l’émigration et la piraterie maritime, on doit néanmoins s’interroger sur la pertinence de la notion d’Indo-Pacifique, vite acceptée comme une doctrine, et sur les conséquences pour quelques acteurs clés : la Chine, les pays d’Asie du Sud-Est, l’Inde et la France (puissance riveraine). Bref, l’Indo-Pacifique existe-t-il vraiment ?
Une notion particulièrement floue
La notion d’Indo-Pacifique n’est pas nouvelle.
Déjà, le QUAD (Quadrilateral Security Dialogue), ébauché en 2007 et consolidant le « pivot vers l’Asie » annoncé en 2011 par la secrétaire d’État Hillary Clinton, réunissait l’Australie, les États-Unis, l’Inde et le Japon. Ce QUAD, remis sur le chantier en 2017, accompagne désormais le programme américain d’Indo-Pacifique. À l’époque, le QUAD était clairement destiné à contrer l’expansion maritime chinoise dans les deux océans, Pacifique et Indien. Désormais, il lutte également contre les routes maritimes de la soie (le programme des Routes terrestres et maritimes de la soie a été lancé en 2013 par le président chinois, Xi Jinping). Lors du sommet du QUAD du 24 septembre 2021, le président américain Joe Biden déclara : « L’avenir de chacune de notre quatre nations -et, de fait, du monde entier- dépend d’un Indo-Pacifique libre et ouvert, durable et prospère, dans les futures décennies ». En effet, le souci premier des États-Unis a toujours été d’assurer la totale liberté de navigation sur les mers, et cela n’est pas près de changer. La genèse de l’Indo-Pacifique doit également mentionner la demande insistante de l’ancien et très nationaliste Premier ministre japonais Shinzo Abe, pour un « Indo-Pacifique libre et ouvert » (2016-2017). Tokyo est en pleine remilitarisation, a profondément modifié sa doctrine stratégique et veut devenir « un pays normal » (inquiétudes justifiées de Pékin et de Séoul).
Sur un plan plus historique, cet endiguement antichinois (containment) est proche parent de l’endiguement antisoviétique des années 40 et 50, utilement prôné par le très éclairé diplomate américain George Kennan, qui préférait endiguer l’URSS plutôt que de la repousser (roll back). Il rappelle aussi les vastes alliances hétérogènes mises en place par Washington au début des rapports Est-Ouest : pacte de Rio (1947) ; ANZUS (1951), réunissant Australie, États-Unis et Nouvelle-Zélande ; pacte de Bagdad (1955), accueillant l’Iran, l’Irak, le Pakistan, le Royaume-Uni et la Turquie, plus les États-Unis à partir de 1958 ; le pacte de Manille et l’OTASE, etc. L’AUKUS de 2021 (« Australia-United Kingdom-United States ») fleure bon cette « pactomania » américaine. On n’oubliera pas que les États-Unis entretiennent également de longue date un réseau d’espionnage remarquable (« Five Eyes », UKUSA, Echelon…), s’appuyant sur l’Asie-Pacifique.
La doctrine de l’Indo-Pacifique souhaite officiellement rassembler plus de la moitié de la population mondiale et 58 % des jeunes, 60 % du PIB mondial, 2/3 de la croissance mondiale, cela sur 65 % des océans et 25 % des terres. Y renforcer le rôle des États-Unis est la première des priorités affichées, en profitant d’alliances, de partenariats et d’institutions régionales, impliquant l’Union européenne, expressément convoquée. De fait, on peut se demander si le volet économique n’est pas l’habillage du volet sécuritaire.
On comprend mieux pourquoi, depuis quelques années, Washington mondialise littéralement ses intérêts en Asie via la doctrine de l’Indo-Pacifique : « La région est un facteur clé de l’économie mondiale, inclut les voies maritimes mondiales les plus empruntées et neuf des dix plus grands ports. L’Asie-Pacifique est aussi une région hautement militarisée avec sept des dix plus grandes armées et les cinq États nucléaires officiels. Compte tenu de ces données, la complexité stratégique qu’affronte cette région est unique » (Département de la défense américain, mars 2022). En 2018, les États-Unis avaient rebaptisé le Commandement « Pacifique » en Commandement « Indo-Pacifique ». C’est donc l’antagonisme américano-chinois qui explique l’enrôlement des acteurs secondaires régionaux.
En effet, la zone concernée s’étend sur une vaste partie de la planète, couvrant les deux océans (Pacifique, 165 millions de km² ; Indien, 70 millions), où les distances transversales sont hors du commun : 8 800 km entre Los Angeles et Tokyo, 14 120 km entre Los Angeles et Singapour, 7 600 km entre Hawaï et Brisbane (Australie), etc. Sans la volonté des États-Unis, cet espace sans centre ni périphérie serait totalement incompréhensible, aussi bien en termes de civilisations que de cultures (langues) et de sociétés (religions et croyances religieuses), de superficies et de caractéristiques démographiques, sans parler des régimes politiques et des puissances économiques. Car, le plus frappant reste encore l’aspect composite et hydride de ce grand concours de peuples. Seul, dans cette affaire, l’antagonisme américano-chinois se veut structurant. D’où la plus grande prudence méthodologique à considérer cet ensemble baroque comme un tout.
Au regard des évolutions depuis la seconde guerre mondiale, deux constats méritent d’être rappelés : la permanence des antagonismes et 1a fréquence des retournements de situation.
D’une part, les antagonismes clés sont fondateurs. Témoins : la division des deux Corée ; l’hostilité historique Japon-Corée (il y a une belle thèse de doctorat à soutenir sur ce sujet) ; la guerre française d’Indochine ; les confrontations Inde-Chine et Inde-Pakistan, Vietnam-Chine et Vietnam-Cambodge ; la rivalité URSS-Chine ; la guerre américaine du Vietnam ; la volonté chinoise affichée de recouvrer Taïwan.
D’autre part, et à l’inverse, les retournements de situation sont légion. Témoins : l’ascension économique spectaculaire du Japon après la capitulation de 1945 (2e PIB mondial en 1968, 57 % du PIB américain en 1989) ; l’essor économique remarquable dans les années 50 et 60 des « quatre dragons » (Hong Kong, Taïwan, Corée du Sud, Singapour, tous dépourvus de matières premières) ; la réconciliation sino-soviétique de 1989 ; l’indépendance de Timor-Est en 2002 ; les actuelles bonnes relations États-Unis-Vietnam ; la fructueuse coopération économique Chine-Taïwan de 2008 à 2016.
Ces deux constantes historiques devraient inciter à la modestie géopolitique, interdisant toute prévision avantageuse et toute projection rassurante sur la stabilité en Asie-Pacifique. D’autant plus que c’est la Chine qui, depuis longtemps, écrit la partition.
La saisissante expansion chinoise
Considérée par les Américains comme un rival économique redoutable et, à terme, comme une menace stratégique, la Chine a considérablement élargi son influence dans la région. Déjà, elle avait multiplié par onze son PIB entre 2001 et 2021, fait croître ses échanges internationaux de 9 % à 13 % dans la même période, multiplié par 7,5 ses exportations de 2001 à 2019. Sa marine militaire a été remarquablement modernisée et étoffée, tandis qu’elle pratique avec succès la projection de la force (Djibouti, Méditerranée…). Depuis 2013, ses Routes de la soie, terrestres et maritimes, visent à gagner le cœur de l’Europe, à encercler l’Inde, à s’appuyer sur la Corne de l’Afrique.
Accusée par les États-Unis de vouloir imposer de nouvelles normes internationales et de créer des organismes concurrents de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (voir ci-dessous figure 3), Pékin a surtout tiré bénéfice du brutal retrait américain du Transpacific Partnership (TPP), décision impulsive, incongrue et contreproductive du nouveau président Trump en 2017.
En effet, la riposte chinoise ne s’est pas fait attendre. Elle a été d’autant plus cinglante que la Chine a recruté chez les alliés des États-Unis, lançant en 2020 le Partenariat économique régional global (Regional Comprehensive Economic Partnership, RECEP), exclusivement asiatique cette fois et parvenant à accueillir à la même table le Japon et la Corée du Sud, véritable camouflet pour Washington (voir ci-dessous figure 4). Parallèlement, on n’oubliera pas que 90 % des dix plus grands ports mondiaux sont asiatiques, 70 % étant… chinois. En outre, même s’il s’agit d’une progression plus lente, la Chine parvient à séduire des micro-États en Océanie : partenariat stratégique avec le Vanuatu, accord de sécurité avec les îles Salomon (2022), le ministre chinois des affaires étrangères ayant proposé sans succès un « Plan d’action quinquennal Chine-pays du Pacifique pour le développement commun », au cours d’une visite de dix jours en 2022 dans huit pays de la région. Bien sûr, l’idée est aussi de limiter l’influence australienne (à terme, l’influence française) et de constituer peu à peu un front antitaïwanais dans le Pacifique Sud. De fait, quatre des quatorze États qui reconnaissent Taïwan s’y trouvent (Îles Marshall, Nauru, Palaos, Tuvalu).
La mosaïque baroque de l’Asie du Sud-Est
À la fois continentale, péninsulaire et archipélagique (18 000 îles en Indonésie, 7 000 aux Philippines), cette sous-région se caractérise principalement par son manque total d’unité, malgré la création en 1967 de l’Association des pays d’Asie du Sud-Est (Association of Southeast Asian Nations, ASEAN), qui s’est elle-même ramifiée en entités multiples (« le plat de spaghettis », disent les Asiatiques). D’ailleurs, plus on célèbre la supposée « centralité » de l’ASEAN, plus l’organisation se disperse, ce qui fait généralement le bonheur des diplomates, qui aiment signer des documents. En fait, priment la diversité des cultures, le legs des colonisations européennes (et de l’américaine pour les Philippines), le développement économique incroyablement différencié (voir ci-dessous figure 5). Ainsi, Singapour a-t-il le même PIB que les Philippines pour 5% de sa population ; la Birmanie a-t-elle 5,4 % du PIB de l’Indonésie pour 20 % de sa population ; Bruneï représente-t-il les trois quarts du PIB laotien, pour une population 16 fois moins nombreuse, etc. Enfin, on remarquera que l’ASEAN est la seule organisation économique digne de ce nom, dans cette si vaste région ; c’est peu. De surcroît, tout différend sérieux est aussitôt mis sous le boisseau. Ce n’est pas ainsi qu’on élève un rempart antichinois.
Ce sont à la fois le rôle stratégique du détroit de Malacca pour le transport de marchandises (30 % du total mondial, 83 000 bateaux en 2022) et l’importance de la présence militaire américaine qui illustrent le caractère névralgique de ce « point chaud » du globe. En 2020, le Secrétaire à la marine américain avait recommandé la recréation d’une 1ère Flotte, destinée à décharger la 7e flotte du Pacifique occidental et dont le QG eût été à Singapour. C’est-à-dire à la sortie du détroit de Malacca (76 % des importations chinoises de pétrole y ont transité en 2019), aux abords de la mer de Chine méridionale (où Pékin a illégalement installé des forces militaires sur des îles consolidées et agrandies) et non loin du détroit de Taïwan, trois zones où un affrontement militaire entre États-Unis et Chine pourrait un jour éclater. On rappelle l’ampleur du dispositif militaire américain en Indo-Pacifique, des forces stationnées au Japon, en Corée du Sud, aux Philippines et ailleurs, des points d’appui situées dans l’océan Pacifique (Guam…) et dans l’océan Indien (Diego Garcia ) . Avant longtemps, la Chine -qui en rêve- ne pourra y remplacer les États-Unis.
Quant à la guerre d’Ukraine, deux pays de l’ASEAN (Laos, Vietnam) ont pratiqué le même vote lors de quatre résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU condamnant Moscou, en 2022 et 2023 : abstention à trois reprises, vote contre à une reprise. Et pour la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’homme, six des dix pays se sont abstenus (Bruneï, Cambodge, Indonésie, Malaisie, Singapour, Thaïlande), le Laos et le Vietnam votant contre. Huit sur dix pays n’ont donc pas voté pour cette suspension, ce qui donne à réfléchir.
Le grand écart indien
Dans l’océan qui porte son nom, l’Inde -dont le peuple est aussi peu hauturier que le peuple chinois- a historiquement été tournée vers sa partie occidentale. L’Inde a donc un tropisme plus « afro- » qu’asiatique. Elle y profite notamment de sa diaspora (Afrique du Sud, Kenya, Madagascar, Maurice, Ouganda, Seychelles, Tanzanie…), ayant délaissé son versant oriental, bien qu’elle y ait des possessions insulaires (Andaman et Nicobar, certes faiblement peuplées mais où elle commence à investir militairement) et qu’elle y dispose pourtant de diasporas importantes (Birmanie, Malaisie…). En fait, l’existence de la barrière himalayenne, ses relations conflictuelles avec le voisinage (Pakistan, Chine) et son besoin récent de promouvoir la stabilité de l’Afghanistan ont longtemps rendu prioritaires ses intérêts continentaux. Ce n’est que depuis trois décennies qu’elle a multiplié les accords et coopérations complexes avec son Est : ASEAN, mais aussi Australie, Japon, Singapour… Avec Tokyo, elle a même annoncé en 2016 la création des « Routes de la liberté » (Asia Africa Growth Corridor, AAGC), projet apparemment en veilleuse mais destiné à contrer les Routes de la soie chinoises et à desserrer le « collier de perles » chinois qui l’entoure.
Cela n’a pas empêché l’Inde de consolider et de développer simultanément des coopérations souvent contradictoires avec le Moyen-Orient (États du Golfe), avec Israël et avec l’Iran (port de Chabahar, idéalement situé à l’entrée du Golfe).
Il est donc bien trop tôt pour évaluer la politique maritime indienne dans l’océan Indien, d’autant plus que la doctrine actuelle du « multi-alignement » n’en est qu’à ses débuts (on pourrait plutôt parler d’une « pluri-diversification »). Il s’agit, explique le ministre des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar, « d’engager l’Amérique, de gérer la Chine, de cultiver l’Europe, de rassurer la Russie, de faire participer le Japon, d’attirer les voisins ». On lui souhaite bonne chance… Le « multi-alignement » a quand même ses limites : on comprend que, tentée d’y participer, l’Inde ait finalement décidé de ne pas intégrer le RECEP proposé par la Chine (voir supra figure 4). De surcroît, le rôle de New Delhi reste ambigu dans la guerre d’Ukraine survenue en 2022. Dans toutes les hypothèses, donc, ses relations avec Moscou (son premier partenaire en matière de défense) et Washington (son premier partenaire économique) resteront centrales.
Le cas particulier de la France
La France, qui a adopté sans autre forme de procès la doctrine américaine de l’Indo-Pacifique et sans un recul géopolitique exagéré, représente un cas particulier.
En effet, c’est l’unique pays européen qui possède des territoires dans la région (7 départements, collectivités et territoires), lesquels accueillent 1 650 000 personnes plus 200 000 expatriés. 93 % des Zones économiques exclusives françaises (ZEE) s’y trouvent (60 % dans le Pacifique). Le poste d’ambassadeur pour l’Indo-Pacifique a été créé en 2020. Un riche réseau de centres de recherche l’irrigue (AFD, CNRS, IFREMER, Institut Pasteur, IRD …). Des militaires sont présents comme forces de souveraineté à Mayotte et à la Réunion (océan Indien), en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française (océan Pacifique) et deux bases françaises sont situées à Djibouti (océan Indien) et aux Émirats arabes unis (ÉAU) (Golfe). En tout, en Indo-Pacifique, 7 000 personnels sous uniforme. L’Indo-Pacifique, dans sa vastitude, attire un tiers des exportations nationales hors Union européenne (UE) et représente 40 % des importations hors UE. Atout France et Business France y sont actifs. La stratégie française repose sur quatre piliers : sécurité et défense ; économie, connectivité, recherche, innovation ; multilatéralisme et règle de droit ; changement climatique, biodiversité, gestion durable des océans.
Or, de telles ambitions sont démesurées, malgré une présence diplomatique significative et compte non tenu des ventes d’armes françaises dans la région (ainsi, des 194 livraisons et commandes de Rafale à ce jour, aux Émirats arabes unis (ÉAU), à l’Inde, à l’Indonésie, au Qatar). Trois raisons à cela. D’une part, faute de continuité dans la mise en œuvre de ces objectifs (il s’agit plutôt de recherches de participation dans les multiples organisations sous-régionales, dont les interactions sont peu convaincantes) ; d’autre part, parce que les moyens financiers manquent cruellement, sous réserve d’une dotation moins lilliputienne à nos outre-mer lors de l’application de la Loi de programmation militaire 2024-2030 (413 milliards d’euros annoncés) ; enfin, parce que les équipements militaires (avions, hélicoptères, navires) sont particulièrement limités, anciens et souvent indisponibles, sans parler de la projection de la force, illusoire. Cette vision apparemment brouillonne (présence dans de nombreux partenariats) et maladroitement rassurante a d’ailleurs été fermement critiquée en 2023 dans un rapport du Sénat. De surcroît, on n’oubliera pas que la France gère également les Terres australes (océan Indien) et antarctiques (océan Pacifique) françaises (TAAF). Qui trop embrasse… À cet égard, on comprend mal pourquoi la France a proposé en 2016 de coordonner dans la zone les bâtiments militaires européens, ce qui ne serait d’ailleurs pas une tâche bien compliquée, compte tenu du peu de bateaux concernés, y compris britanniques…Toutes ces contraintes sont donc durables. Si l’on va plus loin en arrière, on peut consulter avec profit l’historien Pierre Grosser, qui rappelle l’ancienneté et la complexité des relations entre la France et l’Asie (notamment, l’Indochine).
Et l’Union européenne, qui croit avoir mis toutes les chances de son côté en traitant la Chine de « rival systémique » (l’UE est le premier partenaire économique de Pékin…) et qui ne se soucie guère de l’Indo-Pacifique, ne sera pas au rendez-vous. Elle l’était déjà si peu au Sahel ! On rappellera que les 27 ne se sont toujours pas entendus sur leurs priorités… en Méditerranée. A fortiori on ne saurait imaginer quelque vision « indo-pacifique » que ce soit, issue d’une Europe à 35 ou à 40… Dans cette région géante sans cohérence propre, l’UE est surtout préoccupée par la sécurité de ses approvisionnements et cultive une approche sociétale des enjeux : prospérité durable et inclusive, transition écologique, gouvernance des océans, gouvernance et partenariats numériques, connectivité numérique, sécurité humaine, et quand même… sécurité et défense. Enfin, pour de bonnes raisons, l’Allemagne (exportations) et les Pays-Bas (investissements) sont rétifs à toute instrumentalisation américaine de la menace chinoise.
Pourtant, l’idée officielle française sous-jacente, empreinte de naïveté ou d’orgueil, serait qu’en cas de crise diplomatique ou de conflit armé, on pourrait faire entendre auprès des États-Unis, maître des lieux, une petite musique différente… Il est douteux que nous en ayons la volonté, il est assuré que nous n’en avons pas les moyens. Les expressions pompeuses ou creuses utilisées à Paris (la France « puissance d’initiatives », « puissance d’équilibres », « puissance stabilisatrice », « force d’entraînement de l’Union européenne », « l’Indo-Pacifique multipolaire et stable »…) manquent de modestie et surtout de réalisme. Le besoin de devenir une « nation cadre » ne devrait pas résister aux pressions américaines du moment. Car, ici, nous sommes dans une anglosphère. La France n’a pas de véritables alliés dans la région. La brutale rupture par l’Australie du contrat de sous-marins français à propulsion classique (2021), l’engagement australien d’achat de sous-marins américains à propulsion nucléaire et la création simultanée de l’alliance AUKUS (Australia-United Kingdom-United States) en sont une humiliante illustration, amplifiée par l’absence de solidarité européenne. La célébration appliquée du multilatéralisme et le transit de bâtiments militaires français par la mer de Chine méridionale ou le détroit de Taïwan (2021, 2022), remarquables navigations, n’y changeront rien. Par-delà le foisonnement actuel d’initiatives de tous genres (forums, dialogues, etc.), la France aura intérêt à y entretenir des partenariats ad hoc, en fonction des intérêts du moment. Le risque sera dans la dispersion.
Conclusion
L’Indo-Pacifique est un concept stratégique englobant, surdimensionné et d’autant plus vague. Sa pertinence ne se conçoit que dans le cadre d’un endiguement américain de la Chine. Bref, l’Indo-Pacifique se présente plus comme une volonté que comme un espace homogène, encore moins une organisation intergouvernementale ou un club de démocraties.
Or, ni les pays européens pris séparément ni l’Union européenne (qui n’en a cure) n’ont intérêt à se faire enrôler dans cette croisade. L’extrême diversité des acteurs ; les antagonismes ancestraux ; les logiques de puissance contrariées ; la permanence des rivalités de voisinage ; la rareté, les faiblesses et la complexité des organisations économiques régionales hormis l’ASEAN ; le besoin américain d’élargir de facto l’OTAN aux enjeux asiatiques (« L’influence croissante et les politiques internationales de la Chine peuvent présenter des défis, auxquels nous devons répondre ensemble, en tant qu’Alliance » ), etc., amèneront vite les principaux pays de cet immense ensemble artificiel à privilégier des définitions différentes de l’Indo-Pacifique. Il faut donc s’attendre à une régionalisation et à une subdivision géographique des priorités de chacun, lequel cultivera des relations spécifiques avec les États-Unis (certains seront des supplétifs consentants) et avec la Chine (d’autres seront des otages économiques). L’étude régionale et sous-régionale deviendra sans doute une nécessité, malgré le besoin de suprématie américaine.
Dans tous les cas, à court terme, que restera-t-il de l’Indo-Pacifique si les Républicains reviennent au pouvoir en janvier 2025 aux États-Unis ? A moyen terme, la puissance des États-Unis sera-t-elle encore amoindrie ? En tous cas, à long terme, une certitude : les Européens n’ont pas à faire les frais de l’antagonisme américano-chinois.
Thierry Garcin
NB : Thierry Garcin est également membre de l’Institut du Pacifique et nous permet à ce titre de publier son article déjà en ligne sur Geopoweb.fr
Le 1er mars, les 27 membres de l’UE doivent adopter une première liste de projets qui bénéficieront de l’initiative européenne « Global Gateway » (présentée le 1er décembre 2021par la Commission européenne pour mobiliser 300 milliards d’euros d’ici 2027 pour des projets d’infrastructures hors de l’UE, des Balkans occidentaux à l’Afrique du sud ou à l’Asie). Les difficultés ne sont pas encore toutes surmontées…. Et l’Inde, le Japon et les Etats-Unis ont aussi de projets concurrents aux « routes de la soie ».
Vo Van Thuong , seul candidat à l’élection présidentielle, est élu le 2 mars, par 487 voix sur 488 que compte l’Assemblée nationale, comme nouveau président du Vietnam, succédant à Nguyen Xuan Phuc. Celui-ci a démissionné en janvier dernier suite à une campagne visant la corruption et les pratiques malsaines et à l’origine d’une purge anticorruption. Celle-ci a entraîné le départ de nombre de hauts responsables. Si Vo n’a que 52 ans, son rôle reste moins important que celui du puissant secrétaire général du PCV, Nguyen Phu Trong, à qui il pourrait succéder.
La 8e conférence internationale de Panama sur « Notre Océan » du 2 au 4 mars s’est terminée sur un accord préfigurant un traité (au bout de 15 ans de négociations) relatif entre autres à de protection de la haute mer qui représente 60% de la surface des océans. Une fois ratifié par un nombre suffisant de pays, ce traité va permettre la création d’aires marines protégées appelées à jouer un rôle essentiel dans la préservation de la biodiversité et le renforcement de la résilience face aux effets du changement climatique. Espérons que les états n’attendront pas trop longtemps !
Le 3 mars, après 3 ans de procès avec 66 audiences, Kem Sokha a été condamné à 27 ans de réclusion pour « trahison » et collusion avec des pays étrangers. Le Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC) créé avec Sam Rainsy (en exil en France depuis 2015) a été dissout en 2017. Arrêté en septembre 2017, Kem Sokha a été privé de de tous ses droits civiques et assigné à résidence à son domicile et placé sous contrôle judiciaire. Il ne peut communiquer qu’avec quelques membres de sa famille. Le PSBC rassemblait 44,7% des sièges de l’Assemblée nationale avant les législatives de 2018. Mais le parti du peuple cambodgien de Hun Sen est de facto le parti unique. Soutenu par la Chine et utilisant les mêmes méthodes de traque des opposants, le régime est resté sourd aux critiques unanimes des chancelleries occidentales. Ce procès est qualifié par un de ses avocats comme « ni juste, ni équitable ». Alors que la plupart des opposants politiques ont été contraints à l’exil, les libertés civiles, d’information notamment, sont de plus en plus restreintes à 4 mois des prochaines élections législatives en juillet. Hun Sen, ancien Khmer rouge proche de Pol Pot et installé au pouvoir en 1985 par l’armée Vietnamienne qui a chassé les Khmers rouges en 1979, a développé un autoritarisme sans limite, envisageant de rester au pouvoir jusqu’en 2028 et ensuite d’y installer son fils hun Manet qui est déjà chef des armées.
Du 3 au 5 mars, Gérard Darmanin, Ministre de l’Intérieur et des Outre-mer est en Nouvelle Calédonie pour tenter de nouer des négociations sur le futur du territoire entre l’Etat et les deux entités locales, loyalistes et indépendantistes avant les élections provinciales de 2024. Un report de ces élections à une date ultérieure permettrait-il de trouver une solution satisfaisante pour tous sur le futur statut, alors que les accords de Matignon en 1988 et de Nouméa en 1998 ne semblent plus répondre aux besoins actuels. Ainsi après trois jours de visite en Nouvelle Calédonie, Gérard Darmanin, a annoncé l’invitation à Paris pour une dizaine de jours vers la mi-avril des mouvements indépendantistes (dont le FLNKS) et non-indépendantistes pour une réunion dans un format officiel afin d’examiner les sujets de « compromis nécessaires » pour définir l’avenir institutionnel du territoire.
Du 4 au 13 mars se déroule à Pékin la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire qui réunit ses 3000 membres. Le 10 mars, le mandat de 5 ans de Xi Jinping y sera renouvelé pour la 3ème fois, et entraînera un grand remaniement gouvernemental. La pérennité et le pouvoir incontesté de Xi Jinping semblent ainsi assurés après sa prolongation pour 5 ans à la tête du PC et de l’armée lors du Congrès du PC qui s’est tenu en octobre. Li Keqiang termine son mandat et annonce un objectif de 5% de croissance pour 2023. Il sera remplacé par Li Qiang, un fidèle de Xi Jinping. Par ailleurs, le budget militaire progresse de 7,2%.
A la suite des élections législatives des Etats fédérés de Micronésie le 7 mars, le président sortant David Panuelo n’a pas été réélu. Ce qui n’est pas le cas de Xi Jinping, réélu à l’unanimité( ?) pour un 3e mandat le 10 mars ! Mais ce grand jour est « entaché » par les accusations de David Panuelo à l’encontre de la Chine qu’il accuse de menaces directes à son encontre et à l’encontre de la Fédération risquant d’être vassalisée, de tentatives de corruption, ce que bien évidemment dénonce la RPC avec sa vigueur habituelle. Si petites soient-elles, les îles océaniennes sont le centre d’enjeux en raison de leur emplacement stratégique.
Xi Jinping désormais plus puissant que Mao : réélu le 10 mars au poste de chef de l’Etat pour un 3ème mandat de cinq ans, alors que en octobre dernier, lors du XXème congrès du PC, il a été réélu à la tête du PC et à la tête de la Commission centrale militaire. En octobre une modification législative a levé les limites de temps à ses différents mandats, ce qui avait suscité un « rappel à l’ordre » de Hu Jintao, suivi d’ailleurs immédiatement par sa mise à l’écart (vue sur toutes les télévisions du monde). Mao n’avait pas été chef de l’Etat pendant plus de 10 ans…. La plupart des réformes administratives et politiques mises en place par Deng Xiaoping (pour empêcher la mise sous tutelle de l’ensemble politique chinois par un seul individu) ont peu à peu été effacées pour concentrer tous les pouvoirs entre ses mains pour une durée illimitée. « On est passé d’un modèle de décision par consensus à un modèle où Xi décide seul de tout » (professeur Suisheng Zhao, université de Denver). Désormais rien ne peut arrêter XI dans son projet de « renaissance de la Chine … en effaçant les humiliations du passé, lorsque la Chine était bafouée par des forces extérieures». Centralisation et étatisation seront encore accentuées pour mener la Chine vers une autosuffisance alimentaire, technologique et militaire si … les défis économiques et démographiques sont surmontés…. Les nouveaux membres du Gouvernement sont des hommes de confiance, choisis pour leur loyauté à XI et à son idéologie, et non pour leurs mérites, après une mise à l’écart de ceux dont il ne serait pas sûr. Parmi eux le ministre de la Défense, le Général Li Shangfu (sanctionné par le gouvernement américain en 2018 pour des achats d’armes russes) ; et également le gouverneur de la Banque centrale Yi Gang et le Ministre des finances Liu Kun, bien qu’ils soient atteints par la limite d’âge….
Le 10 mars a été annoncée à Pékin la reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite par une déclaration tripartite, aboutissement des efforts de Xi Jinping entamés dès 2016.
Principales étapes :
L’objectif chinois est de développer les relations économiques avec les monarchies du Golfe et de les inclure dans l’ensemble du projet des Routes de la soie. De son côté, l’Arable saoudite y voit le moyen de se distancer un peu des Etats-Unis. L’Iran et l’Arabie saoudite espère par cette politique intégrer les BRICS (Brésil, Inde, Russie, Chine, Afrique du sud). Un élargissement de l’OCS pourrait aussi être étendu à l’Arabie saoudite après l’Iran ???
A l’issue de la 14ème Assemblée populaire nationale (APN) qui s’est terminée à Pékin le 10 mars, Xi Jinping, déjà réélu à la tête du PC lors du XXème Congrès en octobre dernier, a été réélu Président de la République pour 5 ans pour la 3ème fois. Le 12 mars, les membres du gouvernement ont ensuite été nommés. On notera en particulier :
On remarquera que d’une manière générale les rivaux possibles de Xi Jinping ont été envoyés en retraite, alors que ses fidèles ont bénéficié de dérogations éventuelles si nécessaire. Mais le souci de ne pas effrayer les marchés financiers a sans doute justifié le maintien des responsables majeurs du secteur économique.
Le Sommet de San Diego (Californie) du 13 mars rassemble Joe Biden, Rishi Sunak et Anthony Albanese. En dépit d’un réchauffement diplomatique franco-australien et franco-britannique, cette réunion est « héritage » du pacte AUKUS signé en septembre 2021 et conçu comme « une arme de dissuasion antichinoise ». C’est aussi le symbole d’une alliance régionale sous parrainage américain d’où la France est absente (pour l’instant du moins ???)
Le 14 mars, le Honduras annonce vouloir nouer des relations diplomatiques avec la Chine continentale au détriment de son allié taiwanais de longue date. Ce dernier a en effet refusé d’accéder à la demande hondurienne d’un versement (annuel ?) de 100 millions d’USD alors que la dette publique de ce petit état est de 20 milliards d’USD. Le 16 mars, Eduardo Reina, le ministre des Affaires étrangères, a justifié l’allégeance (?) de son pays à la Chine en raison de ce refus taiwanais. Cela pourrait-il avoir des répercussions sur ses relations avec son grand voisin du nord ?
Objet le 17 mars d’un mandat d’arrêt e la Cour Pénale Internationale pour sa responsabilité dans des crimes de guerre perpétrés en Ukraine depuis l’invasion russe – c’est-à-dire de déportation illégale de population (enfants) et de transfert illégal de population (enfants) des zones occupées d’Ukraine vers la Fédération de Russie – , mais paradant le 18 mars en Crimée pour en marquer le 9e anniversaire de son annexion, Vladimir Poutine s’apprête le 20 mars à recevoir son ami Xi Jinping. Celui-ci non plus (tout comme les USA) ne reconnait pas la CPI, mais a fait un plan en 12 points en faveur de la paix parmi lesquels figure le respect de la souveraineté territoriale. Mais quelle souveraineté : celle des frontières de 1991 avec la Crimée dans l’Ukraine ou celle de 2014 revue par V. Poutine ? Il convient d’être clair.
Des données nouvelles ont été publiées le 20 mars au sujet de l’origine de l’épidémie de Covid par une équipe internationale. Deux scenarii opposés s’affrontent toujours : celui d’une origine animale et celui d’un accident de laboratoire, mais le marché de Wuhan semble dans les deux cas jouer un rôle propagateur. Cependant les multiples freins imposés par la Chine (qui défend toujours l’idée d’un virus importé des Etats-Unis) empêchent les progrès d’enquêtes scientifiques internationales.
Le Premier ministre thaïlandais dissout le 20 mars l’Assemblée nationale permettant ainsi la tenue des élections législatives le 14 mai prochain. Trois partis sont d’ores et déjà en lice, celui de l’actuel Premier ministre Prayut Chan-O-Cha, le Pheu Thai sous la conduite de Paetongtarn Shinawatra, fille de Thaksin et nièce de Yingluck, et Move Forward qui avait lors du dernier scrutin attiré massivement les jeunes. Mais la constitution de 2017 rend particulièrement difficile un changement car le Premier ministre est à la fois nommé par les députés mais aussi par 250 sénateurs nommés par le pouvoir en place. Reste à obtenir un raz de marée électoral par les partis d’opposition ?
Le déplacement de Xi Jinping à Moscou du 21 au 23 mars n’a pas donné lieu à des annonces officielles particulières de contrat de ventes d’armes ou à des déclarations de soutien à la guerre en Ukraine. Mais il ne faudrait pas pour autant en déduire une quelconque « réserve » de Pékin vis-à-vis des positions russes…. Et se poser des questions sur le nucléaire.
La victoire le 25 mars des Travaillistes aux élections en Nouvelle Galles du sud assure désormais une majorité absolue aux Travaillistes, aux commandes de chaque Etat et territoire de l’Australie continentale, ainsi qu’au niveau fédéral. Seule exception : la Tasmanie reste dirigée par le parti libéral jusqu’en 2024. Mais la politique centriste menée du gouvernement devrait avoir pour objectif de ne pas s’aliéner ses opposants politiques.
L’ancien président de Taiwan, Ma Ying-jeou (de 2002 à 2006), représentant du Parti Kuomintang est en Chine continentale à partir du 27 mars pour une visite personnelle de 12 jours pour « rendre hommage à ses ancêtres », mais aussi pour des rencontres officielles avec le Bureau des Affaires Taïwanaises à l’occasion de la fête du Qing Ming le 5 avril.
Le Forum de Boao (Hainan) a été créé à l’initiative de la Chine en 2006 soutenue par une vingtaine de pays asiatiques et l’Australie. Cette année il porte du 28 au 31 mars sur « les défis économiques post-pandémie » et réunit notamment le Premier Ministre chinois, le Premier Ministre ivoirien, le Premier ministre espagnol, la directrice général du FMI Kristina Georgieva, l’ex-Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon.
La Présidente de Taïwan, Tsai Ing Wen, a entamé le 29 mars un voyage en Amérique centrale, à Belize et au Guatemala, deux des 13 Etats qui entretiennent encore des relations diplomatiques avec Taïwan et non Pékin alors que le Honduras a rompu le 26 mars dernier ses relations avec Taïwan au profit de Pékin, de même que le Costa Rica en 2017, le Salvador en 2018 et le Nicaragua en 2021. Ce déplacement suppose des « transits privés » aux Etats-Unis : à l’aller pour une escale à New York (29 et 30 mars pour recevoir un prix du Think tank Hudson Institute), et au retour en Californie (4 et 5 avril pour une possible rencontre avec Kevin Mac Carthy, Président de la Chambre des représentants).
Le chef du gouvernement espagnol (qui présidera l’Union européenne au 2ème semestre 2023) est à Pékin le 30 mars pour une visite de deux jours à l’occasion du 50ème anniversaire des relations commerciales bilatérales. Il est le premier des chefs de gouvernement européens à rencontrer Xi Jinping depuis sa proposition de « plan de paix en Ukraine ». P. Sanchez a clairement rappelé qui étaient « l’agresseur et l’agressé » et que les 1ers concernés par les conditions de dialogue pour la paix étaient les Ukrainiens. Il participera en outre au « Davos chinois », le Forum de Boao pour l’Asie (BFA) avec des entreprises espagnoles et es investisseurs chinois dans la perspective d’ un développement du tourisme chinois en Espagne après le COVID.
Après les Pays-Bas et les Etats-Unis, le Japon vient le 31 mars de limiter les exportations des équipements nécessaires à la fabrication des semi-conducteurs, réduisant ainsi les capacités chinoises de production des puces nécessaires aux calculateurs notamment pour l’Intelligence artificielle, et prévenir les détournements de la technologie à des fins militaires.
Après 21 mois de négociations, le Royaume-Uni a signé le 31 mars son adhésion au Partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP) qui regroupait 11 Etats d’Asie et d’Amérique depuis sa finalisation en 2008 (après le retrait des Etats-Unis sous Donald Trump de la 1ère version du traité, TPP, en 2017) : Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour, Vietnam. A l’occasion de la signature du Royaume-Uni, il a été indiqué qu’il serait « souhaitable » que les Etats-Unis rejoignent ce pacte que la Chine et Taïwan voudraient aussi intégrer. L’Europe (et la France) resteront-elles à la marge ????
Les îles océaniennes deviendraient-elles un point d’ancrage obligé face à l’appétit chinois ? Ainsi, les Etats-Unis après avoir rouvert en début d’année leur ambassade aux îles Salomon, envisage le 31 mars d’en ouvrir une prochainement au Vanuatu et éventuellement aux îles Kiribati et aux îles Tonga.