La Chine et l’Arctique
Pour compléter la conférence de Thierry Garcin, voici le lien vers un article publié le 7 septembre 2024 sur ce sujet sur le site de geoweb
https://www.geopoweb.fr/?LA–CHINE-ET-L-ARCTIQUE-Thierry-GARCIN
Pour compléter la conférence de Thierry Garcin, voici le lien vers un article publié le 7 septembre 2024 sur ce sujet sur le site de geoweb
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Avec l’aimable autorisation de GeopoWeb qui a publié cet article le 18 avril 2023
Thierry Garcin (1) prend le parti de laisser de côté la dimension « liens spécifiques entre les nations » pour s’interroger sur la consistance géographique et stratégique de la zone indopacifique, en s’appuyant sur la permanence des antagonismes et des retournements de situation. Il s’agit d’un construit assez hétéroclite avec des pays parfois historiquement éloignés, plutôt une stratégie qu’un territoire basé sur une vision respectueuse du Droit international. Une zone immense dans laquelle opèrent des logiques de double encerclement par deux puissances majeures. La Chine mobilise avec succès les nouvelles Routes de la soie (terrestres et maritimes). On lira avec un intérêt particulier les doctrines de la France, de l’Inde et … l’absence de l’UE.
L’équilibrisme géographique et géopolitique des alliances produit un cocktail de risques majeurs. Un espace de toutes les incertitudes et donc de tous les risques : besoin américain d’élargir de facto l’OTAN aux enjeux asiatiques, menaces sur Taïwan, mais diminution de l’hostilité Japon/Corée du Sud, multi-alignement inachevé de l’Inde, retour éventuel des républicains américains au pouvoir etc…
A la fin du texte, sans la citer, l’auteur évoque ce qu’il est devenu courant d’appeler de ses vœux : une autonomie stratégique européenne (2). On peut bien sûr discuter de l’éventuelle neutralité et découplage des théâtres de conflits (Ukraine, zone Indopacifique). Sans trop y croire, car c’est dans l’Indopacifique que bat le cœur de la mondialisation contemporaine (cf semi-conducteurs) avec Taïwan comme ligne de fracture entre les deux superpuissances, dont dépendra l’influence (au moins régionale de demain), mais c’est un autre sujet pour un autre article…
L’INDO-PACIFIQUE : UN CONCEPT FORT DISCUTABLE !
Depuis quelques années, toute une littérature atlantiste a pris comme fait accompli la notion d’Indo-Pacifique. Or, en profitant du recul que proposent les cinq dernières années, cela mérite examen. Car, sans l’antagonisme américano-chinois et sans l’instrumentalisation systématique de la menace chinoise, cette approche géopolitique globalisante n’a guère de sens.
En effet, l’Indo-Pacifique frappe à vue d’œil par son gigantisme (même la Mongolie est scrupuleusement insérée sur les cartes), qui permet de rassembler politiquement et économiquement des alliés des États-Unis, au prix d’audacieux amalgames stratégiques. On peut dès lors se demander s’il ne s’agit pas d’une « construction de l’esprit », justifiée pour Washington par l’évolution inquiétante de trois sous-zones, sources éventuelles d’affrontements : la Corée du Nord, Taïwan (le président Joe Biden s’est engagé à défendre l’île) et la mer de Chine méridionale (voir ci-dessous figures 1 et 2). Et doit-on, comme s’y emploie constamment le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, considérer la Russie et la Chine comme une menace unique ? On voit donc combien la relation de Washington avec ses alliés -d’autant plus complexe- est au centre de cette nouvelle problématique.
Si, par souci de simplification, on ne traitera pas ici de dossiers spécifiques comme les liens entre les deux rives du Pacifique, les ventes d’armes, les catastrophes naturelles, l’émigration et la piraterie maritime, on doit néanmoins s’interroger sur la pertinence de la notion d’Indo-Pacifique, vite acceptée comme une doctrine, et sur les conséquences pour quelques acteurs clés : la Chine, les pays d’Asie du Sud-Est, l’Inde et la France (puissance riveraine). Bref, l’Indo-Pacifique existe-t-il vraiment ?
Une notion particulièrement floue
La notion d’Indo-Pacifique n’est pas nouvelle.
Déjà, le QUAD (Quadrilateral Security Dialogue), ébauché en 2007 et consolidant le « pivot vers l’Asie » annoncé en 2011 par la secrétaire d’État Hillary Clinton, réunissait l’Australie, les États-Unis, l’Inde et le Japon. Ce QUAD, remis sur le chantier en 2017, accompagne désormais le programme américain d’Indo-Pacifique. À l’époque, le QUAD était clairement destiné à contrer l’expansion maritime chinoise dans les deux océans, Pacifique et Indien. Désormais, il lutte également contre les routes maritimes de la soie (le programme des Routes terrestres et maritimes de la soie a été lancé en 2013 par le président chinois, Xi Jinping). Lors du sommet du QUAD du 24 septembre 2021, le président américain Joe Biden déclara : « L’avenir de chacune de notre quatre nations -et, de fait, du monde entier- dépend d’un Indo-Pacifique libre et ouvert, durable et prospère, dans les futures décennies ». En effet, le souci premier des États-Unis a toujours été d’assurer la totale liberté de navigation sur les mers, et cela n’est pas près de changer. La genèse de l’Indo-Pacifique doit également mentionner la demande insistante de l’ancien et très nationaliste Premier ministre japonais Shinzo Abe, pour un « Indo-Pacifique libre et ouvert » (2016-2017). Tokyo est en pleine remilitarisation, a profondément modifié sa doctrine stratégique et veut devenir « un pays normal » (inquiétudes justifiées de Pékin et de Séoul).
Sur un plan plus historique, cet endiguement antichinois (containment) est proche parent de l’endiguement antisoviétique des années 40 et 50, utilement prôné par le très éclairé diplomate américain George Kennan, qui préférait endiguer l’URSS plutôt que de la repousser (roll back). Il rappelle aussi les vastes alliances hétérogènes mises en place par Washington au début des rapports Est-Ouest : pacte de Rio (1947) ; ANZUS (1951), réunissant Australie, États-Unis et Nouvelle-Zélande ; pacte de Bagdad (1955), accueillant l’Iran, l’Irak, le Pakistan, le Royaume-Uni et la Turquie, plus les États-Unis à partir de 1958 ; le pacte de Manille et l’OTASE, etc. L’AUKUS de 2021 (« Australia-United Kingdom-United States ») fleure bon cette « pactomania » américaine. On n’oubliera pas que les États-Unis entretiennent également de longue date un réseau d’espionnage remarquable (« Five Eyes », UKUSA, Echelon…), s’appuyant sur l’Asie-Pacifique.
La doctrine de l’Indo-Pacifique souhaite officiellement rassembler plus de la moitié de la population mondiale et 58 % des jeunes, 60 % du PIB mondial, 2/3 de la croissance mondiale, cela sur 65 % des océans et 25 % des terres. Y renforcer le rôle des États-Unis est la première des priorités affichées, en profitant d’alliances, de partenariats et d’institutions régionales, impliquant l’Union européenne, expressément convoquée. De fait, on peut se demander si le volet économique n’est pas l’habillage du volet sécuritaire.
On comprend mieux pourquoi, depuis quelques années, Washington mondialise littéralement ses intérêts en Asie via la doctrine de l’Indo-Pacifique : « La région est un facteur clé de l’économie mondiale, inclut les voies maritimes mondiales les plus empruntées et neuf des dix plus grands ports. L’Asie-Pacifique est aussi une région hautement militarisée avec sept des dix plus grandes armées et les cinq États nucléaires officiels. Compte tenu de ces données, la complexité stratégique qu’affronte cette région est unique » (Département de la défense américain, mars 2022). En 2018, les États-Unis avaient rebaptisé le Commandement « Pacifique » en Commandement « Indo-Pacifique ». C’est donc l’antagonisme américano-chinois qui explique l’enrôlement des acteurs secondaires régionaux.
En effet, la zone concernée s’étend sur une vaste partie de la planète, couvrant les deux océans (Pacifique, 165 millions de km² ; Indien, 70 millions), où les distances transversales sont hors du commun : 8 800 km entre Los Angeles et Tokyo, 14 120 km entre Los Angeles et Singapour, 7 600 km entre Hawaï et Brisbane (Australie), etc. Sans la volonté des États-Unis, cet espace sans centre ni périphérie serait totalement incompréhensible, aussi bien en termes de civilisations que de cultures (langues) et de sociétés (religions et croyances religieuses), de superficies et de caractéristiques démographiques, sans parler des régimes politiques et des puissances économiques. Car, le plus frappant reste encore l’aspect composite et hydride de ce grand concours de peuples. Seul, dans cette affaire, l’antagonisme américano-chinois se veut structurant. D’où la plus grande prudence méthodologique à considérer cet ensemble baroque comme un tout.
Au regard des évolutions depuis la seconde guerre mondiale, deux constats méritent d’être rappelés : la permanence des antagonismes et 1a fréquence des retournements de situation.
D’une part, les antagonismes clés sont fondateurs. Témoins : la division des deux Corée ; l’hostilité historique Japon-Corée (il y a une belle thèse de doctorat à soutenir sur ce sujet) ; la guerre française d’Indochine ; les confrontations Inde-Chine et Inde-Pakistan, Vietnam-Chine et Vietnam-Cambodge ; la rivalité URSS-Chine ; la guerre américaine du Vietnam ; la volonté chinoise affichée de recouvrer Taïwan.
D’autre part, et à l’inverse, les retournements de situation sont légion. Témoins : l’ascension économique spectaculaire du Japon après la capitulation de 1945 (2e PIB mondial en 1968, 57 % du PIB américain en 1989) ; l’essor économique remarquable dans les années 50 et 60 des « quatre dragons » (Hong Kong, Taïwan, Corée du Sud, Singapour, tous dépourvus de matières premières) ; la réconciliation sino-soviétique de 1989 ; l’indépendance de Timor-Est en 2002 ; les actuelles bonnes relations États-Unis-Vietnam ; la fructueuse coopération économique Chine-Taïwan de 2008 à 2016.
Ces deux constantes historiques devraient inciter à la modestie géopolitique, interdisant toute prévision avantageuse et toute projection rassurante sur la stabilité en Asie-Pacifique. D’autant plus que c’est la Chine qui, depuis longtemps, écrit la partition.
La saisissante expansion chinoise
Considérée par les Américains comme un rival économique redoutable et, à terme, comme une menace stratégique, la Chine a considérablement élargi son influence dans la région. Déjà, elle avait multiplié par onze son PIB entre 2001 et 2021, fait croître ses échanges internationaux de 9 % à 13 % dans la même période, multiplié par 7,5 ses exportations de 2001 à 2019. Sa marine militaire a été remarquablement modernisée et étoffée, tandis qu’elle pratique avec succès la projection de la force (Djibouti, Méditerranée…). Depuis 2013, ses Routes de la soie, terrestres et maritimes, visent à gagner le cœur de l’Europe, à encercler l’Inde, à s’appuyer sur la Corne de l’Afrique.
Accusée par les États-Unis de vouloir imposer de nouvelles normes internationales et de créer des organismes concurrents de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (voir ci-dessous figure 3), Pékin a surtout tiré bénéfice du brutal retrait américain du Transpacific Partnership (TPP), décision impulsive, incongrue et contreproductive du nouveau président Trump en 2017.
En effet, la riposte chinoise ne s’est pas fait attendre. Elle a été d’autant plus cinglante que la Chine a recruté chez les alliés des États-Unis, lançant en 2020 le Partenariat économique régional global (Regional Comprehensive Economic Partnership, RECEP), exclusivement asiatique cette fois et parvenant à accueillir à la même table le Japon et la Corée du Sud, véritable camouflet pour Washington (voir ci-dessous figure 4). Parallèlement, on n’oubliera pas que 90 % des dix plus grands ports mondiaux sont asiatiques, 70 % étant… chinois. En outre, même s’il s’agit d’une progression plus lente, la Chine parvient à séduire des micro-États en Océanie : partenariat stratégique avec le Vanuatu, accord de sécurité avec les îles Salomon (2022), le ministre chinois des affaires étrangères ayant proposé sans succès un « Plan d’action quinquennal Chine-pays du Pacifique pour le développement commun », au cours d’une visite de dix jours en 2022 dans huit pays de la région. Bien sûr, l’idée est aussi de limiter l’influence australienne (à terme, l’influence française) et de constituer peu à peu un front antitaïwanais dans le Pacifique Sud. De fait, quatre des quatorze États qui reconnaissent Taïwan s’y trouvent (Îles Marshall, Nauru, Palaos, Tuvalu).
La mosaïque baroque de l’Asie du Sud-Est
À la fois continentale, péninsulaire et archipélagique (18 000 îles en Indonésie, 7 000 aux Philippines), cette sous-région se caractérise principalement par son manque total d’unité, malgré la création en 1967 de l’Association des pays d’Asie du Sud-Est (Association of Southeast Asian Nations, ASEAN), qui s’est elle-même ramifiée en entités multiples (« le plat de spaghettis », disent les Asiatiques). D’ailleurs, plus on célèbre la supposée « centralité » de l’ASEAN, plus l’organisation se disperse, ce qui fait généralement le bonheur des diplomates, qui aiment signer des documents. En fait, priment la diversité des cultures, le legs des colonisations européennes (et de l’américaine pour les Philippines), le développement économique incroyablement différencié (voir ci-dessous figure 5). Ainsi, Singapour a-t-il le même PIB que les Philippines pour 5% de sa population ; la Birmanie a-t-elle 5,4 % du PIB de l’Indonésie pour 20 % de sa population ; Bruneï représente-t-il les trois quarts du PIB laotien, pour une population 16 fois moins nombreuse, etc. Enfin, on remarquera que l’ASEAN est la seule organisation économique digne de ce nom, dans cette si vaste région ; c’est peu. De surcroît, tout différend sérieux est aussitôt mis sous le boisseau. Ce n’est pas ainsi qu’on élève un rempart antichinois.
Ce sont à la fois le rôle stratégique du détroit de Malacca pour le transport de marchandises (30 % du total mondial, 83 000 bateaux en 2022) et l’importance de la présence militaire américaine qui illustrent le caractère névralgique de ce « point chaud » du globe. En 2020, le Secrétaire à la marine américain avait recommandé la recréation d’une 1ère Flotte, destinée à décharger la 7e flotte du Pacifique occidental et dont le QG eût été à Singapour. C’est-à-dire à la sortie du détroit de Malacca (76 % des importations chinoises de pétrole y ont transité en 2019), aux abords de la mer de Chine méridionale (où Pékin a illégalement installé des forces militaires sur des îles consolidées et agrandies) et non loin du détroit de Taïwan, trois zones où un affrontement militaire entre États-Unis et Chine pourrait un jour éclater. On rappelle l’ampleur du dispositif militaire américain en Indo-Pacifique, des forces stationnées au Japon, en Corée du Sud, aux Philippines et ailleurs, des points d’appui situées dans l’océan Pacifique (Guam…) et dans l’océan Indien (Diego Garcia ) . Avant longtemps, la Chine -qui en rêve- ne pourra y remplacer les États-Unis.
Quant à la guerre d’Ukraine, deux pays de l’ASEAN (Laos, Vietnam) ont pratiqué le même vote lors de quatre résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU condamnant Moscou, en 2022 et 2023 : abstention à trois reprises, vote contre à une reprise. Et pour la suspension de la Russie du Conseil des droits de l’homme, six des dix pays se sont abstenus (Bruneï, Cambodge, Indonésie, Malaisie, Singapour, Thaïlande), le Laos et le Vietnam votant contre. Huit sur dix pays n’ont donc pas voté pour cette suspension, ce qui donne à réfléchir.
Le grand écart indien
Dans l’océan qui porte son nom, l’Inde -dont le peuple est aussi peu hauturier que le peuple chinois- a historiquement été tournée vers sa partie occidentale. L’Inde a donc un tropisme plus « afro- » qu’asiatique. Elle y profite notamment de sa diaspora (Afrique du Sud, Kenya, Madagascar, Maurice, Ouganda, Seychelles, Tanzanie…), ayant délaissé son versant oriental, bien qu’elle y ait des possessions insulaires (Andaman et Nicobar, certes faiblement peuplées mais où elle commence à investir militairement) et qu’elle y dispose pourtant de diasporas importantes (Birmanie, Malaisie…). En fait, l’existence de la barrière himalayenne, ses relations conflictuelles avec le voisinage (Pakistan, Chine) et son besoin récent de promouvoir la stabilité de l’Afghanistan ont longtemps rendu prioritaires ses intérêts continentaux. Ce n’est que depuis trois décennies qu’elle a multiplié les accords et coopérations complexes avec son Est : ASEAN, mais aussi Australie, Japon, Singapour… Avec Tokyo, elle a même annoncé en 2016 la création des « Routes de la liberté » (Asia Africa Growth Corridor, AAGC), projet apparemment en veilleuse mais destiné à contrer les Routes de la soie chinoises et à desserrer le « collier de perles » chinois qui l’entoure.
Cela n’a pas empêché l’Inde de consolider et de développer simultanément des coopérations souvent contradictoires avec le Moyen-Orient (États du Golfe), avec Israël et avec l’Iran (port de Chabahar, idéalement situé à l’entrée du Golfe).
Il est donc bien trop tôt pour évaluer la politique maritime indienne dans l’océan Indien, d’autant plus que la doctrine actuelle du « multi-alignement » n’en est qu’à ses débuts (on pourrait plutôt parler d’une « pluri-diversification »). Il s’agit, explique le ministre des Affaires étrangères Subrahmanyam Jaishankar, « d’engager l’Amérique, de gérer la Chine, de cultiver l’Europe, de rassurer la Russie, de faire participer le Japon, d’attirer les voisins ». On lui souhaite bonne chance… Le « multi-alignement » a quand même ses limites : on comprend que, tentée d’y participer, l’Inde ait finalement décidé de ne pas intégrer le RECEP proposé par la Chine (voir supra figure 4). De surcroît, le rôle de New Delhi reste ambigu dans la guerre d’Ukraine survenue en 2022. Dans toutes les hypothèses, donc, ses relations avec Moscou (son premier partenaire en matière de défense) et Washington (son premier partenaire économique) resteront centrales.
Le cas particulier de la France
La France, qui a adopté sans autre forme de procès la doctrine américaine de l’Indo-Pacifique et sans un recul géopolitique exagéré, représente un cas particulier.
En effet, c’est l’unique pays européen qui possède des territoires dans la région (7 départements, collectivités et territoires), lesquels accueillent 1 650 000 personnes plus 200 000 expatriés. 93 % des Zones économiques exclusives françaises (ZEE) s’y trouvent (60 % dans le Pacifique). Le poste d’ambassadeur pour l’Indo-Pacifique a été créé en 2020. Un riche réseau de centres de recherche l’irrigue (AFD, CNRS, IFREMER, Institut Pasteur, IRD …). Des militaires sont présents comme forces de souveraineté à Mayotte et à la Réunion (océan Indien), en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française (océan Pacifique) et deux bases françaises sont situées à Djibouti (océan Indien) et aux Émirats arabes unis (ÉAU) (Golfe). En tout, en Indo-Pacifique, 7 000 personnels sous uniforme. L’Indo-Pacifique, dans sa vastitude, attire un tiers des exportations nationales hors Union européenne (UE) et représente 40 % des importations hors UE. Atout France et Business France y sont actifs. La stratégie française repose sur quatre piliers : sécurité et défense ; économie, connectivité, recherche, innovation ; multilatéralisme et règle de droit ; changement climatique, biodiversité, gestion durable des océans.
Or, de telles ambitions sont démesurées, malgré une présence diplomatique significative et compte non tenu des ventes d’armes françaises dans la région (ainsi, des 194 livraisons et commandes de Rafale à ce jour, aux Émirats arabes unis (ÉAU), à l’Inde, à l’Indonésie, au Qatar). Trois raisons à cela. D’une part, faute de continuité dans la mise en œuvre de ces objectifs (il s’agit plutôt de recherches de participation dans les multiples organisations sous-régionales, dont les interactions sont peu convaincantes) ; d’autre part, parce que les moyens financiers manquent cruellement, sous réserve d’une dotation moins lilliputienne à nos outre-mer lors de l’application de la Loi de programmation militaire 2024-2030 (413 milliards d’euros annoncés) ; enfin, parce que les équipements militaires (avions, hélicoptères, navires) sont particulièrement limités, anciens et souvent indisponibles, sans parler de la projection de la force, illusoire. Cette vision apparemment brouillonne (présence dans de nombreux partenariats) et maladroitement rassurante a d’ailleurs été fermement critiquée en 2023 dans un rapport du Sénat. De surcroît, on n’oubliera pas que la France gère également les Terres australes (océan Indien) et antarctiques (océan Pacifique) françaises (TAAF). Qui trop embrasse… À cet égard, on comprend mal pourquoi la France a proposé en 2016 de coordonner dans la zone les bâtiments militaires européens, ce qui ne serait d’ailleurs pas une tâche bien compliquée, compte tenu du peu de bateaux concernés, y compris britanniques…Toutes ces contraintes sont donc durables. Si l’on va plus loin en arrière, on peut consulter avec profit l’historien Pierre Grosser, qui rappelle l’ancienneté et la complexité des relations entre la France et l’Asie (notamment, l’Indochine).
Et l’Union européenne, qui croit avoir mis toutes les chances de son côté en traitant la Chine de « rival systémique » (l’UE est le premier partenaire économique de Pékin…) et qui ne se soucie guère de l’Indo-Pacifique, ne sera pas au rendez-vous. Elle l’était déjà si peu au Sahel ! On rappellera que les 27 ne se sont toujours pas entendus sur leurs priorités… en Méditerranée. A fortiori on ne saurait imaginer quelque vision « indo-pacifique » que ce soit, issue d’une Europe à 35 ou à 40… Dans cette région géante sans cohérence propre, l’UE est surtout préoccupée par la sécurité de ses approvisionnements et cultive une approche sociétale des enjeux : prospérité durable et inclusive, transition écologique, gouvernance des océans, gouvernance et partenariats numériques, connectivité numérique, sécurité humaine, et quand même… sécurité et défense. Enfin, pour de bonnes raisons, l’Allemagne (exportations) et les Pays-Bas (investissements) sont rétifs à toute instrumentalisation américaine de la menace chinoise.
Pourtant, l’idée officielle française sous-jacente, empreinte de naïveté ou d’orgueil, serait qu’en cas de crise diplomatique ou de conflit armé, on pourrait faire entendre auprès des États-Unis, maître des lieux, une petite musique différente… Il est douteux que nous en ayons la volonté, il est assuré que nous n’en avons pas les moyens. Les expressions pompeuses ou creuses utilisées à Paris (la France « puissance d’initiatives », « puissance d’équilibres », « puissance stabilisatrice », « force d’entraînement de l’Union européenne », « l’Indo-Pacifique multipolaire et stable »…) manquent de modestie et surtout de réalisme. Le besoin de devenir une « nation cadre » ne devrait pas résister aux pressions américaines du moment. Car, ici, nous sommes dans une anglosphère. La France n’a pas de véritables alliés dans la région. La brutale rupture par l’Australie du contrat de sous-marins français à propulsion classique (2021), l’engagement australien d’achat de sous-marins américains à propulsion nucléaire et la création simultanée de l’alliance AUKUS (Australia-United Kingdom-United States) en sont une humiliante illustration, amplifiée par l’absence de solidarité européenne. La célébration appliquée du multilatéralisme et le transit de bâtiments militaires français par la mer de Chine méridionale ou le détroit de Taïwan (2021, 2022), remarquables navigations, n’y changeront rien. Par-delà le foisonnement actuel d’initiatives de tous genres (forums, dialogues, etc.), la France aura intérêt à y entretenir des partenariats ad hoc, en fonction des intérêts du moment. Le risque sera dans la dispersion.
Conclusion
L’Indo-Pacifique est un concept stratégique englobant, surdimensionné et d’autant plus vague. Sa pertinence ne se conçoit que dans le cadre d’un endiguement américain de la Chine. Bref, l’Indo-Pacifique se présente plus comme une volonté que comme un espace homogène, encore moins une organisation intergouvernementale ou un club de démocraties.
Or, ni les pays européens pris séparément ni l’Union européenne (qui n’en a cure) n’ont intérêt à se faire enrôler dans cette croisade. L’extrême diversité des acteurs ; les antagonismes ancestraux ; les logiques de puissance contrariées ; la permanence des rivalités de voisinage ; la rareté, les faiblesses et la complexité des organisations économiques régionales hormis l’ASEAN ; le besoin américain d’élargir de facto l’OTAN aux enjeux asiatiques (« L’influence croissante et les politiques internationales de la Chine peuvent présenter des défis, auxquels nous devons répondre ensemble, en tant qu’Alliance » ), etc., amèneront vite les principaux pays de cet immense ensemble artificiel à privilégier des définitions différentes de l’Indo-Pacifique. Il faut donc s’attendre à une régionalisation et à une subdivision géographique des priorités de chacun, lequel cultivera des relations spécifiques avec les États-Unis (certains seront des supplétifs consentants) et avec la Chine (d’autres seront des otages économiques). L’étude régionale et sous-régionale deviendra sans doute une nécessité, malgré le besoin de suprématie américaine.
Dans tous les cas, à court terme, que restera-t-il de l’Indo-Pacifique si les Républicains reviennent au pouvoir en janvier 2025 aux États-Unis ? A moyen terme, la puissance des États-Unis sera-t-elle encore amoindrie ? En tous cas, à long terme, une certitude : les Européens n’ont pas à faire les frais de l’antagonisme américano-chinois.
Thierry Garcin
NB : Thierry Garcin est également membre de l’Institut du Pacifique et nous permet à ce titre de publier son article déjà en ligne sur Geopoweb.fr
Au lendemain de la crise sanitaire de deux ans, liée à la pandémie du Covid, l’Australie manque de main d’œuvre pour faire redémarrer à plein son économie et revoit encore une fois sa politique d’immigration. L’île-continent, du fait de sa faible population[1], et de son vieillissement, a toujours rencontré des difficultés pour exploiter ses immenses ressources. Mais, dans un environnement asiatique, elle a toujours voulu conserver la maîtrise de sa spécificité sociale, culturelle et politique d’origine européenne. D’où une politique d’immigration pensée et réfléchie qui a évolué depuis la fin du XIXème siècle.
Les lois de 1865, 1885 et 1901 visent avant tout à protéger l’Australie d’une immigration non blanche. En 1945, 90% de la population australienne est d’ascendance britannique ou irlandaise.
Mais au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, l’alternative « peupler ou périr » conduit progressivement à revoir les stricts critères d’entrée qui sont alors : avoir moins de 45 ans, être en bonne santé et avoir des racines européennes pour être admis dans une Australie globalement « blanche » jusque dans les années 60.
A cette époque, c’est l’Europe du sud (Grèce, Italie…), relativement pauvre qui envoie une population apportant en Australie ses qualifications professionnelles (pécheurs, cultivateurs) et ses traditions, notamment culinaires et diversifiant ainsi la culture australienne d’alors, majoritairement britanno-irlandaise. Ces populations ont su profiter des opportunités d’éducation pour leurs enfants qui se sont intégrés rapidement dans le « socle » australien.
A la fin des années 1970, l’Australie voit affluer sur ses côtes à Darwin les premiers « boat people » vietnamiens à la suite de la fin de la guerre du Vietnam. Puis le gouvernement australien a envoyé des émissaires officiels pour sélectionner les réfugiés dans les camps leur octroyant un visa. Ainsi jusqu’en 1983, l’Australie accueille annuellement environ 15 000 Vietnamiens.[2]
Les années 80-90 voient une rupture. En opposition avec la politique « One Australia » du libéral John Howard qui consistait à rejeter le multiculturalisme et à s’opposer à l’immigration asiatique, il n’y a plus de distinction selon la race et la provenance géographique. Si le Commonwealth[3] reste une des sources de l’immigration en Australie, les quotas d’autrefois sont remplacés par des critères basés sur les compétences, les qualifications et l’apport en capitaux. Ainsi le « ticket d’entrée » est-il trois fois plus élevé qu’en Nouvelle Zélande, deux fois plus élevé qu’au Canada.
En 1992, seulement 60% de la population est d’ascendance britannique ou irlandaise avec une augmentation sensible des immigrants venu d’Europe du Sud et surtout d’Asie et du Moyen-Orient.
M. Stephen FitzGerald[4] peut être considéré comme l’architecte principal de l’’évolution de la politique australienne d’immigration. Il a en effet présidé en 1988 la Commission des politiques australiennes d’immigration qui publia ses travaux dans un rapport connu comme le rapport FitzGerald.
A partir de cette époque, les Asiatiques sont ainsi en nette progression, avec notamment la diaspora chinoise voulant quitter la Malaisie ou l’Indonésie du fait des tensions raciales dans ces Etats. La perspective du changement de statut de Hong Kong suscite aussi un regain d’intérêt pour l’Australie.
En 1991, Hong Kong est la 8ème source d’investissement étranger en Australie et environ 300 sociétés australiennes sont présentes à Hong Kong. Taïwan est son 6ème marché d’exportation. Mais l’Australie s’efforce maintenir de bonnes relations avec les trois entités chinoises, la question de la réunification devant être considérée de son point de vue comme relevant uniquement des affaires intérieures chinoises.
L’Australie met alors en place une politique d’immigration plus ouverte et plus équilibrée, mais qui est remise en cause par la crise économique de 1993 : le nombre annuel d’immigrants est limité à 70 000 personnes, contre 110 000 les années précédentes.
Aujourd’hui, un tiers de la population australienne est née à l’étranger. L’Australie fait une distinction nette entre sa politique d’immigration et sa politique à l’égard des réfugiés.
Depuis 2013, la politique migratoire de l’Australie est une des plus restrictives au monde, elle refuse tout réfugié arrivant par bateau. Des accords ont été passés avec Nauru et la Papouasie-Nouvelle Guinée afin de maintenir les réfugiés dans des camps off-shore dans ces deux pays avec une « aide au développement » versée à ces deux Etats par Canberra. Cette politique établie par le Premier Ministre travailliste Kevin Rudd, a été poursuivie par la suite.
La crise sanitaire des années 2020 a conduit l’Australie à fermer ses frontières de manière stricte jusqu’au 21 février 2022 dans le cadre d’une politique « Zéro Covid »[5]. Ceci a entraîné une grave pénurie de main d’œuvre. Si le taux de chômage était en juillet 2022 de 3,4% (taux inégalé depuis la fin des années 40), plus de 480 000 postes de travail étaient encore vacants, soit deux fois plus qu’avant la pandémie.
La pénurie de main d’œuvre est très nette dans l’ensemble de l’économie et particulièrement dans le secteur minier avec 10 600 emplois non pourvus. Ce qui entraîne des conséquences sur les productions. Par exemple la production d’or a diminué de 22% en octobre 2022, ce qui conduit à réviser à la baisse de 8% la production à venir et à reporter plusieurs projets. Selon la Directrice des opérations de l’Australia Resource s& Energy Employer Association (AREEA), l’Australie manque d’ingénieurs, de géologues, de foreurs, de conducteurs d’engins de terrassements. Dans le secteur charbon, or, gaz, minerais et métaux rares, on devrait recruter 24 000 personnes de plus qu’avant la crise dans les 5 ans à venir. Malgré des salaires attractifs, les jeunes Australiens manifestent peu d’intérêt pour ces secteurs en raison de leur sensibilité aux questions écologiques : réchauffement climatique, destruction de sites archéologiques aborigènes …
Une autre façon de pallier le manque de la main d’œuvre se trouve dans les emplois « offerts » aux jeunes étrangers, les « backpackers », notamment dans le secteur agricole, leur permettant d’obtenir un visa, et venant s’ajouter à la main d’œuvre d’origine océanienne, pour laquelle sont octroyés des visas en fonctions des besoins.
D’où la décision du Gouvernement d’accroître les quotas d’immigration qualifiée de 20 à 25% pour 2023, soit accueillir environ 200 000 étrangers par an avec une reconnaissance des compétences et diplômes acquis à l’étranger[6]. Mais il ne s’agit en aucun cas de régulariser des étrangers en situation illégale.
Aujourd’hui 70% des visas sont délivrés pour une immigration qualifiée : il faut maîtriser l’anglais (mais les exigences de niveau ont été revues à la baisse pour les professions les plus en tension), avoir des qualifications et diplômes cohérents avec une liste de « métiers en tension », liste mise à jour régulièrement par le Gouvernement fédéral, mais que chaque Etat peut compléter en fonction de ses besoins propres. Aujourd’hui la liste comprend 286 rubriques dans tous les secteurs.
Hélène Mazeran
[1]Environ 25 millions d’habitants sur un territoire 14 fois plus grand que la France.
[2] https://digital-classroom.nma.gov.au/defining-moments/first-arrival-vietnamese-refugees-boat
[3]Des communautés seychelloises et mauriciennes se sont installées après les indépendances et étaient relativement importantes par rapport aux dimensions nationales de ces Etats (environ 6000 Seychellois dans les années 90). L’Australie a aussi été une position de repli pour des Blancs d’origine anglo-saxonne de l’Afrique du sud postapartheid.
[4]Cf l’entretien avec Frances Cowell publié sur ce site le 14 septembre 2022 sur le thème « Apprendre à connaître ses voisins »
[5]Nous n’évoquerons pas ici les heurts consécutifs à cette crise, qui ont opposé l’Australie et la Chine.
[6]Aujourd’hui en l’absence de reconnaissance, les étrangers doivent reprendre leurs études en Australie.
Le Ministre australien du Commerce et du Tourisme, Don Farrell, a entamé début décembre une visite de deux semaines en Europe et au Royaume Uni. Il la débute à Paris et en Alsace avec son homologue Olivier Becht. Il se rendra ensuite à Bruxelles, Berlin et Londres. Après la rencontre Macron-Albanese au sommet du G20 à Bali, l’objectif est de renouer une relation bilatérale apaisée, et également de conclure un accord de libre-échange avec l’UE (négociations entamées depuis 2018). « Nous cherchons à la fois des partenaires pour investir dans les mines et des clients » (Don Farrell). La question du contrat des sous-marins toujours en suspens a-t-elle été évoquée ???
Annulée en octobre 2020 en raison des conditions de censure et de « réécriture d’un nouveau récit national » imposées par le gouvernement chinois (cf article paru sur le site de l’IP le 18 novembre 2020 : « Gengis Khan objet de scandale diplomatique au Musée de Nantes »), le 2 décembre on apprend par voie de presse que l’exposition« Gengis Khan, le grand échange mongol » se tiendra en Octobre 2023 avec la participation du Musée d’Oulan-Bator, d’institutions américaines et européennes et du musée de Taïwan.
Le 6 décembre, Joe Biden s’est rendu à Phoenix sur le site en construction de TSMC qui porte ses investissements aux Etats-Unis de 12 à 40 milliards 4US$. TSMC va construire 2 usines en Arizona et créer 4500 emplois pour fabriquer des composants électroniques de dernière génération. Pour Taïpeh, c’est une « assurance » contre la Chine continentale ; pour les USA, c’est la garantie de ne pas dépendre uniquement d’usines installées à des milliers de kms.
Le 7 décembre, le gouvernement de Pékin a annoncé un allègement spectaculaire de sa politique « Zéro Covid » après les manifestations massives de milliers de Chinois dans tout le pays (au moins 18 villes concernées) qui se traduisaient par une remise en cause de la stratégie gouvernementale, voire un appel à la démission de Xi Jinping et du PCC. Le virus est subitement devenu moins dangereux… et tests et confinements sont allégés, les voyages inter-provinces sont possibles. Cela suffira-t-il à permettre une remontée de l’économie, et des importations et exportations tombées au niveau le plus bas depuis le début de 2020.
Après 17 mois d’un mandat présidentiel tumultueux, le Congrès destitue le 7 décembre, par 101 voix sur 130, Pedro Castillo qui est arrêté dans la foulée pour « avoir tenté un coup d’état ». Dina Boluarte, avocate de 60 ans et vice-présidente, lui succède devenant ainsi la première femme chef d’état du Pérou et ce – normalement – jusqu’au 26 juillet 2026, date des prochaines élections. Elle fait appel au dialogue dans un Congrès divisé et veut lutter contre la corruption tout en représentant les populations marginalisées et vulnérables.
Les manifestations d’une ampleur inédite dans une dizaine de villes depuis plusieurs semaines traduit au-delà d’un « véritable rejet du modèle de société chinois chez les jeunes » (à rapprocher du mouvement « Rester couché » (Tang Ping) déjà observé l’an dernier), un ras-le-bol de toutes les générations qui a été sous-estimé par les polices locales. A Shanghai, il y aurait eu, lors du premier confinement de 2 mois, plus de décès consécutif à un suicide qu’au Covid-19. Les revenus des Chinois sont à 40% du PIB contre 40 à 70% dans les pays développés. « La société en Chine est aujourd’hui une sorte de cocotte-minute prête à déborder » (Emmanuel Veron)….
Le 9 décembre, les bourses chinoises se sont redressées après l’annonce du relâchement de la politique sanitaire en Chine populaire. L’indice Hang Seng de la bourse de Hong Kong a bondi de 33% par rapport au début de novembre, le CSI de Shanghai et de Shenzhen a repris 12%.
Signé le 9 décembre à Bruxelles entre Josep Borrell (Haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères) et Antonia Urrejola (Ministre chilienne des Affaires étrangères), l’Accord commercial UE – Chili vise à sécuriser les approvisionnements stratégiques de l’Europe, notamment en lithium (le Chili fournit actuellement 40% de l’approvisionnement mondial). Il modernise ainsi le texte signé il y a 20 ans. Il porte sur l’intensification des relations commerciales et la diversification des approvisionnements en matières premières, dont le lithium actuellement tellement recherché et dont les pays andins notamment sont producteurs. Cet accord est le deuxième de cette génération après celui signé avec la Nouvelle Zélande en juin dernier. La commission est en train de finaliser un accord similaire avec le Mexique. Le texte cependant n’entrera en vigueur qu’après l’examen par les Etats-membres et le Parlement européen, puis la validation par les Parlements des 27 Etats membres. A noter cependant que cet accord politique (qui comporte d’autres volets, notamment agricoles), doit être confirmé juridiquement après la ratification des 27 parlements nationaux.
Pour la première fois depuis 2016, Xi Jinping entame une visite de 3 jours (9-11 décembre) en Arabie saoudite en présence des voisins du Golfe, de l’Egypte, de l’Irak et de la Tunisie. A noter que si l’Arabie saoudite est le premier producteur mondial de pétrole, la Chine en est le premier consommateur. Mohammed Ben Salman a assuré que « les pays du Golfe resteraient des fournisseurs sûrs et crédibles d’énergie ». Une quarantaine d’accords bilatéraux ont été signés dans différents domaines (hydrogène, logement, transport…). Depuis 2020, la Chine est le premier partenaire commercial des six pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), supplantant dans certains secteurs les Européens ou les Américains, notamment dans le domaine de l’armement et des technologies.
Le premier avion de ligne « made in China », le C 919 a été livré le 9 décembre à China Eastern. Le vol inaugural devrait avoir lieu au début de 2023. Moyen-courrier de 164 passagers, il est considéré comme la copie asiatique de l’A320néo et du 737 Max. Lancé en 2017, le programme a pris du retard, a été certifié en septembre 2022 par les seules autorités chinoise et donc ne peut voler ni en Europe, ni aux Etats-Unis. La commercialisation assurée par la société d’Etat CCAC, avec 800 contrats devraient réduite la dépendance chinoise à Airbus, même si une nouvelle commande portant sur 292 A320neo a été passée auprès de Airbus en juillet 2022 par la Chine.
Le 9 décembre, un communiqué commun des gouvernements britannique, italien et japonais annonce la production en commun pour 2035 d’un chasseur « nouvelle génération » par les industriels des 3 pays : BAE Systems, Leonardo et Mitsubishi Heavy Industry dans le cadre du programme Global Combat Air Programme (GCAP). Cet appareil fera suite aux F 15 américains et à l’Eurofighter européen. C’est une situation nouvelle avec un partenariat inédit avec les Japonais (qui étaient une chasse-gardée américaine quasi exclusive depuis 1945) et sans les Allemands. Profitant de leur implication dans l’AUKUS, les Britanniques ont aussi fait accoster au Japon pour la 1ère fois leur porte-avion HMS Elizabeth en septembre dernier, symbolisant ainsi la coopération en matière de sécurité et de défense entre les deux Etats avec le soutien.
La Chine est accusée par l’Inde de tenter de « changer unilatéralement le statu quo » sur la frontière himalayenne après des affrontements durant la semaine du 5 au 10 décembre. Les Chinois accusent des soldats indiens d’avoir franchi illégalement la frontière.
7 des 20 premières places financières mondiales se trouvent le 10 décembre dans la région Asie : Chine (4), Japon, Corée du sud et Singapour. Profitant des conséquences de la crise sanitaire, Singapour accède pour la première fois à la troisième place devant Hong Kong et n’hésite pas à durcir les conditions de résidence des étrangers. Si parmi les 119 places financières mondiales, treize sont chinoises, l’avenir de Hong Kong suscite des interrogations malgré ses atouts. Tokyo, le 8 décembre, désormais à la 13ème place derrière Séoul essaye aussi d’enrayer sa chute.
Après avoir imposé de nouvelles interdictions d’importation de produits alimentaires, la Chine a le 12 décembre de nouveau violé la zone de défense aérienne de Taiwan avec 21 avions dont 18 bombardiers H-6. Serait-ce aussi une façon pour Xi Jinping de faire oublier sa désastreuse politique du zéro Covid et de rallier les nationalistes à sa cause ?
La Chine lance le 12 décembre une procédure contre les Etats-Unis devant l’OMC au sujet des restrictions d’exportations de puces. Pour la Chine, il s’agit d’un obstacle au commerce international de marchandises ; pour les Américains, il s’agit d’une question de sécurité nationale, hors du champ de compétences de l’OMC. Il sera intéressant de suivre l’évolution de ce contentieux, dans une organisation internationale du système onusien largement « infiltrée » par les Chinois (CF l’article paru sur le site de l’Institut du Pacifique le 20 novembre 2019
Un accord est conclu le 13 décembre entre le consortium japonais Rapidus formé de huit industriels locaux (dont Toyota et Sony) et de l’Américain IBM pour produire en masse au Japon des semi-conducteurs d’une taille de 2 nanomètres. Le Japon, premier producteur de semi-conducteurs à la fin des années 80, a perdu peu à peu cette place prépondérante. Aujourd’hui sa production représente 17% de la production mondiale, même si avec le concours de TSMC (Taïwan), il maitrise la production de puces de 40 nanomètres et s’appète à celle de 20 nanomètres aux applications multiples (médical, espace, transport…). Dans ce domaine, la Corée du sud et Taïwan, capables de produire des puces de 3 nanomètres sont leaders. La production de puces est désormais un enjeu de sécurité économique. La Chine continentale produit aujourd’hui environ 15% des puces mondiales, mais de qualité moyenne. Dans le cas d’une tentative de prise de contrôle de Taïwan avec blocus de l’île, c’est l’ensemble des chaînes de production du monde qui seraient bloquées.
Les résultats définitifs des élections législatives organisées le 13 décembre à Fidji tardent à être connus. Le Chef de l’opposition, ex-chef du gouvernement, le Général Sittveni Rabuka serait favori devant le Premier Ministre sortant, Frank Bainimarama à qui il reproche son rapprochement avec la Chine. Mais le général (à l’origine d’un putsch contre le gouvernement élu, puis contre l’exécutif en 1987) a été convoqué le 16 décembre par la police après avoir demandé l’arrêt du processus électoral en raison d’anomalies dans le décompte des voies, et l’intervention de l’armée.
Des dirigeants de l’Union européenne et de l’ASEAN se rencontrent à Bruxelles le 14 décembre pour fête le 45e anniversaire de leurs relations qu’ils veulent renforcer par une coopération en faveur du commerce et du multilatéralisme. Les pays membres de l’ASEAN, cherchent un contrepoids à l’influence de la Chine dans la région, et notamment dans la Mer de Chine méridionale : ils cherchent aussi à échapper à la rivalité sino-américaine. Les Etats européens, de leur côté, sont désireux de renforcer leurs liens avec des Etats riches en ressources naturelles (gaz naturel, métaux rares …), même si leurs échanges sont déjà importants : en 2021, l’UE et l’ASEAN étaient le troisième partenaire commercial l’un de l’autre. Leur relation, avec le financement du Global Gateway, se voudrait un concurrent du projet BRI chinois. La question politique liée à la guerre russo-ukrainienne a rendu difficile la rédaction de la déclaration conjointe qui a finalement mentionné que « la plupart des membres » condamnent la guerre en raison de « différentes évaluations de la situation et des sanctions ».
La politique de dépistage systématique du COVID, puis le traçage des déplacements le 13 décembre, sont est abandonnés en Chine à la suite des manifestations générées par les confinements à répétition et les tests multiples (parfois incohérents !). Cependant l’explosion des cas de COVID, même s’ils sont difficilement vérifiables, conduit la population à se terrer par crainte de la contagion. Le 15 décembre la revue The Beijinger faisait état d’un sondage auprès d’expatriés selon lequel 9% avait contracté le COVID avant le 1er décembre, et 58% depuis cette date. Le 17 décembre, toutes les écoles de Shanghai ont décidé de passer en distanciel sauf les classes à examen.
Les menaces perçues au Japon du fait de la Chine, mais aussi de la Corée du nord et de la Russie, ont conduit le Japon à revoir une nouvelle fois sa doctrine militaire. Il a été décidé le 16 décembre de doubler le budget militaire du pays d’ici à 2027, passant de 1% à 2% du PIB. Cette décision s’accompagne d’achats d’armement (500 Tomahawk américains, missiles de longue portée SM-6, développement d’un futur avion de combat avec les Britanniques et les Italiens) et surtout d’un renforcement de leurs forces sur les îles les plus proches de Taïwan et d’une augmentation des troupes américaines stationnées à Okinawa de 2000 à 3000 soldats.
En réaction au budget militaire nippon et après avoir testé avec succès le 16 décembre un moteur à combustible solide de forte poussée, la Corée du nord a procédé le 18 décembre au tir de deux missiles balistiques de moyenne portée en direction de la mer du Japon. Etaient-ils équipés de ce carburant solide ?
Du 7 au 19 décembre se tenait à Montréal la COP15, 15ème conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique sous la présidence chinoise de Huang Runqu, ministre de l’environnement en présence des représentants de plus de 190 Etats. L’accord de Kunming-Montréal signé en dernière minute est un compromis qui vise notamment à préserver 30% de la biodiversité des terres et des mers au niveau global (c’est à peu près l’équivalent de l’Accord de Paris sur le réchauffement climatique). Aujourd’hui, environ 17% des terres et 8 % des mers seulement sont protégées.
Anwar Ibrahim, nouveau Premier ministre a obtenu le 19 décembre un vote de confiance au Parlement. Ce « revenant » en politique, âgé de 75 ans, ancien ministre des finances de Mahatir Mohamad dans les années 90, se présente comme le meilleur rempart face au parti islamiste (PAS), alors qu’il est à l’origine de « l’islamisation » de la société malaisienne dans les années 80. Alors que le PAS progresse rapidement, que la communauté chinoise s’inquiète et cherche à quitter le pays (de 38% de la population en 1947, elle est passée aujourd’hui à 22%), les dynasties royales se mobilisent dans un pays qui n’est plus entre les mains de la coalition conservatrice de l’UNMO comme ce fut le cas de 1957 à 2018.
Du 21 au 27 décembre, la Chine et la Russie conduisent des manœuvres navales conjointes en Mer de Chine orientale avec « plusieurs » navires de guerre russes. Sont prévus des tirs de missiles et d’artillerie ainsi que des exercices de lutte anti-sous-marine. Ces opérations suivent les annonces de manœuvres aériennes sino-russes en Mer de Chine orientale et en Mer du Japon en novembre dernier.
Les Fidji ont un nouveau premier ministre après les 16 ans de règne de Frank Bainimarama. Lors d’un vote secret le 24 décembre, le parlement a confirmé par 28 voix contre 27 Sitiveni Rabuka au poste de Premier ministre, la Chine perdant ainsi un de ses soutiens en Océanie puisque le nouveau promu reviendrait vers les alliances traditionnelles avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Mis d’aucuns craignent un coup d’état rampant …
Un pas de plus dans les bras de la Chine ? Lors d’une visioconférence le 30 décembre, Vladimir Poutine a dit à son homologue chinois vouloir renforcer la coopération entre les forces armées des deux pays pour contribuer à leur sécurité … Etonnant quand la Russie sous ce prétexte attaque un de ses voisins et souhaite l’exterminer comme V. Poutine a déjà su le faire notamment pour la Tchétchénie et la Syrie. Serait-ce aussi un moyen de renforcer, voire rééquiper son armée qui a beaucoup de soucis sur le terrain ? Drôle d’hymne antioccidental quand nombre de Russes (et de Chinois) font leurs études, leurs emplettes en Occident en dehors de ceux qui fuient leur terre natale.
A quoi bon masquer la réalité de la mortalité suite au Covid-19 ? Pour ne pas avoir à le faire, la Chine annonce le 30 décembre qu’elle va le « reclassifier » le 8 janvier en maladie infectieuse de catégorie B… Elle va donc rouvrir ses frontières puisque le risque se trouve ainsi « réduit » et de s’insurger contre les pays qui veulent rétablir les tests à leurs frontières. Au fait, comment s’est transmise la pandémie dans le monde ?
Alors que le Conseil de sécurité de l’Onu dans une résolution inédite vient de demander la libération immédiate d’Aung San Suu Kyi, la junte militaire par le truchement d’un « procès » ( ?) qui s’est étalé sur 18 mois, vient de la condamner le 30 décembre à 7 ans supplémentaires d’incarcération, ce qui fait 33 ans au total. Inutile de rappeler ce qui lui est reproché si ce n’est de vouloir faire du Myanmar un état démocratique, tous les arguments étant bons pour la faire taire.
Entretien avec Dr Stephen FitzGerald
Quelle est l’importance de l’Australie en Asie, dans le Pacifique? Quel rôle joue-t-elle devant les questions urgentes de la région telles que la sécurité et le changement climatique? Comment se positionne le nouveau gouvernement du Premier ministre Anthony Albanese par rapport à ces questions et quels signaux a-t-il envoyé jusqu’à présent?
Le Docteur Stephen Fitzgerald partage avec nous ses pensées, produit de décennies d’expérience diplomate (il fut ambassadeur en Chine et en Corée du nord), de consultant auprès d’entreprises, de gouvernements et de forums régionaux, de chercheur et d’universitaire. Depuis chez lui à Sydney, il s’est entretenu par téléphone avec Frances Cowell[1] le 15 août.
FC Est-ce que les actions du nouveau gouvernement du Premier ministre Anthony Albanese, sont annonciatrices d’un véritable réengagement dans la région Asie-Pacifique, après plus d’une décennie où l’Australie a été moins présente qu’elle aurait pu, compte tenu de son poids dans cette région?
SF Il est encore tôt pour le dire, bien sûr, mais je pense vraiment qu’on est à un tournant. Les visites de la ministre des Affaires étrangères, Penny Wong, dans la région, faisant tout son possible pour se faire photographier avec son frère à Kota Kinabalu, son ancienne ville natale de Bornéo en Malaisie, et le premier ministre, Anthony Albanese emmenant Ed Husic, ministre de l’Industrie et des Sciences, qui est musulman, en Indonésie, envoient tous deux des signaux très clairs à la région, qui contrastent avec ceux des gouvernements libéraux (conservateurs) sortants, dirigés plus récemment par Scott Morrison, qui ont réduit les budgets des Affaires étrangères et ont donné la priorité à la sécurité et aux renseignements par rapport à la diplomatie. Cela contraste également avec les deux derniers gouvernements travaillistes, ceux de Kevin Rudd et de Julia Gillard, de 2007 à 2013, qui ont accordé moins d’attention qu’ils n’auraient dû à l’ancien ministre des Affaires étrangères, le très respecté Gareth Evans, quand il les exhortait à restaurer l’importance des relations avec l’Asie du Sud-Est.
Penny Wong a montré son sérieux en nommant, à la tête du Département des Affaires étrangères, une haute diplomate et ancienne ambassadrice à Tokyo et à Pékin, et en s’adressant directement au personnel du ministère, soulignant l’importance qu’elle leur accorde par rapport aux agences de sécurité et de renseignements. Elle a également été assez explicite sur son intention de replacer l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) au centre de notre politique étrangère, entre autres initiatives moins médiatisées. Cette nouvelle posture est réelle, c’est vraiment une bonne nouvelle.
FC La ministre Wong n’a pas hésité à se déplacer aux iles Salomon, ce qui est bienvenu, mais cela ne pourrait-il pas être perçu comme une simple réaction à l’accord de sécurité entre ce pays et la Chine ?
SF Je n’ai aucun doute que beaucoup aux îles Salomon et ailleurs dans le Pacifique le verront de cette façon. En effet, l’intérêt de l’ancien gouvernement de Morrison, bien tardif, s’était exprimé en ces termes, de même, par ailleurs, que certains membres du gouvernement actuel. Mais pour juger d’un plat, il faut le goûter, et nous devons travailler sincèrement et honnêtement avec nos partenaires sur ces problèmes, plutôt que de simplement nous repositionner pour bloquer chaque action de la Chine. Fait intéressant, l’ambassadeur de la Chine en Australie, Xiao Qian, dans son discours de la semaine dernière au National Press Club à Canberra, a suggéré de travailler ensemble sur les questions climatiques dans les pays tiers. En fait, au début de ce siècle, j’avais éveillé l’intérêt de l’Agence d’aide extérieure chinoise pour travailler de manière coordonnée avec nous sur les projets d’aide aux pays en voie de développement, y compris dans le Pacifique, et ils étaient assez enthousiastes. Mais, hélas, notre bureaucratie a considéré l’initiative comme étant trop compliquée, trop difficile à mettre en œuvre. Aujourd’hui, nous avons l’opportunité de montrer que notre porte est ouverte et que nous voulons vraiment une coopération, pas seulement sur le climat, mais aussi sur d’autres questions liées à l’immigration et aux visas de travail, aux cueilleurs de fruits, etc. Si nous sommes assez intelligents et courageux, nous ferons beaucoup pour dissiper les perceptions négatives.
FC La longue relation de l’Australie avec les Etats insulaires du Pacifique a été principalement paternaliste. Est-ce qu’elle ira, désormais, au-delà du simple don d’argent ?
SF Je pense que oui. Penny Wong a répété à plusieurs reprises qu’à partir de maintenant, l’Australie écouterait et cesserait de traiter avec condescendance ces « pauvres petits pays ». C’est un signe de la gravité de la situation, en particulier en ce qui concerne le changement climatique. Mais j’aurais aimé qu’elle n’ait pas qualifié les pays du Pacifique de « famille », mot qui a pour moi, des connotations colonialistes. Après tout, ce sont des pays indépendants, des états souverains que l’Australie doit traiter d’égal à égal.
FC Malgré sa richesse et ses ressources, l’Australie a été jusqu’à présent qualifiée de climato-récalcitrante, alors qu’elle devrait être leader dans ce domaine. Pour être prise au sérieux, elle a besoin de réduire sa dépendance à l’extraction et à l’usage du charbon, ce qui sera douloureux, aussi bien économiquement que politiquement. Que peut faire d’autre l’Australie pour restaurer sa crédibilité envers le changement climatique dans le Pacifique et dans le monde ?
SF Je me méfie un peu du mot « leader », l’Australie devrait se fixer comme but plutôt d’être un bon citoyen international. Gareth Evans a récemment publié un livre intitulé « Good International Citizenship », ce qui signifie soutenir les pays qui veulent vraiment agir contre le changement climatique, prendre en compte ce qu’ils veulent voir se produire et travailler à l’échelle internationale pour y contribuer. Ross Garnaut, économiste du développement, ancien conseiller du Premier ministre Bob Hawke et auteur de « Australia and the East Asian Ascendancy », affirme que nous devrions être une superpuissance de l’énergie propre. Pour cela, l’Australie doit passer aux énergies renouvelables et jouer un rôle prépondérant dans les forums internationaux du climat, tout en tenant compte des voix des pays du Pacifique Sud, mais aussi des pays d’Afrique et d’Amérique latine. Il convient de mentionner que Garnaut avait aussi contribué à la rédaction collaborative du tout premier livre blanc de la Chine sur le climat au début de ce siècle. Mais nous devons commencer par mettre de l’ordre dans notre propre maison, ce qui implique un débat national et, comme vous le dites, ce ne sera pas facile.
FC Votre thèse de doctorat portait sur les relations de la Chine avec les Chinois du reste du monde. Les Chinois ont été depuis longtemps attirés par l’Australie, par exemple, lors de la ruée vers l’or des années 1850, et bien des visages asiatiques que vous voyez dans les rues australiennes viennent de familles qui sont en Australie depuis bien plus de générations que beaucoup des personnes d’origine européenne. Il y a aussi beaucoup de Chinois arrivés en Australie plus récemment. A leur sujet, l’ambassadeur Xiao Qian, dans de son allocution devant le National Press Club a clairement déclaré que la Chine les considère tous comme étant chinois. Comment voyez-vous cette relation entre la Chine et ces Sino-australiens ?
SF Dans mon travail actuel en tant que président du Comité directeur d’un projet visant à créer le Musée des Chinois en Australie, je suis devenu très engagé, ou plutôt réengagé dans ce sujet. Je trouve là des histoires absolument exquises, comme par exemple celle du tout premier immigré libre d’origine chinoise, en 1818, pas longtemps après l’arrivée des premiers immigrés libres britanniques. Il était fabricant de meubles à Paramatta, à l’ouest de Sydney, et il y a eu une lignée continue de fabricants de meubles sino-australiens jusqu’à nos jours. En plus de diriger également une entreprise de pompes funèbres et de fabriquer des cercueils, il avait aussi ouvert un pub, ce qui est certainement l’activité la plus typiquement australienne que vous puissiez exercer. Un fait important concernant les premiers Chinois est qu’ils s’entendaient très bien avec les premières nations, les peuples aborigènes ; il y a eu et il y a encore beaucoup de mariages mixtes. Un autre exemple, Alexis White, lauréate du prix Miles Franklin pour son roman de2008, Carpentaria, est d’origine chinoise et en partie aborigène. Il existe des centaines, voire des milliers de telles histoires, et je dis souvent que les Chinois sont des premiers Australiens multiculturels.
Nous avons actuellement environ 1,2, à 1,3 million de personnes d’ascendance chinoise en Australie. Il y a environ trois ou quatre ans, le président Xi Jinping a commencé à suggérer que tout Chinois demeurant à l’étranger devrait s’unir et rester fidèle à la Chine. En fait, cette politique venait du Kuomintang à Taiwan, jusqu’à ce que le Premier ministre Zhou Enlai, un penseur stratégique très brillant, l’abandonne en 1954, après avoir compris que c’était mauvais pour la Chine et les Chinois, en particulier en Asie du Sud-Est, en raison des soupçons, nourris par les États-Unis, que derrière ces Chinois se cachait une « cinquième colonne » pékinoise. Zhou a créé une loi sur la nationalité et la citoyenneté qui demande aux Chinois à l’étranger de choisir entre la Chine et le pays où ils vivent, et la Chine préférait le choix d’être bon citoyen dans le pays où ils vivent. Mais maintenant Xi Jinping sembler suggérer le contraire. À l’époque, la rhétorique du gouvernement de Morrison alléguait que pratiquement toutes les personnes d’origine chinoise étaient des « larbins » du Parti communiste chinois. Et, pour sûr, il y avait beaucoup d’activisme mené par le personnel consulaire chinois, en particulier dans les universités.
FC Vous faites allusion aux Instituts Confucius ?
SF Oui, mais aussi à la population étudiante en général et à leurs propres organisations d’étudiants. Il y a environ deux ans, j’ai commencé à soulever cette question ici, en Australie. Faisant référence à la politique de Zhou Enlai, j’ai dit au Consul Général australien que, s’il parvenait à parler à Xi Jinping, j’espérais qu’il mentionne le fait que ces messages pouvaient être très préjudiciables aux Chinois en Australie. J’ai de la sympathie pour ces étudiants, coincés d’un côté par les demandes de loyauté envers la Chine et de l’autre par les autorités australiennes. Bien sûr, le Consul Général ici ne sera jamais en mesure de parler directement à Xi Jinping, mais il est presque certain que d’autres que moi diront des choses similaires et il sera obligé, comme vous le savez, d’en faire rapport au ministère des Affaires étrangères à Pékin. Actuellement il semble y avoir moins de tels messages en provenance de Pékin.
Cela dit, la ligne est étroite, car ces étudiants sont toujours des citoyens chinois, et leurs diplomates ici ont la responsabilité de veiller sur eux, de même que nous le faisons pour nos propres étudiants en Chine.
FC Ce qui est sûr d’inquiéter beaucoup de gens, ce sont les informations selon lesquelles la Chine exerce parfois des pressions sur les familles en Chine des Chinois à l’étranger. Voyez-vous des signes de cela ?
SF Oui, il existe des cas connus et prouvés, mais on ne peut jamais être sûr si cela vient du sommet, ou des fonctionnaires zélés de niveau intermédiaire et inférieur, ou un peu des deux. Bien que je n’aie pas eu connaissance de nouveaux cas depuis quelques mois, il y en a certainement eu dans le passé. C’est une autre ligne étroite, car de par sa nature, le système politique chinois exige la conformité.
FC Vous avez dit que la seule chose qui pourrait provoquer la Chine au point de devenir une menace pour l’Australie, serait un pacte explicite de défense stratégique avec, par exemple, les États-Unis. N’est-ce pas exactement ce qu’on a fait avec les accords Five Eyes, ANZUS, Quad et AUKUS[2].
SF C’est ce que nous faisons, mais plus que ces accords grandiloquents et symboliques, c’est le haut degré d’enchevêtrement dans lequel se trouvent les forces australiennes et américaines. Par exemple, depuis un certain temps déjà, le commandant adjoint des forces américaines dans le Pacifique est un officier australien en uniforme, avec 45 officiers australiens travaillant sous son commandement. Nous sommes également présents dans leurs armées de mer, de terre et de l’air, ainsi que dans Pine Gap et d’autres installations américaines en Australie qui gèrent des satellites espions, des missiles, etc. Pire encore, des gouvernements précédents semblaient même inviter la Chine à considérer l’Australie comme un pays hostile. Ainsi, si guerre il y avait entre la Chine et les États-Unis, l’Australie y serait entraînée. Et certains signes du nouveau gouvernement travailliste n’ont pas aidé, comme lors de la visite à Taiwan de Nancy Pelosi et les exercices militaires chinois consécutifs. Penny Wong, qui jusque-là ne prêchait que la retenue, s’est laissée entraîner à participer à une déclaration commune avec les États-Unis et le Japon qui condamnait la Chine. Cela n’était pas nécessaire, je pense.
FC Lorsque Malcolm Fraser est devenu Premier ministre, en 1975-1976, vous avez écrit quatre dépêches à son ministre des Affaires étrangères, Andrew Peacock, disant que nous devons apprendre à connaître nos voisins afin de comprendre si leurs actions sont contraires à nos intérêts ou non. De toute évidence, nous en sommes loin et avons peut-être même régressé dans ces dernières décennies. Cela a été évident lorsque l’ambassadeur Xiao Qian s’est récemment adressé au National Press Club à Canberra, avec le message que la Chine reconnaissait la nécessité de réinitialiser ses relations avec l’Australie, et suggérait de commencer par une concertation sur nos points d’accord, avant d’aborder nos différends, avouant qu’il y en avait. Il a également déclaré que la Chine était prête à tout négocier, sauf Taiwan. Cependant, pendant qu’il parlait, la caméra de télévision a montré les expressions hostiles des journalistes australiens, qui semblaient ne pas l’écouter. Avec ses questions, la presse ciblait les sujets de désaccord entre la Chine et l’Australie. Vous deviez trouver cela très frustrant. Cela dit, l’avis des gens ordinaires est important. Il y a un proverbe, chinois je pense, qui dit que le poisson pourrit par la tête, ce qui signifie que le gouvernement peut influencer la façon dont les Australiens voient la Chine. En êtes-vous d’accord ?
SF Oui, j’ai trouvé son message assez conciliant et très professionnel. Oui, absolument. Pendant les gouvernements des Premiers ministres Whitlam, Fraser, de Hawke et Keating, du 1972 à 1996, les messages venant d’en haut étaient tous très positifs. Cela a commencéà changer à partir de l’élection du Premier ministre John Howard, qui a encouragé le racisme avec des histoires d’immigrés « boat people », dont on disaitqu’ils jetaient leurs enfants dans la mer.
SF Oui, j’ai trouvé son message assez conciliant et très professionnel. Oui, absolument. Pendant les gouvernements des Premiers ministres Whitlam, Fraser, de Hawke et Keating, du 1972 à 1996, les messages venant d’en haut étaient tous très positifs. Cela a commencé à changer à partir de l’élection du Premier ministre John Howard, qui a encouragé le racisme avec des histoires d’immigrés « boat people », dont on disait qu’ils jetaient leurs enfants dans la mer.
Pour un temps, entre 2007 et 2013, les gouvernements travaillistes des Premiers ministres Rudd et Gillard semblaient ne pas se rendre compte, ou peut-être ne voulaient pas savoir à quel point la situation était grave. Mais le message des dirigeants est important, ne serait-ce que parce qu’il fournit des informations aux journalistes favoris, connus dans certains milieux sous le nom de « sténographes » ou « journalistes d’accès » plutôt que d’investigation, car ils ne font que transcrire ce qu’on leur dit et ils n’ont aucune compréhension de la Chine, du Japon ou de l’Indonésie, par exemple, ils ne parlent pas leurs langues et ce qu’ils écrivent est unidimensionnel. C’est un problème sérieux au sujet duquel nous sommes revenus au temps de la guerre au Vietnam.
FC Est-ce là que l’éducation entre en jeu? Dans les années 1960 à 1970, j’ai étudié l’indonésien au lycée et l’histoire de l’Inde ancienne à l’université. C’était très inhabituel à l’époque, mais c’était possible, et je pense que ça ne l’est plus maintenant.
SF En effet, du début des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990, notre système d’enseignement a encouragé l’étude des langues et des cultures asiatiques. Inverser le déclin de cette politique, depuis largement avancé, sera aujourd’hui difficile et demandera des messages forts venant d’en haut, aussi bien que de l’argent. Le gouvernement a aussi besoin de s’éduquer lui-même : même si quelques ministres travaillistes apprennent actuellement des langues asiatiques, la grande majorité de ceux qui gèrent le pays n’a aucune connaissance de la Chine, de l’Indonésie ou du Cambodge, par exemple. Et alors qu’ils ont des contacts bien établis chez les Américains et les Britanniques, ces contacts manquent avec les pays de l’Asie et du Pacifique. Cela les empêche de voir les questions depuis le point de vue des autres, et donc d’avoir une meilleure compréhension de notre région et de pouvoir travailler mieux avec eux.
FC Mais, est-ce que celaconcerne uniquement l’enseignement supérieur ? Que diriez-vous d’enseigner les langues asiatiques dans le primaire ?
SF Oh, oui, absolument, et j’ai une expérience directe avec le gouvernement du Queensland à la fin des années1980 et début des années1990, pour ce qui est de l’enseignement de « LOTE » (langues autres que l’anglais).J’ai été inspiré par l’enthousiasme des parents et des enseignants dans de minuscules villages éloignés des grandes villes ou l’unique enseignant avait à peine une leçon d’avance sur le cours de langue chinoise qu’il donnait aux enfants, ce qui ne l’empêchait pas de parler et d’écrire quelques caractères sur le tableau. Malheureusement, tout cela a largement disparu.
FC L’échange international des étudiants apporte des avantages aussi bien au pays d’accueil qu’au pays d’origine, comme nous l’avons appris au fil des décennies avec le système d’échange Colombo. Aussi, lorsque cela s’interrompt, comme cela s’est produit avec la pandémie et ses retombées, tout le monde est perdant. Est-ce que l’Australie recommencera à recevoir des étudiants asiatiques, et est-ce que les parents recommenceront à envoyer leurs enfants en Australie ?
SF Pendant un moment, alors que nous étions vraiment dans le congélateur, Pékin donnait, sinon des messages négatifs, du moins des conseils pour ne pas aller étudier en Australie. Je n’ai pas vu de ces messages récemment, mais beaucoup de parents peuvent encore être réticents. J’ai été un peu surpris que l’ambassadeur Xiao Qian, dans son discours de la semaine dernière, ait déclaré qu’il y avait 110.000 étudiants chinois en Australie, bien plus que ce que j’avais entendu, suggérant qu’il y a eu une certaine reprise. Malgré des opportunités aux États-Unis, en Grande Bretagne et au Canada, l’Australie reste une destination de choix pour les étudiants et leurs familles. Le système éducatif australien est toujours en haute estime, malgré une certaine baisse de qualité, et il y a encore une énorme demande latente des étudiants pour étudier à l’étranger. Mais ce sera lent. Les universités australiennes doivent se mettre sur le devant de la scène, être présentes en Chine, comme à l’époque où les chanceliers académiques allaient remettre des prix lors des remises de diplômes à Shanghai et dans d’autres grandes villes chinoises. C’était un peu naïf peut-être, mais c’était aussi très malin. Beaucoup de nos universités ont des relations privilégiées avec des universités en Chine, certaines même avec des sous-campus. Fait intéressant, ce week-end il y a eu un long article dans un des principaux journaux australiens à propos de l’augmentation très significative du nombre d’étudiants indiens en Australie, qui est aujourd’hui sur le point de devancer la Grande-Bretagne en tant que destination de l’immigration indienne. Cela va probablement continuer.
En conclusion, Frances Cowell souligne que le Dr Fitzgerald dresse un tableau de presque trois décennies des relations extérieures gâchées, mais ce qui émerge de cette conversation c’est l’opportunité importante pour l’Australie d’exploiter la richesse de ses abondantes ressources naturelles, son système d’enseignement réputé et la diversité de sa population dans un effort soutenu pour résoudre avec ses voisins les questions importantes de sécurité et du changement du climat.
Le gouvernement donne des signes favorables, mais afin de saisir cette opportunité, l’Australie a besoin de regagner la confiance d’autrefois des autres pays asiatiques et du Pacifique. Cela demandera des efforts et de la prévenance à tous les niveaux du gouvernement. Sur le plan international, elle doit protéger ses intérêts stratégiques et être circonspecte en ne s’engageant pas dans des conflits qui n’iront pas forcément dans le sens de ses propres intérêts, en particulier avec ses alliés traditionnels pour ce qui est de la sécurité. Sur le plan national, elle doit exploiter son abondant soleil et développer sa capacité à innover et à entreprendre pour se libérer de sa dépendance au charbon. Comme le dit le Dr Fitzgerald: il faudra mettre de l’ordre chez soi. Ainsi, on aura besoin, par l’éducation et le dialogue à tous les niveaux, d’amener les Australiens, toutes ascendances confondues, à s’entendre de manière constructive avec leurs voisins. Relever ces défis coûtera cher, mais la récompense en vaudra le prix. Ne pas le faire coûtera davantage coûteux, aussi bien à l’Australie, qu’à ses voisins.
Frances Cowell
15 août, 2022
[1] Frances Cowell, membre de l’Institut du Pacifique, actuellement en résidence à Paris, est auteure indépendante publiant sur des sujets de relations internationales. Cette activité fait suite à une longue carrière dans le domaine de la gestion des investissements en Australie, et également depuis son arrivée en Europe en 1998. Elle est l’auteur de nombreux articles et de 3 livres sur la gestion des investissements et des risques.
[2]Five Eyes : alliance des services de renseignements créé en 1941 entre l’Australie, le Canada, les Etats-Unis, la Nouvelle Zélande, et le Royaume-Uni. Sa capacité de surveillance a été élargie après 2001.
ANZUS (Australia, New Zealand, United States Security Treaty: pacte militaire signé à San Francisco le 1er septembre 1951 entre les 3 Etats.
Quadrilatéral Security Dialogue (Quad) est une coopération informelle entre l’Australie, les Etats-Unis, l’Inde et le Japon dans les années 2000, restée en sommeil pendant une dizaine d’années et ravivée depuis 20&7 avec des sommets réguliers et ces dernières années des exercices militaires conjoints (manœuvres annuelles Malabar). Cette coopération est vue comme une réaction à la puissance grandissante de la Chine.
AUKUS (Australia, United Kingdom et United States) est une alliance tripartite entre les 3 Etats rendue publique le 15 septembre 2021.Elle vise à contrer l’expansionnisme chinois dans l’Indopacifique.
[3]Le système Colombo, lancé le 10 décembre 2013, est une initiative phare du gouvernement australien visant à relever le niveau des connaissances dans la Région Indopacifique en Australie et à renforcer les relations interpersonnelles et institutionnelles à travers des études et des stages entrepris par des étudiants australiens de premier cycle dans la région.
Le samedi 21 mai 2022, les Australiens ont voté un changement de gouvernement, remplaçant la précédente coalition libérale-nationale par un nouveau gouvernement travailliste, dirigé par le Premier Ministre Anthony Albanese. Les premiers signes indiquent que les voisins de la région Asie-Pacifique ainsi que le reste du monde se rendront compte de la différence.
Comme son voisin proche, la Nouvelle Zélande, l’Australie est, à la fois européenne et asiatique: histoire européenne et géographie asiatique. Son histoire, en tant que colonie britannique, lui a légué son système légal, sa langue, sa culture et sa cuisine. Jusqu’à récemment, l’histoire dictait également la plupart de ses relations avec le reste du monde, qui était constitué, pour une grande partie, par d’autres membres du Commonwealth britannique, dont quelques-uns étaient aussi des voisins. En outre, la plupart des revenus étrangers de l’Australie venaient des ressources abondantes en matières premières qu’elle fournissait aux usines textiles et aux chantiers navals britanniques, notamment en laine, en charbon et en minerai de fer, négociant peu avec les pays d’Asie et du Pacifique, même si c’est là où elle se situe.
L’Australie est loin de tout: ses voisins les plus proches, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et la Nouvelle Zélande, se trouvent à quatre heures de vol de Sydney. Jakarta est à sept heures et l’Europe et les États-Unis sont respectivement à 23 et à 13 heures. Séparée de l’Europe géographiquement et de l’Asie linguistiquement et culturellement, il n’est pas étonnant que les Australiens se sentent parfois éloignés et isolés des affaires du reste du monde.
Dans les années qui ont suivi sa fédération (en 1901), l’Australie a renforcé son européanité avec sa politique de l’Australie Blanche, une politique d’immigration ouvertement raciste qui a rendu pratiquement impossible pour un non-européen de s’installer en Australie. Ses voisins d’Asie et du Pacifique sont restés des «étrangers» pour la plupart des Australiens.
Le bouleversement complet de l’ordre mondial qui a suivi la Deuxième guerre mondiale a vu les industries traditionnelles britanniques, telles que textiles et sidérurgiques, décliner face à une concurrence féroce, principalement asiatique. C’est alors que ces concurrents, notamment le Japon, sont devenus des marchés australiens pour les matières premières telles que le charbon et le minerai de fer. Ce changement des marchés a reçu une nouvelle impulsion lorsque la Grande-Bretagne a rejoint la Communauté Economique Européenne en 1973. Peu après, les flux d’immigration ont reflété ce repositionnement asiatique: la politique de l’Australie Blanche a été abandonnée.
Depuis, la géographie et l’histoire ont guidé tour à tour les relations de l’Australie avec le reste du monde. On est peut-être en train de voir aujourd’hui la géographie prendre la première place en raison de ce que les Australiens pensent être deux de leurs plus grandes menaces: la Chine et le changement climatique. Les deux peuvent avoir d’importantes conséquences pour d’autres états asiatiques, et surtout pour les habitants des états insulaires du Pacifique.
Signe que la géographie est désormais dominante, Monsieur Albanese s’est rendu à Tokyo le lendemain de son entrée en fonction pour assister à la réunion prévue appelée « Dialogue Quadrilatéral pour la Sécurité » (QUAD, par son acronyme anglais), avec le Président Joe Biden et le premier ministre indien Narendra Modi.
Le premier ministre australien a passé quatre de ses sept premières semaines à l’étranger, en pourparlers bilatéraux avec Jokowi, président de l’Indonésie, en participant au sommet de l’OTAN à Madrid, puis en d’autres pourparlers bilatéraux avec les présidents français Emmanuel Macron et ukrainien Volodymyr Zelenski. Il est raisonnable de supposer que la Chine n’était jamais très loin à l’ordre du jour.
Il est facile d’oublier que les relations entre l’Australie et la Chine remontent à longtemps. Une minorité substantielle d’Australiens sont de souche chinoise d’ancêtres arrivés en Australie pendant la ruée vers l’or dans les années 1850.
L’Australie a peut-être aussi été le premier pays «occidental» à rechercher une entente avec la Chine, lorsque Gough Whitlam, alors chef de l’opposition, puis premier ministre travailliste, s’est rendu le 3 juillet 1971 à Pékin pour des entretiens avec Zhou Enlai. A cette époque, il ne pouvait pas savoir qu’à ce moment même Henry Kissinger était déjà littéralement en route, arrivant en Chine six jours plus tard pour sa première visite secrète de préparation à la visite présidentielle de Richard Nixon l’année suivante. En effet, les raisons de Kissinger et de Whitlam pour prendre contact avec la République Populaire étaient très similaires. L’historien australien William Griffiths écrit, dans son livre de 2012 The China Breakthrough: Whitlam in the Middle Kingdom, 1971, que Whitlam a soutenu qu’il était déraisonnable d’ignorer les leaders politiques d’un quart de la population mondiale. Kissinger, dans le volume de ses mémoires intitulé A la Maison Blanche, p 823, dit:« … Nous étions également conscients que l’alternative était inacceptable –le maintien de l’exclusion d’un quart des personnes les plus talentueuses au monde… ».
Cela s’explique en partie par le fait que l’économie australienne dépend fortement de la Chine, qui absorbe 33,5% de ses exportations, loin devant les 8,6% qu’elle envoie au Japon, son deuxième plus grand marché d’exportation. Jusqu’à récemment, les consommateurs chinois soutenaient l’industrie touristique australienne de même que son système éducatif, en finançant les études de leurs enfants dans les universités australiennes. De riches Chinois ont investi dans les biens immobiliers afin d’obtenir des droits de résidence en Australie, contribuant ainsi à un boom immobilier record. Mais ce sont surtout les immenses quantités de charbon et de minerai de fer qui constituent l’essentiel de ces 33,5%.
Il y avait, depuis longtemps, de la grogne autour des activités chinoises dans ce que considèrent les Australiens comme leurs secteurs de pêche, et il y avait aussi des inquiétudes quant aux violations des droits de l’homme au Tibet et au Xinjiang, et à la répression par les forces de sécurité à Hong Kong. Mais les relations entre l’Australie et la Chine ont radicalement changé avec la pandémie. La Chine s’est sentie offensée par la demande australienne d’une enquête internationale sur les origines du virus Covid-19. De même, les violations des droits territoriaux dans la Mer de Chine Méridionale et les inquiétudes croissantes quant au fait que les Instituts Confucius établis dans de nombreuses universités servaient en quelque sorte de cinquième colonne pour l’espionnage chinois, y compris de citoyens australiens, ont également contribué à la défiance actuelle face à ce qui est considéré comme de l’intimidation chinoise.
Les nouvelles des sécheresses sans précédents assorties d’images déchirantes de kangourous effrayés, certains avec des bébés dans leur poche, cherchant désespérément à échapper aux feux qui dévastaient une grande partie des magnifiques forêts adorées d’Australie, qui décimaient des populations entières d’animaux tellement mignons et aimés des Australiens, et qui détruisaient des dizaines de milliers des maisons, entrainant la mort de concitoyens, étaient accompagnées de l’information selon laquelle le Premier ministre Scott Morrison n’allait pas écourter ses vacances à Honolulu, comme l’aurait fait tout autre premier ministre. Plus cyniquement encore, Monsieur Morrison s’est vanté d’un morceau de charbon posé sur son bureau, emblème de son soutien à cette industrie, au mépris de l’opprobre international. Le changement climatique s’est ainsi joint à la menace chinoise comme l’un des problèmes dominants actuels.
Des signes précocesmontrent que le nouveau gouvernement a reçu ce message.
N’étant plus climato-sceptique, le gouvernement actuel a annoncé à la mi-juin 2022 son objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 43% par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030, avec des émissions nettes nulles d’ici 2050, conformément à ses engagements dans l’Accord de Paris de la COP21 de 2015, qu’il s’engage à inscrire dans la loi. Avec beaucoup de soleil et de vent, l’Australie veut, et a ce qu’il faut pour être considérée comme une «superpuissance de l’énergie propre». À cette fin, le nouveau gouvernement promet de nombreux nouveaux investissements dans le réseau électrique, le stockage des accumulateurs, les véhicules électriques et le développement d’énergies renouvelables, entre autres. Il a chargé certains de ses ministres les plus talentueux de superviser cette transition.
Le changement climatique, plus que tout, a rapproché l’Australie de ses voisins du Pacifique, qui le considèrent presque tous comme leur principale préoccupation, notamment parce que les conditions météorologiques changeantes et le niveau de la mer déjà en hausse menacent leur existence même. En revanche, une certaine ambivalence vis-à-vis de la Chine est évidente dans certains états du Pacifique: d’une part, la Chine promet des investissements en infrastructures indispensables, mais d’autre part, on se méfie des opérations de pêche chinoise illégales dans leurs eaux, qui leur coûtent environ 150 millions de dollars US par an de perte de revenus. L’Australie peut leur être d’une grande aide, mais a besoin de leur coopération pour contrer les avancées chinoises, dont les investissements dans des infrastructures sont soupçonnés par l’Australie d’être à l’avant-garde de l’établissement d’une présence militaire chinoise qui compliquerait les communications maritimes et aériennes entre l’Australie et les États-Unis, entre autres.
Étant petits et éloignés, il a été facile de négliger les besoins des états insulaires du Pacifique, de sorte qu’ils ont souffert de sous-investissement et de manque d’opportunités pour leurs jeunes. En tant que protectorats de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, des États-Unis, ou d’anciennes colonies britanniques, les relations ont été inégales, voire paternalistes: l’Australie considérant ses obligations comme avant tout morales. Cela a changé: la relation est maintenant bilatérale où chaque partie défend sans passion ses propres intérêts personnels dans tous les domaines.
Au cours de ses cinq premières semaines de mandat, Penny Wong, la nouvelle et très respectée ministre des affaires étrangères australienne, a effectué des visites officielles aux iles Fidji, Samoa, Tonga, Salomon et en Nouvelle-Zélande, au Vietnam et en Malaisie, toutes sauf une concernant des pourparlers bilatéraux. La tâche de Mme Wong est de faire de l’Australie, avec la Nouvelle-Zélande, le«partenaire fiable de choix» pour ces états vulnérables, afin de présenter une alternative réaliste aux avancées chinoises souvent piégeuses, notamment dans les îles Salomon.
L’aide matérielle annoncée par le nouveau gouvernement comprend une aide pour établir et maintenir la sécurité officielle dans la région, par exemple par le biais du Programme de Sécurité Maritime du Pacifique et d’une nouvelle Ecole de Défense pacifico-australienne. En lien avec cela, et pour les aider à garder la tête hors de l’eau, des initiatives sont créées visant à développer la sécurité et l’indépendance énergétiques par le biais d’un Partenariat de Financement de l’Infrastructure Climatique. L’Australie investira également dans leurs économies, par exemple en aidant à développer les marchés d’exportation des insulaires, en mettant à jour les lois dont celles sur le e-commerce, et surtout en améliorant la mobilité des travailleurs en accordant aux insulaires du Pacifique le droit de vivre et de travailler en Australie. L’Australie a depuis longtemps exporté sa culture dans la région, non seulement par le biais des milliers de touristes australiens chaque année; mais aussi désormais par davantage d’émissions de télévision et de radio. Des visites parlementaires auront aussi lieu dans le but de maintenir l’élan de ces initiatives.
Rien de tout cela ne veut dire que l’Australie se détourne de l’Europe. M. Albanese s’est, après tout, précipité à Kyiv et à Paris lors de ses premières semaines, en partie pour restaurer les relations avec la France après le contretemps de l’affaire des sous-marins, mais aussi sans doute pour tenter de faire avancer l’accord de libre-échange Australie-Union Européenne. AUKUS, le partenariat de défense avec le Royaume-Uni et les États-Unis, est bel et bien vivant, sous-marins et tout le reste. Le grand changement dans ses relations extérieures est que, plutôt que de s’engager en Asie-Pacifique en tant que partenaire des États-Unis ou d’une puissance européenne, l’Australie agit maintenant de sa propre volonté, comme le faisait en 1971GoughWhitlam. L’histoire s’estompe avec le temps. La géographie, elle, est éternelle.
Frances Cowell
Dans l’article « Pénétration insidieuse de la Chine dans le Pacifique : l’exemple des îles Salomon »[1], relatant la signature d’un accord de sécurité entre la Chine et les Iles Salomon, étaient mentionnés les propos de Karen Andrews, alors ministre australienne de l’Intérieur, considérant comme « très probables » l’envoi de troupes chinoises sur l’île et la construction d’une base navale chinoise[2].
Le Pacifique sud est un théâtre de tensions entre la Chine et les Etats-Unis depuis une quinzaine d’années, notamment depuis la Présidence Obama[3]. Les ambitions chinoises ont été de plus en plus affichées clairement, et depuis l’affirmation d’une « amitié solide comme un roc entre la Chine et la Russie » à Pékin le 4 février dernier, la Chine ne cache plus son désir de transformer l’ordre international pour élargir son influence dans le monde ; le Pacifique n’y échappe pas bien sûr. Si quatre des Etats insulaires (Marshall, Nauru, Palau, Tuvalu)[4] reconnaissent toujours Taïwan, les flottes « de pêche » chinoises sillonnent largement tout l’espace maritime et pourraient couper les lignes d’approvisionnement, la distinction civil/militaire étant pour le moins floue, comme le mentionne la loi chinoise de 2017 sur le renseignement.
La tournée de visites du Ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi dans huit Etats insulaires du Pacifique[5] entre le 26 mai et le 4 juin 2022, qui a débuté aux îles Salomon, serait-elle un deuxième pas d’une stratégie bien construite ? Après avoir « sécurisé » à son profit ses approches en Mer de Chine, un contrôle plus lointain des accès du Pacifique pourrait éviter des « soutiens extérieurs » dans le cas d’un conflit avec Taïwan (Etats-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande)[6]…La première chaîne d’îles qui étaient toutes sous l’influence américaine, a été peu à peu « conquise » au détriment des voisins philippins, vietnamiens, malais… dans le cadre de la « théorie de neuf traits », ne respectant pas la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer dont la Chine est pourtant signataire. Il reste maintenant à envisager un « deuxième cercle » visant éventuellement à rendre plus difficile, voire à couper, la liaison avec les Etats-Unis et l’Australie. Les contraintes pesant sur la circulation maritime dans le détroit de Malacca pour la Chine seraient ainsi contournées par un contrôle facilité des détroits de Lombok et de la Sonde.
L’objectif des visites de M. Wang Yi, « renforcer les relations de libre-échange et la coopération en matière de sécurité », est présenté par la Chine, premier partenaire commercial dans la région, dans un projet d’accord sur « une vision commune du développement » et dans un plan d’action portant sur cinq ans. Cela peut être interprété comme une réponse chinoise au Quad et à l’Aukus, la Chine aspirant au statut de « gendarme régional ». Si la « vision » générale de ce voyage aux « motifs de paix, de prospérité et de coopération » est publiée en anglais, les accords secrets visent en fait à instaurer une dépendance progressive dans les domaines-clés de l’économie, des télécommunications et de la sécurité.
La Chine offrirait « des millions de dollars » d’assistance avec possibilité d’accès au marché chinois. Elle se chargerait aussi de former les diplomates et forces de police, s’impliquerait dans la cybersécurité locale ( !), pourrait réaliser des opérations de protection des fonds marins et de cartographie marine[7] et obtiendrait un accès privilégié aux terres agricoles et aux ressources naturelles locales[8] de ces Etats insulaires. Malgré quelques fuites, ces accords bilatéraux sont restés secrets. Les différentes discussions bilatérales devaient être conclues le 30 mai 2022 lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères avec M. Wang Yi au Forum des îles du Pacifique à Fidji (or, certains Etats membres du Forum n’ont pas de relations diplomatiques avec Pékin).
L’accord signé avec les îles Salomon en avril dernier serait-il une sorte de modèle, notamment en matière de sécurité, que la Chine voudrait dupliquer dans une région de 9 millions d’habitants disséminés dans près de 300 îles du Pacifique sud, disposant de vastes ZEE et considérée comme stratégique par Pékin ? Bien que pas clairement dévoilé, il semblerait que le projet multilatéral proposé par Pékin n’ait pas obtenu le succès escompté, certains Etats ayant indiqué qu’ils avaient besoin de temps pour étudier le projet d’accord… Aucun communiqué commun n’a été publié à l’issue du sommet de Fidji et les négociations vont se poursuivre afin de « dégager un consensus sur la coopération à venir ». Parmi les quinze points soumis par Wang Yi à ses partenaires, les premiers rappelaient le principe « d’une seule Chine » et de la non-prolifération. C’est donc bien la question de Taïwan qui sous-tend le projet en visant à allier le maximum d’Etats au régime de Pékin.
La résistance à « l’influence » chinoise (aux pressions ?) se présente sous deux angles : un refus poli de certains Etats insulaires et une offensive de charme de la part des grandes puissances présentes dans la région.
Certains Etats insulaires s’inquiètent de la politique menée par Pékin et tentent d’alerter sur « l’attrait » des propositions commerciales et sécuritaires chinoises. David Panuelo, Président des Etats fédérés de Micronésie, qui était intervenu le 10 mars dernier à Paris[9], a mis en garde,dans une lettre de huit pages, ses collègues contre des « propositions attrayantes susceptibles de donner à la Chine des moyens d’acquérir accès et contrôle sur (la) région » (contrôle des infrastructures, espionnage des câbles sous-marins…). M. Panuelo qui n’a pas hésité à accuser la Chine « de fracturer la paix, la sécurité et la stabilité régionales », de provoquer « une nouvelle ère de guerre froide », est désormais la cible d’attaques violentes.
La formation des policiers par Pékin dont les méthodes musclées sont dénoncées[10], a notamment soulevé de fortes réticences de la part d’Etats qui n’ont pas d’armée.
En outre, en nouant ces relations privilégiées, la Chine a provoqué des clivages/tensions dans les instances politiques locales (Cf aux îles Salomon, l’opposition de Malaita au Premier Ministre, note 1), des troubles intérieurs, des divisions internes dont elle cherche ensuite à tirer profit. En outre, les grands travaux d’infrastructures s’accompagnent de l’Implantation de populations chinoises pour les mettre en œuvre et pour ouvrir de nombreux commerces, modifiant sensiblement les structures sociales locales.
Cependant, après avoir signé le 18 mars un accord avec les îles Salomon, la Chine a conclu quelques autres accords bilatéraux :
Les Etats-Unis, très présents dans la région depuis la Deuxième Guerre Mondiale, alliés des Etats démocratiques, cherchent à renforcer leurs alliances, notamment en revitalisant le Quad[12]. Les visites officielles se multiplient dans la région Asie-Pacifique : M. Anthony Blinken en février, M. Kurt Campbel, en charge de l’Indopacifique dans l’administration Biden en avril, puis le Président américain en visite en Corée et au Japon du 21 au 24 mai. Le Japon a décidé d’augmenter ses dépenses militaires à hauteur de 2% de son PIB et va contribuer avec les Etats-Unis à « surveiller les activités de la marine chinoise, ainsi que les mouvements liés aux exercices conjoints de la Chine et de la Russie ». Les Etats-Unis ont aussi lancé l’idée d’un front économique asiatique pour compléter le Quad en créant un partenariat commercial pour contrer les ambitions chinoises : le Cadre économique indopacifique (Ipef) réunissant 13 pays représentant 40% du PIB mondial : Australie, Brunei, Corée du sud, Etats-Unis, Inde, Indonésie, Japon, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam. L’objectif est de faciliter l’intégration de ces pays dans le domaine de l’économie numérique, des chaînes d’approvisionnement, des énergies vertes et de la lutte contre la corruption.
Insistant sur le maintien d’une zone indopacifique libre et ouverte, les membres du Quad se sont limités aux grands principes afin d’éviter de heurter l’Inde qui se refuse à condamner la Russie dans le conflit ukrainien.
Les Etats-Unis ne sont pas perçus comme une puissance coloniale, et les Etats de la région souhaiteraient qu’ils s’engagent davantage dans des projets de développement. Le Japon et l’Inde seraient aussi appréciés car les infrastructures qu’ils proposent n’entraînent pas une dépendance comme les projets chinois.
L’Australie, avec son nouveau Premier Ministre Anthony Albanese, a annoncé « une intensification » de son engagement dans le Pacifique en matière de défense et de sécurité maritime. Dès le lendemain de sa nomination, le 26 mai, Penny Wong, nouvelle ministre des Affaires étrangères, a effectué sa première visite officielle aux îles Fidji, puis à Kiribati afin de montrer l’implication de son pays pour ces Etats insulaires et son désir de renforcer sa politique de développement, notamment dans le domaine du changement climatique. Mme Wong, d’origine sino-malaysienne et polyglotte, est un acteur majeur de la politique de charme que l’Australie entend mener dans la région Asie-Pacifique face à l’influence croissante de la Chine[13].
La Nouvelle-Zélande, avec Mme Jacinda, son premier ministre, s’est prononcée en faveur d’une politique de sécurité conduite par les autorités nationales des Etats, sans l’aide de la Chine qui propose « des accords obscurs, vagues et peu transparents ».
Cependant l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont été impliquées dans l’esclavage dans les îles du Pacifique, et suscitent davantage de méfiance que les Etats-Unis.
La réaction chinoise
Vis-à-vis de l’Australie, la Chine tente de nouer des relations « apaisées »[14] avec le gouvernement nouvellement élu, « prête à travailler pour se pencher sur le passé et regarder vers l’avenir … pour promouvoir la croissance saine et constante de leur partenariat global » (LI Keqiang, Premier ministre chinois).
D’une manière générale, la Chine veut apparaître comme un partenaire commercial fiable : « La Chine veut faire des affaires, pas la guerre », a affirmé M. Wang Yi, Ministre chinois des Affaires étrangères. Il s’insurge contre les « calomnies et les attaques » dirigées contre ces accords. M. Wang Yi a réaffirmé que Pékin ne construirait pas de base militaire aux îles Salomon, mais que n’est pas exclue la construction d’un port civil où pourraient faire escale des bâtiments de l’APL. On peut se remémorer le précédent de Djibouti[15]. De toute façon, la Chine estime que le temps joue en sa faveur face à un Occident déclinant. Son influence économique va se développer avec sa zone de libre-échange RCEP (en vigueur depuis 2022) et « la Chine est un voisin qui ne déménagera pas, … réalité (à prendre en compte) par les pays d’Asie du sud-est »[16], laissant entendre que l’initiative économique lancée par les Etats-Unis, elle, n’a qu’un aspect conjoncturel…
Le contexte de la guerre en Ukraine risque-t-il d’encourager encore l’expansionnisme chinois en Mer de Chine et dans le Pacifique sud, expansionnisme désormais affiché et revendiqué ? Dominique Moïsi écrivait le 30 mai dans les Echos : « Et si Moscou et Pékin s’encourageaient l’un l’autre dans leur révisionnisme et leur expansionnisme respectifs ? ».
L’ambition chinoise vise à se doter d’une force militaire mondiale, d’accroître sa projection de puissance à partir d’opérations de lutte contre la piraterie et de maintien de la paix. Les livres blancs de la défense chinoise dès les années 90 prévoyaient l’amélioration des installations logistiques à l’étranger pour y accomplir « des tâches militaires diversifiées ». Le modèle de « base à double usage » permet à la Chine de « rentabiliser » ses investissements à des fins commerciales, mais aussi militaires.
Les Etats-Unis – et l’Australie – ont bien perçu que le but de la Chine est de les « bouter » hors du Pacifique, et tentent de renouer de meilleures relations avec les Etats insulaires de la région, en prenant en considération notamment le changement climatique, enjeu principal pour ces Etats[17]. Ces micro-Etats sauront-ils ? pourront-ils ? défendre leurs intérêts et tirer profit de ce nouveau contexte géopolitique ? Pourront-ils résister à cet affrontement Chine-Etats-Unis qui peut éventuellement s’envenimer ?
Hélène Mazeran
Sources : CleoPaskal : « Le but de la Chine est de bouter les Etats-Unis hors du Pacifique », in Le Monde, 5-6/06/2022
Blake Johnson & Justin Bassi : « China’s Pacific plan jeopardizes regional privacy and sovereignty”. Australian Strategic Policy Institute (ASPI), International Cyber Policy Center, 26 May 2022
Nick Perry: « China wants 10 Pacific Nations to sign a major cooperation agreement” in The Diplomat, Associated press, New Zealand, 26 May 2022
Le Figaro : Regis Arnaud, Armelle Bohineust, Sebastien Falletti, 25, 27/05/2022 et 07/06/2022
Le Monde : Philippe Mesmer et Philippe Pons, 25/05/2022
AFP : Andrew Beaty, 25, 26, 29/05/2022 et 02/06/2022
[1] Cf Hélène Mazeran, Institut du Pacifique, 30 avril 2022.
[2] Cf Caroline Moureaux. AFP. 27 avril 2022.
[3] Cf François Godement in Le Figaro, 25 mai 2022.
[4] Ces 4 Etats n’ont pas été visités par M. Wang Yi en mai-juin 2022.
[5] Fidji, Kiribati, Papouasie-Nouvelle Guinée, Salomon, Samoa, Timor oriental, Tonga, Vanuatu.
[6] On notera le rôle-clé des îles de Pacifique sud, mis en évidence par le Japon et les Etats-Unis durant le Deuxième Guerre Mondiale. Dans le cas d’un contrôle par la Chine, on s’interrogera sur l’efficacité du Quad ? sur la possibilité française de déployer ses forces en Nouvelle Calédonie ? ….
[7]La Chine est d’ores et déjà le plus gros destructeur de corail et de fonds marins pour se procurer les éléments de construction de ses bases navales et aériennes illicites en Mer de Chine méridionale (cf. les conclusions de la cour permanente d’Arbitrage de la Haye https://www.nytimes.com/2016/07/13/world/asia/south-china-sea-hague-ruling-philippines.html du 12 juillet 2016).
[8] Cf note 1.
[9] Cf note 1.
[10]En particulier au Tibet, au Xinjiang et à Hong-Kong.
[11] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/vanuatu/
[12] Cf l’article de Denis Lambert, Institut du Pacifique, 26 mai 2022.
[13] Cf Dorian Malovic in La Croix, 9 juin 2022
[14] Les relations entre Pékin et Canberra se sont dégradées depuis la demande australienne d’une enquête sur les origines du Covid en 2020.
[15] Cf Paul Nantulya : Considérations relatives à une éventuelle nouvelle base chinoise en Afrique. 12 mai 2022. Research Associate. Africa Center for Strategic Studies. National Defence University Washington.
[16]Dai Fan, Université de Jinan.
[17] Cf Nic Maclellan : La France dans le Pacifique. La Découverte. 1992.
La Russie multiplie les provocations en violant le 4 mai une nouvelle fois l’espace aérien de la Finlande. Une copie des survols chinois dans l’espace aérien de Taiwan ? Le but est clairement de pousser l‘Occident abhorré dans la guerre, mais pour laisser quel monde ? Il reste à parer ces actes hostiles sans se laisser entraîner dans le désastre souhaité par Vladimir Poutine et certains de ses très proches. Par ailleurs, la Russie a décidé de boycotter le Conseil de Sécurité de l’ONU qui se tient ce même jour, s’isolant ainsi un peu plus face aux nations qui de plus en plus nombreuses (comme celles de l’Amérique centrale à l’exception notable du Nicaragua) condamnent son invasion et son non respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
Plus de 99% de membres du comité électoral de Hong Kong ont élu le 8 mai John Lee, candidat unique, à la tête de l’exécutif de la ville pour les 5 prochaines années. Il prendra ses fonctions le 1er juillet prenant la suite de Carrie Lam. Parmi ses objectifs, il veut renforcer la sécurité nationale et accélérer l’intégration de ce hub financier à la Chine continentale. Exit le ’ un pays, deux systèmes ‘ ?
La Corée du Sud, 10e puissance économique mondiale, investit le 10 mai le président conservateur Yoon Suk-yeol qui prend les rênes du pays pour un mandat unique de 5 ans alors que son voisin du nord s’évertue à lancer missile sur missile pour se rappeler à l’existence du monde. Néanmoins Yoon Suk-yeol entend dialoguer avec Kim Jong-un, développer ses relations avec les USA et le Japon. Inutile de dire qu’il y a du pain sur la planche.
Les élections présidentielles se sont tenues le 9 mai aux Philippines et même si le 11 mai les résultats officiels ne sont pas encore annoncés, il apparaît que Ferdinand Marcos Jr les a remportées avec une majorité écrasante. Sara Duterte-Carpio a quant à elle été élue vice-présidente dans un suffrage séparé. Ferdinand Bongbong Marcos a reçu entre autres les félicitations de la Chine et des USA, pays qu’il devra habilement « ménager » dans une zone où les rivalités s’exacerbent.
Le sommet USA-ASEAN se tient à Washington les 13 et 14 mai marquant le retour des Etats-Unis dans la zone Indopacifique. Si tous les états sont présents, le Myanmar est représenté par une chaise vide. Les principaux sujets traités concernent la lutte contre la pandémie, le changement climatique, la transition vers les énergies propres, la durabilité des infrastructures et la lutte contre la pêche illégale avec la contribution des garde-côtes américains dans la région.
Est-ce que l’OMC sera à même de conclure un accord qui n’en finit plus de traîner alors que le 16 mai plus de 200 organisations de défense de l’environnement lui ont adressé un courrier ? L’objet de la missive est de parvenir à l’élimination des subventions à la pêche qui dérivent entre autres sur la surpêche.
Le président Widodo annonce le 19 mai que l’Indonésie va reprendre ses exportations d’huile de palme à partir du 24 mai même si localement le prix du litre d’huile de cuisson n’est pas redescendu à 14000 roupies, mais reste un peu au-dessus des 17000 roupies. Cette reprise devrait favoriser l’allégement de la pression sur un marché souffrant des répercussions de la guerre en Ukraine.
Jose Ramos-Horta a prêté serment le 20 mai à Dili comme président du Timor-Leste alors que le pays fête le 20e anniversaire de son indépendance. Le président en appelle à l’unité nationale et à la fin des déchirements entre les partis rivaux. Il souhaite l’adhésion de son pays à l’ASEAN.
Suite à sa victoire aux élections, le travailliste Anthony Albanese prête serment le 23 mai comme nouveau premier ministre australien. En ligne de mire de la politique qu’il entend mener se trouve le changement climatique, ce qui va dans le sens des attentes de nombre d’états océaniens. Mais sera-ce une rupture avec les pratiques de son prédécesseur vu le lobby du charbon ? L’avenir nous le dira.
Ferdinand Marcos Jr est officiellement proclamé le 25 mai président des Philippines ayant récolté 58,8% des suffrages, soit plus du double que sa concurrente Leni Robredo. Quelles lignes va-t-il adopter tant en politique intérieure qu’extérieure avec a priori une certaine continuité de ce qu’a fait Rodrigo Duterte, mais jusqu’à quel point ?
Avis de tempête dans le Pacifique sud ? Wang Yi, ministre des affaires étrangères chinois, entreprend le 26 mai une tournée dans 8 des états insulaires océaniens en commençant par les îles Salomon. L’objectif est de mettre en avant la coopération en matière de sécurité et de libre-échange dans cette région. Cela entraîne de vives réactions de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande qui sont déjà engagés entre autres dans des programmes de formation de défense et de sécurité maritime. Un moyen d’apaiser les tensions Chine – Etats-Unis ?
Quelques repères concernant la France en introduction :
L’actualité en 2021 a mis un coup de projecteur sur la zone indopacifique avec :
I – Tentative de définition de l’Indopacifique et des acteurs : De l’Asie-Pacifique à l’Indopacifique.
Pour la France, l’Indopacifique comprend le littoral des deux océans, et leurs terres adjacentes, ainsi que l’océan Austral.Est ici souligné l’aspect géographique d’un espace allant de Mayotte à Clipperton, mettant l’accent sur les océans.
1 – Au cours du XXème siècle : géographie et géopolitique
2 – Dans les années 2000 : Mondialisation des échanges et acteurs régionaux
Après la chute du bloc soviétique, la zone « Indopacifique » est plutôt centrée sur l’Indonésie et l’Australie, avec le Japon et l’Inde en périphérie. Parallèlement se développent les tensions (liées à la piraterie) et les contentieux (liés au droit de la mer).
Dès 2005, les Etats-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde évoquent la nécessité de contenir la Chine dans « l’Arc de la liberté et de la prospérité » au nom des valeurs démocratiques.L’Australie, les Etats-Unis et le Japon « pressentent » la nécessité « d’encadrer » l’expansionnisme chinois[3].
Tentative de définition ?
En effet, l’axe Djibouti-Colombo-Singapour-Shanghai constitue une « ligne de communication » (sea lanes of communication) indispensable au fonctionnement de la planète, avec des passages stratégiques d’importance majeure (choke points) mis en évidence par les Occidentaux dans les années 70-80, ceci est encore plus vrai aujourd’hui.
L’expression n’est pas clairement définie[4], et elle est même niée par la Chine qui se réfère à l’Asie-Pacifique où elle a une position centrale dans la zone, alors que l’Indopacifique place l’Inde au centre et la « relègue » à la périphérie…
La composante terrestre du projet chinois des « routes de la soie » redonne corps à la centralité du continent eurasiatique et à l’opposition traditionnelle (théorisée par les stratèges du XIXème siècle) de l’empire de la Terre contre celui de la Mer. L’antagonisme actuel entre deux Etats puissants, les Etats-Unis et la Chine, serait-il la version modernisée de cette opposition, l’empire de la mer ne pouvant survivre qu’en préservant la liberté de circulation ?
« La mer a historiquement constitué un élément essentiel du développement du continent européen »[5].
Du fait de la mondialisation des échanges, la grande puissance américaine est très présente. Et encore plus après 2009-2010 : le « pivot asiatique » du Président Obama est en fait un élargissement de l’Asie-Pacifique, la zone ira désormais des côtes américaines jusqu’au sous-continent indien. En 2018, l’US PACOM (Pacific Command) est rebaptisé US INDOPACOM. Et l’expression « Indopacifique » est de retour …
En effet, nouveauté des années 2010, surtout après 2013-2015, affirmation de la présence chinoise et de sa volonté de puissance.
3 – La Chine, un nouveau venu dans la zone : expansion maritime et contestation de la liberté des mers
Les sept expéditions de l’amiral Zheng He (1371 – 1433) au XVème siècle (1405-1433) avaient pour but essentiel de prélever un tribut, ne visaient pas à « coloniser » des territoires[6]. Elles ne furent pas poursuivies dans les siècles suivants par la Chine qui se referme et fait détruire archives et bateaux, témoins des exploits de Zheng He, alors que l’Europe, elle, s’élance alors à la conquête du monde.
A la fin de la décennie 2010, la Chine qui semble avoir consolidé son pouvoir à l’intérieur (?) et développé son économie, veut affirmer sa puissance dans le monde, et développer son influence tant vers les côtes de l’Afrique orientale que vers la rive Pacifique des Amériques, et cela au détriment de la liberté de circulation des autres Etats. Si son expansion vers l’Europe est principalement économique, elle a une dimension militaire marquée en Asie.
Alors qu’elle a signé la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer, la Chine cherche à s’« approprier» la mer de Chine méridionale en y créant une ZEE qui ampute celles du Vietnam, des Philippines, de Malaisie et d’Indonésie[7]. Parmi les nombreux « incidents », un exemple : en avril 2019, Pékin juge « illégal » le passage de la frégate française Vendémiaire dans le détroit de Taïwan, réaction nouvelle à l’égard de la France qu’elle juge « alignée » sur les USA ; et de plus la Chine estime que la France est « en Europe » et n’a rien à faire dans ces eaux lointaines. Si les Etats-Unis et leurs alliés intensifient « les passages innocents » de navires de guerre dans les aux contestées, c’est au prix de risques d’incidents graves.
Quelques événements méritent de retenir notre attention :
Le projet BRI est un projet à long terme créant une ceinture économique allant des côtes chinoises jusqu’aux côtes orientales de l’Afrique. C’est la stratégie du « collier de perles » avec une dizaine de points clés (installations portuaires notamment) en utilisant la « diplomatie de la dette ».
Si dans le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité nationale en 2013, la France évoquait la possibilité d’un « partenariat global » avec la Chine, aujourd’hui dans la terminologie européenne, on parle d’un « rival systémique ».
Objectifs de la Chine : Prendre directement ou indirectement Taïwan et sécuriser ses approvisionnements énergétiques, en matières premières et en ressources énergétiques. La stratégie chinoise de « déni d’accès » qui s’étend peu à peu sur des zones plus vastes, est basée sur cinq points : sécuriser la Mer de Chine, endiguer le Japon, étouffer l’Inde, vassaliser la Russie et l’Union européenne, isoler les Etats-Unis.
Il conviendra de noter la « préoccupation commune » de la Chine et de la Russie mentionnée à Pékin le 4 février[9] face à la formation de « l’alliance militaire AUKUS, et notamment la fabrication de sous-marins nucléaires, qui touche à des questions de stabilité stratégique ». Ceci s’ajoute aux exercices conjoints effectués en novembre 2021 par des vaisseaux des 2 pays (Chine + Russie) dans le détroit japonais de Tsugaru.
NB : Il n’y a pas d’alliance formelle entre la Russie et la Chine (et même quelques désaccords notamment en Asie centrale… Les événements survenus au Kazakhstan en janvier 2022 ont suscité diverses interrogations sur un éventuel partage en zones d’influence).Notons aussi l’abstention chinoise lors des votes des 4 et 24 mars à l’ONU condamnant l’agression russe contre l’Ukraine. La guerre en Ukraine pourrait-elle « rebattre les cartes » en Indopacifique ????
En conclusion de ce 1er point : Les acteurs dans cette zone et leur vision géopolitique :
II – La France, état« riverain » des océans Indien et Pacifique du fait de ses collectivités et territoires
Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur des pôles et des enjeux maritimes, déclarait le 25 janvier : « Nous ne sommes pas un hexagone, mais un archipel »[10]. Sept des 13 territoires d’outre-mer français sont situés dans les océans Indien et Pacifique. Ces territoires dans la zone sont pour la France un atout précieux : elle n’est pas une puissance « étrangère », mais un Etat « voisin » dans les 2 océans, il y a donc une cohérence à lier les deux espaces.
La stratégie française de l’Indopacifique ne se veut pas exclusivement militaire, même s’il est nécessaire de protéger nos « appuis stratégiques » : « montrer la présence », protéger les zones de pêche, lutter contre la pêche illégale, défendre la liberté de navigation…. D’où le renforcement de la capacité opérationnelle des forces navales, avec différents programmes (AVISMAR, POM, BRF, FDI) car l’éloignement ne doit pas être sous-estimé, et donc les contraintes qui pèsent sur les relations entre la métropole et les territoires insulaires éloignés.
D’où l’importance de compléter notre stratégie militaire par des engagements économiques et culturels avec des partenaires, comme l’Inde, le Japon, …. Et aussi de partager nos responsabilités au niveau européen.
1 – Les statuts des différents territoires français
Ces territoires, positionnés dans les 2 océans, sont pour certains des collectivités politico-administratives comparables à celles de la métropole : La Réunion, Mayotte ; les autres ont des compétences de gouvernance très particulières : les TAAF, la Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna et la Polynésie française.
Cas particuliers de Clipperton et des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) qui n’ont pas de population permanente.
La diversité des statuts est un héritage du passé. Mais l’accent est mis aujourd’hui sur les perspectives de coopération tournées vers l’avenir. Du fait de compétences constitutionnelles spécifiques, notamment en matière d’économie, d’environnement, voire de relations extérieures, ces territoires sont associés aux instances étatiques dans les organisations de coopération régionale.Ils sont impliqués dans les structures institutionnelles régionales aux côtés des représentants de l’Etat.
Trois exemples :
2– La stratégie française de l’Indopacifique et ses implications. Les réflexions françaises sur l’Indopacifique apparaissent à partir de 2016, et sont formalisées en 2018.[11]
La vision française de l’espace Indopacifique défendue par la France, celle d’un espace « libre et ouvert », a pour objectif d’assurer la sécurité maritime, de garantir la liberté de navigation et de survol en haute mer. En août 2018, lors de la Conférence des ambassadeurs, le Président Macron a insisté sur cette vision multilatérale de l’espace, ne devant être dirigée contre aucun Etat, et notamment pas être dévoyée dans une lutte contre la Chine.
2A – 2018 est une année tournant avec un renforcement des liens bilatéraux avec les pays de la zone : Australie, Inde, Indonésie, prenant en compte la nouvelle position chinoise dans la zone. Parallèlement, des exercices militaires régionaux s’organisent avec de grands partenaires, notamment les 4 membres du QUAD (dialogue quadrilatéral de sécurité).
3 juin 2018, lors du Forum annuel du Shangri-La Dialogue[12] à Singapour entre les ministres de la défense de la zone indopacifique. Florence Parly y présente la position française.
A La Réunion à l’occasion du Forum « Choose La Réunion »[13] le 23 octobre 2019, la stratégie Indopacifique de la France est précisée autour de 4 priorités :
La région indopacifique est au centre de tous les flux commerciaux internationaux, traversé par plus de 450 câbles sous-marins[14], réserve de ressources halieutiques et énergétiques considérable.
A différentes occasions, ces principes de base sont rappelés par les officiels français et mis en œuvre avec nos partenaires. Quelques exemples :
Mars 2018 : Le Président Macron parle de l’Inde comme du « 1er partenaire stratégique » de la France dans la région, un des premiers acheteurs d’armement français en Asie, même si l’Inde reste historiquement proche de la Russie[15].
L’Inde est le seul membre du QUAD à avoir une frontière commune (3 400 km) avec la Chine avec des confrontations régulières. Elle est l’un des premiers pays à avoir alerté contre la théorie du collier de perles chinois « dans l’Océan indien et participe à des exercices dans l’Océan Indien avec la France.
Mai 2018 : A Sydney (Australie) est évoqué « l’axe Paris-New Delhi-Canberra » et la France est considérée comme un acteur majeur dans la région[16].
« Votre pays est de fait une puissance de l’Indopacifique ». Kevin RUDD, ancien Premier Ministre australien, expert des relations entre l’Occident et la Chine.
Mai 2019 : le Porte-avions Charles-de Gaulle participe à l’exercice naval Varuna avec l’Inde dans l’Océan Indien ; des manœuvres conjointes ont lieu dans le Golfe du Bengale avec l’Australie, le Japon et les Etats-Unis, et le porte-avions fait escale à Singapour ; une frégate française fait escale à Ho Chi Minh.
2020 : la France est devenue « partenaire de développement » de l’ASEAN. Elle a aussi adhéré à l’Association des Etats riverains de l’Océan Indien.
Septembre 2020 : Dialogue trilatéral Australie-Inde-France.
2021 : Les marines européennes (France, Allemagne, Royaume-Uni et aussi Pays-Bas) ont envoyé d’importantes unités de combat dans la zone. En avril 2021, les Forces d’Auto-Défense japonaises (FAD) ont participé à l’exercice multinational Lapérouse dans le Golfe du Bengale. Des manœuvres maritimes (ARC21) + exercices amphibies sur le territoire japonais ont également eu lieu avec la France, l’Australie et les USA. Le Japon soutient cette stratégie de coopération dans l’Indopacifique.
Les relations franco-indonésiennes sont anciennes (1961) ; puis co-présidence de la conférence de Paris sur la Cambodge en 1991. Depuis 2011, un partenariat stratégique a été conclu avec l’Indonésie qui est un « client régulier de l’industrie d’armement français » (2ème derrière Singapour).En février 2021, rappel des positions communes au sujet du « respect du droit international dans un espace indopacifique libre et ouvert fondé sur un multilatéralisme efficace »[17]. Des accords de coopération sont signés en juin 2021, puissuivis le 10 février 2022, par une commande de 42 avions de chasse Rafale et par un autre accord pour la fourniture « éventuelle » de 2 sous-marins Scorpene[18]. « Hasard ou manœuvre ? » : quelques heures après la signature avec Mme Parly, le ministère de la Défense américain annonçait donner son accord à la vente de 36 avions de chasse F15 Eagle II à l’Indonésie…
Au début de 2021, la France se trouvait ainsi au centre de relations croisées avec l’Inde et le Japon, l’Australie et les Etats-Unis, les partenaires du QUAD et de l’ASEAN, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Toutes les grandes puissances démocratiques se trouvaient ici impliquées, certaines ne voulant pas forcément être amenées à choisir entre Pékin et Washington. Mais l’alliance AUKUS ne créera-t-elle pas un nouveau contexte, alors que de nombreux pays dans la région sont plutôt à la recherche d’une position d’équilibre entre la Chine et les USA ?
2B – Les changements de 2021 induits par la dénonciation du contrat français, conclu en 2016, pour la livraison de 12 sous-marins à l’Australie et la signature de l’Alliance AUKUS entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis (15 septembre 2021).
La France doit prendre en compte cette nouvelle manifestation de l’antagonisme anglo-saxon, déjà manifesté à la fin des années 2000 lorsqu’elle espérait entrer dans le club historique des Five-Eyes, créé en 1941, coopération dans le domaine du renseignement entrel’Australie, le Canada, les Etats-Unis, la Nouvelle Zélande, et le Royaume Uni, « revitalisée » dans les années 2000 pour lutter contre le terrorisme.
Autre événement aux conséquences notables : la décision de la Nouvelle Calédonie de rester partie de la communauté française, décision issue de référendum du 12 décembre, joue un rôle très important pour la France, mais aussi pour l’Europe, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Il devient essentiel de renforcer la visibilité des marines concernées dans la zone face à la Chine.
En outre, la France a pris conscience de l’intérêt stratégique des fonds marins et du champ de compétition qu’ils représentent sur la scène internationale. Cf « La stratégie pour la maîtrise des fonds marins » présentée à Brest par Florence Parly le 13 février 2022 : « il s’agit de mieux connaître, mieux surveiller et mieux agir, dans une approche globale et internationale avec des moyens qui ne sont pas au niveau de ceux de nos partenaires ou de nos adversaires ». Or différents incidents montrent que les fonds marins sont aujourd’hui le lieu d’opérations préoccupantes (ruptures de câbles, pillage des ressources…)
Aujourd’hui, il parait évident que la France -et l’Europe- ont intérêt à développer des relations de coopération dans cette région en raison de la place prépondérante de la mer et de l’Asie sur la scène internationale. D’où la nécessité de défendre la liberté de navigation et la préservation des biens communs (biodiversité, sécurité maritime…).
La France bénéficie d’atouts dans la région et a développé une stratégie indopacifique qui est aujourd’hui plus visible, tout en espérant présenter une voie « non-alignée ». En outre, notre industrie de défense présente à nos partenaires des offres de haut niveau, et des offres de formation, incluant un « partenariat stratégique » établissant une relation de confiance, qui est souvent une alternative à l’offre du « tout-américain ».
A partir de là, une stratégie « européenne » peut être envisagée comme complémentaire en coordination avec la stratégie française.
3-Le relai européen : stratégie européenne et partenariats régionaux.
En 2017, le Président Macron déclarait : « L’Europe est le niveau approprié pour recouvrer notre pleine souveraineté dans des domaines qui ne relèvent plus du seul champ national, car je veux d’une Europe qui soit un continent aux dimensions des puissances américaine et chinoise ». Les territoires insulaires français sont un atout pour la France, mais aussi pour l’UE, et donc pour tous ces Etats membres.
Dans le cadre de l’OTAN, les forces européennes, et donc les marines, ont eu à agir ensemble, et à mettre en place des procédures et des normes permettant une grande interopérabilité (ravitaillement, systèmes de communication…). La RFA et les Pays-Bas se sont aussi dotés d’une stratégie indopacifique.
Depuis le Brexit, la France est seule en mesure de maintenir, voire d’augmenter, une présence militaire permanente dans la zone Indopacifique. Mais elle souhaite entraîner ses partenaires européens. Un soutien, renfort européen est-il utile ? indispensable ?
Le 16 avril 2021, le Conseil européen a publié « la stratégie européenne pour la coopération dans l’Indopacifique »[19]. A noter que cette annonce s’est « télescopée » avec l’annonce de la signature de l’AUKUS le 15 septembre 2021.
Si l’Europe ne mentionne pas son opposition à la Chine (contrairement à la position américaine), elle précise « sa réticence à approfondir des échanges avec des Etats qui ne respectent pas ses valeurs », et insiste sur la nécessité de « renforcer ses partenariats avec les Etats du sud-est de l’Asie (ASEAN) pour préserver la liberté de navigation et pour lutter contre la territorialisation des mers »[20]. L’UE a nommé un « envoyé spécial pour l’Indopacifique » le 1er septembre 2021.
La région indopacifique revêt une importance stratégique croissante pour l’Union européenne, les 2 régions sont en étroite corrélation :
Le développement agressif de la puissance chinoise, et les rivalités sino-américaines (économiques, militaires, technologiques …) ont été ravivées par le pacte AUKUS en septembre 2021. Dans ce contexte, un rapprochement UE-ASEAN pour un projet régional de coopération commun, autonome évoqué par Josep Borrell à Djakarta en juin 2021, prend tout son sens et vient illustrer le partenariat stratégique signé en 2020 après 40 ans d’échanges. La vitalité économique des pays de l’ASEAN est importante pour l’UE. L’Inde et le Japon pourraient aussi se rapprocher des positions européennes.
Les principaux éléments de la stratégie de l’UE pour la région indopacifique :
Le projet de « Boussole stratégique », équivalent européen du livre Blanc de la Défense, a été adopté, après 4 versions successives, le 21 mars par les ministres européens des Affaires étrangères et de la Défense. Il vise notamment à renforcer la coopération des marines ici comme sur le reste de la planète, « dans les endroits stratégiques du globe, sur l’ensemble des océans » afin de mettre en œuvre une politique commune et concertée. Il s’agit de préserver la libre circulation et la sécurité maritime, de lutter contre la piraterie[21]. Cette « boussole stratégique » sera à la fois une stratégie et un plan d’action pour les 5 à 10 ans à venir. Reste pour les Européens à accorder au mieux leurs « nuances » du concept Indo-Pacifique, entre l’approche plutôt stratégico-militaire de la France (liée aussi à ses contrats d’armement) et une vision plus économique et commerciale de l’Allemagne. La Boussole mentionne aussi la nécessité de renforcer le dialogue et les exercices conjoints avec d’autres Etats dans le monde.
Des défis communs ont été mis en évidence entre les 2 régions, UE et Indopacifique en matière d’intégration économique et de changement climatique.
Que sera le nouveau projet européen « Global Gateway », parfois présenté comme un concurrent du BRI chinois ? Avec ses enjeux globaux liés à la protection de l’environnement et aux questions de sécurité, il serait courtisé par la Chine pour un partenariat ? une coopération avec son projet BRI ?
Eviter une alliance Moscou-Pékin dans cette zone est-il encore possible ????
Conclusion
7 des 10 premiers ports mondiaux sont en Chine. Le Golfe persique fournit 40% des exportations de pétrole et 80% d’entre elles partent vers l’Asie[22]. L’importance de la voie maritime mondiale indopacifique n’a fait que croître au XXème siècle alors que le commerce transatlantique est devenu moins prééminent.
Pour la France, c’est un enjeu économique (sécurité des approvisionnements et des échanges commerciaux) et de souveraineté (protection des ZEE, et lutte contre les activités illicites). L’originalité de la position française dans cette zone est liée à sa situation « d’Etat riverain[23] ». L’implication de l’UE, au-delà des relations bilatérales basées sur des valeurs communes, offre en outre une 3èmevoie aux Etats de la région pour éviter de choisir un alignement sur Pékin ou sur Washington, sujet à l’ordre du jour de tous les dialogues. David Panuelo, Président de la Fédération des Etats de Micronésie soulignait le 10 mars dernier que l’Océanie avait voté de manière unanime la résolution contre la Russie aux côtés de l’UE lors du vote à l’ONU le 2 mars 2022.
Le 22 février 2022, un Forum pour la coopération en Indopacifique dans le cadre de la présidence française de l’UE a réuni à Paris les Ministres des affaires étrangères des 27 et ceux de 30 Etats de cette zone.
Les USA et la Chine n’étaient pas invités. Au nom d’une « autonomie stratégique », la réunion voulait être préservée des rivalités entre les 2 puissances, Chine et USA, même si l’objectif non avoué est sans doute de contribuer à une alternative à l’engagement chinois dans la zone.
Hélène MAZERAN
[1]Ne sont pas pris en considération les territoires britanniques de Pitcairn et des Chagos car moins de 100 habitants.
[2] Cf SIPRI, 2017-2021
[3] Cf Robert KAPLAN in Foreign Affairs, Mars 2009.
[4] Cf Paco MILHIET : « L’Indopacifique français : constructions régionales, stratégie nationale, déclinaisons locales ». Thèse de doctorat 2021. Université de Polynésie française et Institut catholique de Paris.
[5] VAE Patrick EBRARD. Entretiens d’Europe, n°111. 31 janvier 2022.
[6]Ceci est souvent rappelé par Xi Jinping qui sait utiliser l’histoire chinoise à son avantage : il veut montrer que la Chine n’a pas de visée impérialiste.
[7] La Chine se considère comme une puissance économique en forte croissance qui n’a pas une ZEE correspondant à son statut. Mais la Cour permanente d’arbitrage de La Haye le 17 juillet 2016, a rejeté toutes les revendications chinoises de ZEE en mer de Chine du sud.
[8] Seuls 6% des fonds marins seraient connus (et pas seulement par les Chinois)
[9] Déclaration en marge de l’ouverture des JO. 4 février 2022.
[10] « Les Outre-mer aux avant-postes ». Maison de l’Océan. Paris 25 janvier 2022
[11] « Stratégie de défense française dans l’Indopacifique ». Ministère des Armées 2018, mis à jour 24/06/2022. https://bit.ly/3AYIJgo; « Stratégie de la France dans l’Indopacifique » Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, juillet 2021. https://bit.ly/3G2430Pf.
[12] Sommet informel consacré aux questions de défense et sécurité en Asie.
[13] Rencontre d’entrepreneurs destinée à promouvoir l’attractivité économique du territoire.
[14] 98% des communications transitent aujourd’hui par câbles sous-marins.
[15] Elle s’est abstenue lors des votes à l’ONU des 4 et 24 mars contre l’agression russe en Ukraine.
[16] Ce ne fut pas toujours le cas…. Cf au moment des essais nucléaires, au moment de la conférence sur le règlement de la question cambodgienne ….
[17] A noter que pour l’instant, l’Indonésie (4ème pays le plus peuplé du monde) est réservée par rapport aux revendications chinoises en mer de Chine méridionale (avec par exemple escarmouches autour des îles Natuna), et ne veut pas prendre parti, contrairement à la France et aux USA qui rappellent fréquemment leur attachement au principe fondamental de la liberté de navigation.
[18]14 exemplaires de ce type de sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle ont déjà été vendus par Naval Group, dont 6 à l’Inde, 2 à la Malaisie (les autres au Brésil et au Chili).
[19] « Conclusion du Conseil sur une stratégie de l’UE pour la coopération dans la région de l’Indopacifique » ; Bruxelles, 16 avril 2021 ; https://bit.ly/3jeSKjl. Communication conjointe du Parlement européen et du Conseil : « Stratégie de l’UE pour la coopération dans la région Indopacifique », Bruxelles 16 septembre 2021 ; https://bit.ly/3B2xqDA.
[20] Même si l’UE est bien consciente que certains Etats- (Laos, Cambodge) sont sous influence chinoise …
[21] Comme le fait la mission Atalante initiée par la France en 2008, mise en œuvre par l’UE dans le cadre de la force navale européenne et de la PSDC dans le Golfe d’Aden et dans l’Océan Indien.
[22] Cf Atlas stratégique. Fondation méditerranéenne d’Etudes stratégiques. 2022
[23] Le Royaume uni est riverain avec les îles Pitcairn (à l’ouest de l’Australie). Il se positionne comme acteur mondial dans sa « stratégie 2020 », mais il n’est plus membre de l’UE.
Ce 1er février marquerait-il l’alignement de Moscou sur Pékin en ce qui concerne les informations tolérées par le régime ? A Pékin, les autorités effacent directement les contenus n’allant pas dans le sens où l’histoire doit être (ré-)écrite. A Moscou, c’est le gendarme des télécoms, Roskomnadzor, qui fait pression pour que les médias effacent ce qui déplait. Mais le résultat est quasi le même, et cela donne à réfléchir.
L‘application du plan en 5 points de l’ASEAN – relatif au Myanmar- n’a pas vraiment progressé. L’Association a en conséquence invité le 3 février un représentant apolitique birman lors de sa prochaine réunion mi-février et non le ministre des affaires étrangères. Ce revers infléchira-t-il la junte ? (on peut en douter ?)
Alors que les JO d’hiver s’ouvrent le 4 février à Pékin, V. Poutine en a profité pour obtenir le soutien de la Chine en ce qui concerne la question ukrainienne, notamment avec une opposition affirmée à tout élargissement de l’OTAN. Mais que devient le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Il faut également se souvenir que la Russie avait envahi la Géorgie lors des précédents JO d’été à Pékin en 2008.
Le leader de la junte militaire birmane a donné le 7 février son accord pour qu’un envoyé – sans dire lequel- de l’ASEAN puisse se rendre au Myanmar pour y rencontrer des membres du parti d’Aung San Suu Kyi alors que l’état de Rakhine vient d’être soumis à de nombreuses exactions. Est-ce un mince progrès ou seulement de la poudre aux yeux ?
Le « One Ocean Summit » se tient à Brest (France) du 9 au 12 février. Alors que l’océan couvre 70% de notre planète (la planète bleue), il est très peu réglementé car 64% de ses eaux sont internationales appartement à tout le monde ou à personne ! Il ne bénéficie donc d’aucune protection malgré les nombreuses menaces (pollution, surpêche, destruction des écosystèmes, bruit impactant le monde sous-marin, exploitations minières mettant en danger les fonds marins, etc.). Pensons également aux nations insulaires menacées et espérons que ce sommet apportera quelques réponses réalistes et applicables permettant une meilleure préservation de ce vaste espace indispensable à notre vie et à notre survie.
Alors que la Chine annonce le 16 février une augmentation de sa consommation de charbon pour soutenir sa reprise économique, les producteurs d’électricité australiens font part le 17 février de leur décision de fermer parfois avec 7 ans d’avance leurs centrales à charbon. Le « mauvais élève » de la lutte contre le changement climatique n’est peut-être pas celui que l’on croit ?
Cela fait 50 ans le 21 février que Richard Nixon est allé à Pékin rencontrer Mao Zedong alors que les relations Chine-URSS n’étaient pas au beau fixe. Les USA ont lorgné sur le vaste marché chinois et la Chine a commencé à s’ouvrir. Mais aujourd’hui pour quel bilan alors que les relations entre ces 2 états sont des plus tendues et que la Chine s’est rapprochée de la Fédération de Russie jusqu’à la soutenir dans la crise ukrainienne ?
Est-ce que le 24 février sonne la fin de la paix dans le monde – et plus particulièrement en Europe – alors que Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine et que la Chine, dans l’embarras ( ?), dit suivre de près l’évolution ? Au nom de la protection de sa sécurité ( ?), la Russie en termes à peine voilés menace le monde ( ?) du recours à l’arme nucléaire. Espérons que cela n’arrivera pas …
Cela fait 7 ans ce 27 février que l’opposant à Vladimir Poutine Boris Nemtsov a été assassiné à Moscou. Rappelons qu’il avait critiqué l’annexion de la Crimée. Aujourd’hui, des pacifistes se sont rassemblés, entre autres, à St Pétersbourg pour s’élever contre la guerre (terme honni par le régime russe) en Ukraine. Moyennant quoi plus de 2000 personnes ont été arrêtées à travers le pays : mais qui veut la paix ?
La Nouvelle-Zélande rouvre ses frontières le 28 février et les Néozélandais arrivant d’Australie ne sont plus soumis à une quarantaine de 10 jours obligatoire alors qu’il faudra attendre le 4 mars pour tous les autres expatriés. C’est le prélude à terme à une réouverture à tous les voyageurs étrangers.