Les sanctions antirusses et l’Asie-Pacifique, après l’invasion de l’Ukraine
Rappel historique
En 1905, à la fin de la guerre russo-japonaise (à l’avantage du Japon), le Président américain Théodore Roosevelt joue les intermédiaires lors de la négociation du Traité de Portsmouth.
Il poursuit l’application de la doctrine Monroe, et la fait évoluer en « Big Stick ». Préoccupé par l’avance des nations européennes en Asie, il suggère à des diplomates japonais de faire de leur pays le dépositaire de la doctrine Monroe pour l’Asie.
Mais la lecture diffère :
– pour les Américains, il s’agit de faire barrage à l’expansion européenne en Asie,
– pour les Japonais en manque de ressources en matières premières, il s’agit de légitimer des conquêtes territoriales permettant des approvisionnements.
Le Japon envahit la Mandchourie en 1931. Et en fait l’Etat fantoche du Mandchoukouo. A la fin des années 30, des contacts avec des chefs sionistes (dont Ben Gourion) avait donné lieu au projet FUGU d’installation du peuple juif en Mandchourie, au lieu d’Israël pour créer une zone tampon avec la Russie devenus soviétique.
Le Japon envahit la Chine, puis l’Indochine française en 1940. Les Japonais pratiquent ici le 2A/AD (Anti-Access/ Access Denial) de la doctrine Monroe, mais ils s’installent. C’est là qu’ils se heurtent aux USA qui soutiennent les nationalistes de Tchang Kai Check. D’où la confrontation inévitable entre Japon et USA.
La pratique des sanctions est dans les gênes des Américains. En 1941, la Hollande et le USA sanctionnent le Japon en le coupant de ses importations d’acier et de pétrole d’Indonésie. D’où l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941.
Après l’invasion de l’Ukraine en février 2022
- Du fait des sanctions économiques occidentales, la Fédération de Russie a cru impératif de réorienter, dans la mesure du possible, les activités économiques du pays et les flux commerciaux vers sa partie asiatique et vers les marchés non-européens, principalement asiatiques. Il est bon de se rappeler que les activités humaines se réalisent en premier lieu dans un espace donné (géoéconomie, géostratégie)
- Les richesses naturelles russes se trouvent en grande partie dans sa partie asiatique y compris l’Arctique. De même, les importateurs principaux de ses productions sont en Asie. Toutefois les industries se trouvent principalement dans la partie européenne, tout comme la main d’œuvre.
- Or la partie asiatique /arctique russe :
a) est un désert démographique,
b) ses infrastructures physiques (ports, aéroports, routes, chemin de fer) dans cette région sont insuffisantes pour satisfaire les ambitions relatives au développement socio-économique proclamées par Moscou.
c) la Russie est donc obligée d’engager des dépenses afin de réduire ses handicaps en Asie qui viennent de s’ajouter aux problèmes que le pays connaît dans sa partie européenne.
d)Le but des sanctions antirusses (anti-coréennes et anti-iraniennes ; voir la législation américaine à ce sujet et notamment CAATSA) est précisément de rendre impossible le décollage économique de son économie dans son ensemble en général et notamment celui de la partie asiatique /arctique.
e) Sur le plan international, la confrontation avec les États-Unis est dans la logique des relations entre les Américains soutenus volens nolens par leurs « foederes » euro-asiatiques, d’une part, et par les Chinois, Russes et d’autres pays du « Global South ». En effet, (et c’est Congressional Research Service qui le dit) l ‘Amérique ne veut pas permettre l’apparition d’une hégémonie régionale dans l’espace euro- asiatique.
Francis Baudu et Ivo Paparella
Conférence du 4 avril 2024