«Être entrepreneur sans être libéral, être humaniste sans être occidental : le cas japonais»
Une présentation originale à deux voix d’un pays lointain à tous points de vue, d’un pays que les conférenciers connaissent depuis longtemps, en profondeur, et où ils se rendent régulièrement depuis … 1964 pour Catherine Cadou et 1971 pour Christian Sautter.
Intervention de Christian Sautter
Référence aux 2 lutteurs de sumo. Le Japon essaie de faire respecter les règles d’un combat loyal entre la Chine et les Etats-Unis. L’archipel vit dans un isolement relatif, est-il calme pour autant ?
Si la croissance est considérée comme l’alpha et l’oméga du bonheur, le dynamisme démographique est un élément nécessaire, il n’en reste pas moins que la croissance est médiocre depuis 40 ans, que le déclin, s’il est calme, n’en est pas moins réel.
Mais les Japonais savent faire face en puisant dans leur aptitude à la sérénité, dans leurs ressorts culturels et leurs structures familiales et sociétales qui constituent l’âme japonaise.
Le rapport à l’Etat est paisible, l’institution étatique n’est pas considérée par les Japonais comme un fardeau, un handicap.
Au Japon, une chose peut n’être ni vraie, ni fausse.
Le Japon sera présenté dans une « valse à 3 temps » :
Temps 1 – un Etat « développeur »
De 1945 à 1985, le Japon est une nation riche, dotée d’une armée puissante. Depuis l’ère Meiji, l’Etat doit jouer le rôle moteur.
Le pays se développe ainsi en s’appuyant sur une coopération continue entre les 3 éléments du triangle de fer que constituent le gouvernement, le parti conservateur et le monde des affaires.
Pour nous, Occidentaux, compétition et coopération sont 2 termes antinomiques, le Japon lui sait construire le compromis.
Si comme en Asie orientale, le Japon a une image de société très « inégalitaire », l’harmonie y reste de mise. On en trouve des exemples dans nombre de domaines, non régulés mais « encouragés ».
- L’industrie sidérurgique est encouragée par le Gouvernement pour bénéficier de technologies modernes, mais dans le cadre d’une compétition entre industriels.
- Les semi-conducteurs font l’objet de recherches conjointes, elles aussi fortement encouragées par l’Etat.
- Les grandes entreprises et les PME pratiquent compétition et coopération dans la société.
- Le rôle de la Banque Asiatique de Développement a été significatif en tous ces domaines et au-delà.
Mais 1985 marque la fin de la période « Japan as N° 1 » : Éclatement de la bulle spéculative, obligation de réévaluer le yen, de libéraliser les finances.
Temps 2 – un Etat « résilient »
Le Japon doit faire face en 1995 au tremblement de terre de Kobé, en 2011 à la catastrophe nucléaire de Fukushima. Il faut y ajouter 2 éléments « aggravants » : le vieillissement de sa population et la croissance chinoise.
Mais grâce à l’Etat, la cohésion sociale est préservée, la croissance est ralentie, mais le Japon est devenu un pays « mûr », un pays rentier. Le travail est « robotisé » pour faire face à la diminution de la main d’œuvre. Mais, contrairement à ce qui se manifeste dans certains pays occidentaux, le travail manuel n’est pas méprisé.
Le Japon est exportateur de soft power.
Temps 3 – un Etat « conciliant »
En 2016, l’arrivée de Donald Trump à la présidence américaine impacte le Japon dans sa politique extérieure et peut rendre sa sécurité plus aléatoire (Corée du nord par exemple); le Japon est amené à augmenter ses dépenses militaires jusqu’à 2% du budget national et à acheter des armements aux USA.
Mais dans le même temps, il observe et écoute la Chine, la Corée du sud … Il sait jouer la carte du « go between » sans faire jouer les tambours. Le Japon est le royaume des diplomates, « ils agissent en parlant peu ».
Sur le plan intérieur, le Japon a un Etat « bizarre ». Le gouvernement ne cherche pas à faire le bonheur des gens malgré eux. Les Japonais sont habitués à « se débrouiller » seuls, s’organisant sur les fondements d’une très forte solidarité de proximité. L’Etat est peu interventionniste, il y a peu de lois. Il fait confiance aux entreprises. Pour autant les budgets sont déséquilibrés et la dette est abyssale. Mais l’épargne interne est très forte.
Dans le domaine climatique, il y a peu de déclaration, l’Etat est conciliant et cherche là encore à préserver l’harmonie entre économie, nature et bonheur, tout en revitalisant la ruralité.
L’utopie est pour après-demain !!!!!
Intervention de Catherine Cadou
Cinéaste et productrice, interprète et traductrice des œuvres cinématographiques de Akira Kurosawa (1910-1998) dont elle fut l’assistante pendant près de 17 ans. Spécialiste du cinéma japonais, elle a traduit et sous titrés près de 200 films japonais. Elle a participé en tant que traductrice et assistante de A. Kurosawa à tous les grands festivals de cinéma du continent européen (Cannes, Berlin, Venise, Deauville etc. …)
La culture et le mental japonais sont marqués par des concepts mythiques : cf histoire de la déesse de la montagne. Il s’agit de se situer par rapport à l’autre, par respect pour la nature, s’adapter à la diversité du monde. Les Japonais sont des humanistes.
Les signifiants du contraste « baguettes et fourchettes » : idée de réactivité nécessaire à l’incorporation, à l’appropriation du monde, importance de l’adaptation. Les Japonais savent s’adapter sans renoncer à être eux-mêmes.
La place des femmes au Japon est importante. Elle est inscrite dans la Constitution. Les femmes « déesses » toutes puissantes sont très admirées et référentes. Contrairement à la lecture dominante qu’en font les critiques de cinéma, le rôle des femmes dans les films japonais est très subtilement valorisé.
Le roman « Dit du Genji » écrit par une femme (cf exposition au musée Guimet, « A la Cour du Prince de Genji », novembre 2023-mars 2024, note dans l’espace Cultures de notre site) présente des femmes libres et autonomes au contraire des garçons au IXème siècle.
Le lien avec la nature est lui aussi essentiel. Il est présent dans toutes les facettes de la vie quotidienne et de la culture japonaise. Cela se traduit en tout premier lieu par l’habitat qui se doit d’être ouvert sur l’extérieur. On retrouve également cette attache forte avec la nature dans le respect des rites saisonniers dans les fêtes de quartier notamment.
Architecture et nature sont également des données essentielles dans l’agencement des villes et quartiers. La gare de St Denis Pleyel en bois et verre a été conçue par l’architecte japonais Kenzo Kuma, inaugurée en juin 2024. Symbole de l’architecture naturelle.
Conférence du 20 juin 2024 de Christian Sautter et Catherine Cadou
Quelques ouvrages de référence :
Pierre-François Souyiri, historien du Japon à l’INALCO : « Moderne sans être occidental : aux origines du Japon d’aujourd’hui ». 2016.
Ruth Benedict : « Le Chrysanthème et le Sabre », sur une commande du Pentagone en 1944 pour essayer de mieux comprendre les mentalités japonaises.